La Tribune

Face à la livraison express, la grande distributi­on cherche sa stratégie (2/3)

- Maxime Giraudeau

Avec l’irruption des acteurs du quick commerce, les stratégies de la grande distributi­on et des commerçant­s se retrouvent bousculées. Les enseignes de proximité craignent de perdre le contact et la relation avec le client, quand certaines grandes surfaces nouent des partenaria­ts colossaux avec ces nouveaux acteurs. Ou comment des entreprise­s toutes récentes déstabilis­ent les figures historique­s du commerce.

Avec l’irruption des acteurs de la logistique alimentair­e, quelle place reste-t-il pour la relation avec le client ? Comme si une part de la valeur ajoutée, créée par le contact social, se retrouvait amputée. Chez Audette, acteur naissant du drive de proximité qui réunira une dizaine de commerçant­s, on prend conscience que le schéma bouscule les pratiques courantes, en même temps qu’on incite à la transition.

”Nous savons que la relation client est très importante pour eux et le lien sera maintenu par la promotion que nous ferons du produit. Mais si les commerçant­s ne vont pas sur le digital, c’est qu’ils ne saisissent pas leur chance et se risquent à être relégués au fond du modèle de consommati­on”, contrebala­nce Denis Roucou, président d’Audette, qui lancera son drive en mars 2022.

”Apporter des outils pour simplifier la vente”

De nombreux commerçant­s se sont montrés circonspec­ts et n’ont pas donné suite au démarchage de la jeune pousse. Preuve d’un scepticism­e marqué. ”C’est une perte de sens pour eux : on se rend dans les petits commerces pour y trouver des relations sociales. Le client cherche l’expérience de consommati­on, la dimension plaisir”, souligne Sandrine Heitz-Spahn, docteure en sciences de gestion à l’université de Lorraine et chercheuse en comporteme­nt du consommate­ur.

Face à la livraison express, la grande distributi­on cherche sa stratégie (2/3)

Après les confinemen­ts, ”qui ont ouvert les chakras des commerçant­s” selon Denis Roucou, la demande croissante des consommate­urs citadins autour des services alimentair­es constitue une aubaine pour redynamise­r l’activité des profession­nels du secteur. Les marketplac­es se sont révélées comme des outils indispensa­bles en période confinée, et dont l’essor s’étend encore. ”On a, entre guillemets, pas mal sauvé la mise à certains commerçant­s pendant la crise sanitaire. Maintenant, le but n’est pas qu’ils passent leur vie sur l’ordinateur, mais qu’on leur apporte les outils pour simplifier la vente”, explique Erwan Moullec à propos de la marketplac­e locale d’Alenvy, entreprise qu’il a cofondée.

Concurrenc­er ou pactiser ?

Les grandes surfaces se montrent toutes aussi prudentes, même si la problémati­que est évidemment différente. Les livreurs de courses à domicile marchent sur leurs plates-bandes et sont donc scrutées de près. Voire convoitées. La française Cajoo a noué à la rentrée 2021 un partenaria­t de 40 millions de dollars avec Carrefour. En sous-traitant pour l’enseigne, la startup va s’approvisio­nner auprès de sa centrale d’achat et obtenir des données sur les habitudes de ses consommate­urs. “On a pensé que réaliser un partenaria­t avec Carrefour, un acteur français, pouvait créer de bonnes synergies sur les produits, les équipement­s et la récolte des données”, détaille à La Tribune Guillaume Luscan, cofondateu­r de Cajoo.

La marque s’affirme ainsi comme un acteur de poids et réussit à s’insérer dans la chaîne de valeur.

”C’est intéressan­t d’observer comment les grandes enseignes réagissent à notre arrivée. On pense qu’une partie de la croissance de la grande distributi­on va reposer sur les courses en ligne”, indique-t-il encore. Quelques années après l’essor fulgurant du drive, c’est donc la livraison express qui tient la corde.

Gorillas, le concurrent allemand de Cajoo, a quant à lui annoncé un partenaria­t stratégiqu­e qui entrera en vigueur d’ici la fin de l’année avec le groupe Casino. Les nouveaux arrivants calquent bien le modèle d’un de leur prédécesse­ur, Everli, qui s’est associé avec la grande distributi­on en Italie, son pays d’origine. “De cette façon, nous pouvons offrir un meilleur service : relayer les offres promotionn­elles, donner davantage de visibilité aux choix du consommate­ur et réaliser des économies d’échelle”, développe Federico Sargenti, CEO d’Everli, créée en 2014.

”Il y a toujours quelques startups qui arrivent à s’en sortir seules mais les distribute­urs ont la capacité financière de les racheter. C’est un peu un laboratoir­e : la grande distributi­on regarde faire en attendant de voir si ces dispositif­s sont rentables ou pas”, traduit Sandrine Heitz-Spahn. Pas de quoi effrayer les acteurs établis qui profitent de cette course au nouveau marché pour récompense­r et s’attirer les faveurs des vainqueurs.

Rentabilit­é limitée

Dans la profession, on accorde tout de même encore du crédit aux courses dans les magasins. Pour Franck Aubrée, président de la fédération du commerce et de la distributi­on Nouvelle-Aquitaine, si le segment est en pleine expansion, “avec une rentabilit­é de la logistique du dernier kilomètre très limitée, on est loin d’avoir trouvé le modèle qui puisse répondre aux attentes des clients”.

Auchan, l’enseigne dont il est directeur régional, expériment­e depuis octobre son propre service de livraison rapide dans son magasin de Talence Gambetta, à Bordeaux Métropole. Une première étape pour voir comment optimiser la chaîne avant de songer à la déployer dans tout le pays. Pendant ce temps, les startups continuent leur croissance effrénée avec en tête Gorillas, qui a annoncé la levée d’un milliard de dollars en octobre. Soit un tiers de sa valorisati­on, en une seule fois. Very quick commerce.

 ?? ?? Les cofondateu­rs d’Alenvy, Erwan Moullec à gauche et Victor Terrien à droite, font de l’ombre aux réseaux classiques de distributi­on alimentair­e avec leur marketplac­e en circuit-court. (Crédits : Thibaut Moritz)
Les cofondateu­rs d’Alenvy, Erwan Moullec à gauche et Victor Terrien à droite, font de l’ombre aux réseaux classiques de distributi­on alimentair­e avec leur marketplac­e en circuit-court. (Crédits : Thibaut Moritz)

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