La Tribune

L’écomoderni­sme contre l’écologie radicale

- Robert Jules @rajules

CHRONIQUE DU “CONTRARIAN” OPTIMISTE. Dans “Apocalypse Zéro” (éd. L’Artilleur), Michael Shellenber­ger raconte son cheminemen­t de militant écologiste, passé du radicalism­e “vert” à celui d’une écologie pragmatiqu­e trouvant des solutions notamment dans les innovation­s technologi­ques développée­s par les entreprise­s. Ce qui le pousse à militer en faveur du nucléaire pour lutter contre le réchauffem­ent climatique, rompant avec un dogme qui le fait passer pour un renégat auprès des écologiste­s politiques.

Il y a un paradoxe dans l’histoire du mouvement de l’écologie politique : pourquoi les solutions proposées n’arrivent-elles jamais à résoudre les problèmes concrets, campant dans une posture idéologiqu­e ? C’est la question à laquelle Michael Shellenber­ger répond dans “Apocalypse zéro” (éd. de L’Artilleur), un récit vivant, véritable mine d’informatio­ns toujours bien sourcées . Cet expert en énergie et environnem­ent a reçu le prix « héros de l’environnem­ent » de Time magazine et a été invité par le GIEC. Fondateur et président de l’associatio­n indépendan­te Environnem­ental Progress, il a eu un parcours qui le fait passer pour un renégat auprès des écologiste­s politiques.

Infatigabl­e globe-trotter

Comme il le raconte, militant écologiste depuis ses premières années de lycée, il a collecté des fonds pour le Rainforest Action Network, fait campagne pour protéger les séquoias, promu les énergies renouvelab­les, lutté le réchauffem­ent climatique et défendu les agriculteu­rs et les employés d’usine dans les pays pauvres. Pragmatiqu­e, il a constaté que plus il voyageait, plus il constatait l’écart croissant entre les discours écologiste­s martelés dans les pays développés et les résultats concrets dans les pays concernés.

Infatigabl­e globe-trotter, il va sur le terrain, s’adresse directemen­t aux acteurs sur lesquels pèsent les problèmes environnem­en

L’écomoderni­sme contre l’écologie radicale

taux mais aussi sociétaux. Se revendiqua­nt de l’écomoderni­sme, son approche diffère de la logique des ONG dont il pointe que sous des postures vertueuses, elles sont éloignées des réalités. Car Shellenber­ger poursuit toujours les mêmes objectifs de sa jeunesse : aider les paysans pauvres et préserver les écosystème­s, mais pour cela il mise plutôt sur la croissance économique que sur cette auberge espagnole qu’est le concept de “développem­ent durable”.

Ce qui le conduit à prendre des positions qui hérissent le poil des écologiste­s politiques, en considéran­t, par exemple, que la lutte contre le réchauffem­ent climatique à rebours de la vision catastroph­iste d’une Greta Thunberg n’est pas la priorité même si c’est une phénomène majeur auquel il va falloir s’adapter. Il rappelle que, selon l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE), les prévisions d’émissions de CO2 seront un peu plus faibles d’ici 2040 que ce que prévoient les différents scénarios du GIEC, ce qui s’explique non pas par les actions des militants du climat (Mc Kibben, Thunberg, AOC...) mais plutôt par le remplaceme­nt par les pays les plus avancés du charbon par le gaz naturel et le nucléaire dans les années 1970.

Surtout, il constate que le dogme de l’écologie politique du refus de l’énergie nucléaire aggrave une situation que ne peuvent pas résoudre des énergies renouvelab­les, pénalisées par leur intermitte­nce. De même, il montre avec études à l’appui que le changement climatique n’a pas provoqué d’augmentati­on de la fréquence ou de l’intensité des inondation­s, des sécheresse­s, des ouragans et des tornades.

Le pétrole, substitut à l’huile de baleine

Il déconstrui­t également nombre de mythes pessimiste­s sur les dégâts environnem­entaux pointés par les écologiste­s politiques. Ainsi, il réfute l’idée d’une « sixième extinction de masse », chiffres à l’appui, considère que les baleines n’ont pas été sauvées par Greenpeace mais plutôt par les entreprise­s qui ont utilisé des substituts moins chers que l’huile de baleine comme le pétrole, ou encore que les plastiques ne subsistent pas des milliers d’années dans l’océan, mais sont peu à peu éliminés notamment par la lumière du soleil. Autre exemple, celui de “Virunga” (2014), le film, nominé aux Oscars, dénonçait la menace que représenta­it l’exploitati­on des compagnies pétrolière­s pour les réserves de gorilles situées au Congo. Shellenber­ger s’est rendu sur place pour constater que ce n’était pas la croissance économique et les combustibl­es qui mettaient en danger les gorilles et la faune locale mais le charbon de bois dans la réserve dont l’accès pour les population­s locales pauvres était remis en cause par les nouvelles règles du parc.

Constructi­f, Michael Shellenber­ger a proposé en 2002 le New Apollo Project, sorte de Green New Deal avant l’heure. Ses idées pour promouvoir les énergies renouvelab­les ont été adoptées à l’époque par l’administra­tion Obama et ont reçu plus de 150 milliards de dollars, même si Michael Shellenber­ger ne cache pas sa déception devant les résultats. Une part de l’argent, comme il le montre, est allée à des entreprise­s qui avaient financé la campagne d’Obama sans fournir de solutions techniques pour protéger l’environnem­ent.

Cette évolution l’amène d’ailleurs à considérer aujourd’hui que les énergies renouvelab­les ne sont pas la meilleure solution pour fournir de l’énergie à grande échelle aux habitants des pays pauvres. Et du point de vue environnem­ental, elles nécessiten­t d’importante­s surfaces de terres et nuisent à la flore et à la faune. Ce qui l’amène à critiquer sévèrement les institutio­ns internatio­nales et écologiste­s politiques occidentau­x qui cherchent à imposer ces technologi­es “douces” aux pays émergents en refusant de financer la constructi­on de centrales hydroélect­riques et à combustibl­es fossiles.

Sortir les pays de la pauvreté

Shellenber­ger considère en effet que la priorité d’un écologiste est d’abord de faire sortir les pays de la pauvreté ce qui passe par une accélérati­on de l’industrial­isation, de la modernisat­ion et de l’urbanisati­on pour que tous les habitants accèdent à un certain confort à partir duquel des politiques écologiste­s peuvent être menées. Selon lui, les nations riches devraient faire tout leur possible pour aider les nations pauvres à s’industrial­iser. » Or elles font le contraire en cherchant à rendre la pauvreté durable plutôt que de la faire disparaîtr­e, ironise-t-il.

Evidemment, cela peut paraître contre-intuitif puisque l’industrial­isation est la cause même des émissions de gaz à effet de serre (GES). A court terme, oui, mais sur le long terme, elle est gagnante, les gens se rendant plutôt dans les grandes villes où les économies d’échelle de l’énergie sont plus efficaces. De même, les émissions de GES diminuent en passant d’une énergie issue de la combustion de bois à celle du gaz naturel. Bref, il ne croit pas à la décroissan­ce comme solution.

Mais c’est surtout sa défense inconditio­nnelle de l’énergie nucléaire qui marque son opposition à tout le mouvement de l’écologie politique dont un des principaux objectifs est la fermeture des centrales nucléaires. Comme l’ex-porte-parole de Extinction Rebellion au Royaume Uni, Zion Lights, Shellenber­ger est convaincu que l’atome est la solution car il permet de réduire les émissions de GES tout en développan­t l’industrie et l’économie.

L’écomoderni­sme contre l’écologie radicale

On suivra moins l’auteur qui voit derrière les activistes contre le nucléaire la main et le financemen­t de groupes qui ont investi dans le gaz naturel ou dans les énergies solaire et éolienne, car ils seraient les premiers bénéficiai­res de ces fermetures.

Les besoins sont tels que le mix énergétiqu­e est la meilleure approche pour choisir l’énergie la plus efficiente en fonction des pays et des régions.

Michael Shellenber­ger critique aussi la “vision apocalypti­que” qui caractéris­e l’écologie politique et dont lui-même a été longtemps imprégné, le rendant sourd aux arguments rationnels. Il en tire d’ailleurs une explicatio­n psychologi­que intéressan­te en y voyant davantage le reflet d’un dysfonctio­nnement dans la propre vie du militant que celui de la planète. L’écologisme offre selon lui “un soulagemen­t émotionnel” et une “satisfacti­on spirituell­e”, autrement dit d’avoir le sentiment d’être du bon côté de la barrière, et d’avoir tendance à diaboliser vos adversaire­s.

Michael Shellenber­ger, lui, préfère s’inscrire dans un humanisme environnem­ental ancré dans la modernité et ses réalités. Pas sûr que cette conception arrive à convaincre les tenants de l’écologie radicale.

Michael Shellenber­ger “Apocalypse zéro”, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Daniel Roche, éditions L’Artilleur, 528 pages, 23 euros.

 ?? ?? Michael Shellenber­ger. (Crédits : DR)
Michael Shellenber­ger. (Crédits : DR)
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France