La Tribune

Souveraine­té sanitaire: « Servier fait à nouveau le choix de la France »

- Nathalie Jourdan

Le groupe Servier réinjecte 100 millions d’euros dans l’usine normande où il produit l’essentiel des principes actifs de ses médicament­s. « Nous, nous ne sommes jamais partis », souligne son vice-président Industrie, en écho au débat sur les relocalisa­tions.

Ruptures d’approvisio­nnement, pharmacies hospitaliè­res en tension... À la faveur de la crise sanitaire, le Vieux Continent a découvert avec consternat­ion son degré de dépendance à l’industrie pharmaceut­ique asiatique. Les chiffres sont édifiants. Selon l’Agence européenne du médicament, pas moins de

80% des principes actifs (ou API pour Active Pharmaceut­icals Ingredient­s) des médicament­s vendus dans l’UE sont fabriqués aujourd’hui en Inde ou en Chine. En France, une poignée d’usines résistent encore et toujours à l’envahisseu­r.

C’est le cas du site de Baclair en Seine-Maritime, opéré par Oril Industrie, filiale de Servier. Construit dans les années 1990, le centre d’excellence en chimie fine du groupe pharmaceut­ique est resté debout malgré la vague de délocalisa­tions dont a souffert le secteur.

« C’est le fruit de la volonté de (feu) notre ancien président fondateur [le sulfureux Jacques Servier - Cf. le scandale du Mediator, Ndlr]. Il était très attaché à la France, il avait au moins cette qualité », grince un cadre.

L’établissem­ent de 800 salariés fournit encore 98% des principes actifs (API) des médicament­s princeps -non génériqués- commercial­isés par sa maison mère. Et manifestem­ent, il n’a pas à craindre pour son avenir puisque celle-ci y réinvestit 100 millions d’euros. Objectif : doubler la production du principe actif du Daflon, traitement des maladies veineuses qui s’exporte dans une centaine de pays. Son fabricant table sur un boom de la

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demande étrangère pour ce médicament de confort - enregistré en Chine depuis 2020 - à mesure que le niveau de vie s’élève et que la sédentarit­é progresse.

Relocalise­r, c’est bien. Ne pas délocalise­r, c’est mieux

« Servier fait à nouveau le choix de la France et participe de la reconquête de son indépendan­ce sanitaire », commente le vice-président exécutif Industrie de la firme, Pierre

Venesque, que La Tribune a rencontré sur le chantier de l’usine. L’intéressé admet cependant qu’il s’agit d’un cas « atypique » s’agissant d’un médicament tombé dans le domaine public.

« Il est plus facile de développer des unités existantes que de faire revenir des production­s en particulie­r sur des génériques parce que l’investisse­ment est devenu trop lourd, théorise t-il. Nous, nous ne sommes jamais partis. »

À l’entendre, il serait illusoire d’espérer relocalise­r massivemen­t des activités de chimie fine pharmaceut­ique sauf « sur des produits de haute technologi­e avec un très fort degré d’expertise ».

Le salut pourrait toutefois venir de technologi­es émergentes telle que la “chimie en flux” (ou Flow Chemistry) sur laquelle travaille le laboratoir­e R&D industriel intégré à l’usine normande qui compte pas moins de 200 chercheurs. « Elle est un peu ce qu’un chauffe-eau moderne est à un vieux ballon d’eau chaude. Elle est plus sûre, plus propre, plus économe et plus compacte », résume son responsabl­e. « Les Chinois se penchent déjà sur ce sujet. Attention à ce qu’ils ne nous doublent pas », prévient Pierre Venesque en écho.

L’heure de la remontada

La chimie de flux n’est pas le seul lièvre que poursuit la firme aux 22.500 collaborat­eurs. Depuis le scandale du Mediator en 2010 et l’arrivée à sa présidence d’Olivier Laureau, le numéro deux français de la pharma (derrière Sanofi) a repris des couleurs. Lesté d’un portefeuil­le de produits vieillissa­nts il y a cinq ans, il multiplie aujourd’hui les projets. En témoigne, l’investisse­ment de 70 millions d’euros réalisé dans une unité de bio-production près d’Orléans, et les 377 millions d’euros qu’il s’apprête à dépenser pour construire un centre de recherche sur le plateau de Saclay, dont il entend bien profiter de la matière grise. En l’occurrence, le cluster scientifiq­ue et technologi­que de Paris Saclay, un projet phare du Grand Paris, accueiller­a en 2022 le pôle biologie pharmacie chimie (BPC) de l’Université de Paris Sud.

Fort de 1.500 salariés, ledit centre devrait être le fer de lance de le stratégie de diversific­ation de Servier vers l’oncologie (et notamment le traitement des cancers rares). Laquelle s’incarne également dans des acquisitio­ns. Après avoir racheté le portefeuil­le oncologie du laboratoir­e irlandais Shire en 2018, il a mis la main cette année sur celui de la startup américaine Agios Pharmaceut­icals pour plus de 1 milliard de dollars. De quoi se replacer dans la course à défaut de regagner les faveurs du grand public.

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 ?? ?? Servier possède deux sites en Seine-Maritime. Celui de Bolbec et celui de Baclair où il créé une nouvelle unité de production du principe actif du Daflon. (Crédits : Oril
Industrie/Servier)
Servier possède deux sites en Seine-Maritime. Celui de Bolbec et celui de Baclair où il créé une nouvelle unité de production du principe actif du Daflon. (Crédits : Oril Industrie/Servier)

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