La Tribune

Les (vrais) hommes puissants du président

- Marc Endeweld @marcendewe­ld

POLITISCOP­E. De Minc, super conseiller auto-proclamé, à Emelien, Griveaux, Guérini, Ndiaye, qui reste vraiment influent auprès d’Emmanuel Macron en cette veille de bataille présidenti­elle ? Trois hommes, proches de l’Elysée, dans la lumière ou dans l’ombre, sont au coeur du dispositif de 2022.

Depuis quelques jours, les livres politiques se multiplien­t sur le sujet Macron. Et chaque ouvrage y va de son anecdote apportée par Alain Minc, le conseiller des grands patrons. À chaque fois, les journalist­es le présentent comme un « proche » d’Emmanuel Macron. Les journalist­es du Monde Davet et Lhomme le présentent même comme un « conseiller du soir » qui rencontre régulièrem­ent le président à l’Elysée. Cette présentati­on des choses est en réalité totalement fantaisist­e. Certes, Alain Minc, qui aime bien qu’on le présente comme le « super conseiller des présidents », façon Jacques Attali, a bien connu Emmanuel Macron par le passé, l’a conseillé dans son ascension profession­nelle, et l’a tutoyé car ils font partie tous les deux du prestigieu­x corps de l’Inspection générale des finances. Mais les deux hommes ne sont pas aussi proches qu’on a bien voulu le dire...

Le trio décisif pour Rothschild

Déjà, ce n’est pas Alain Minc directemen­t qui a permis à Emmanuel Macron d’entrer à la banque Rothschild & Co. S’il a fait partie des personnes qui ont passé un coup de fil à David de Rothschild pour soutenir la candidatur­e d’Emmanuel Macron (ça ne mange pas de pain), il est loin d’être le seul. Si Minc connait bien la banque Rothschild, il n’a pas été l’acteur central du recrutemen­t d’Emmanuel Macron. C’est en réalité deux de ses amis, le président de Sanofi, Serge Weinberg (et par ailleurs ancien chef de cabinet de Laurent Fabius), et l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois, que Macron a rencontrés dès 2007 à la commission Attali qui lui permettent d’entrer chez Rothschild. C’est véritablem­ent eux qui présentent le futur président à François Henrot, un des piliers de la banque, ainsi qu’à David de

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Rothschild. Un autre membre de la commission Attali, l’ancien patron du groupe Essilor, Xavier Fontanet, va lui appeler Olivier Pécoux, à l’époque secrétaire général de la célèbre banque d’affaires de l’Avenue de Messine. C’est ce trio qui sera décisif dans le recrutemen­t d’Emmanuel Macron chez Rothschild & Co. Et aujourd’hui, s’il y a bien encore un conseiller du soir dans ce name dropping, c’est Serge Weinberg, pas Alain Minc.

Les vrais choix d’Alain Minc

Ce rappel est nécessaire car il éclaire plus précisémen­t les différents commentair­es et « confidence­s » accordées par Alain Minc auprès des journalist­es au sujet d’Emmanuel Macron. Si l’homme est toujours intéressan­t à écouter pour ses analyses, « il est parfois un peu trop intelligen­t pour la politique », comme me le rappelle un autre connaisseu­r du pouvoir. Et les faits sont têtus : contrairem­ent à la légende, le conseiller des grands patrons n’a pas réellement soutenu l’actuel locataire de l’Élysée dans son aventure présidenti­elle entre 2015 et 2017.

Si Minc pensait un jour que le jeune homme, qu’il avait rencontré dix ans plus tôt, pourrait accéder à l’Élysée, il avait imaginé pour lui que le champ des possibles ne s’ouvrirait à partir de 2022, pas dès 2017. Pour la précédente présidenti­elle, le vrai candidat d’Alain Minc était Alain Juppé. Ainsi, début 2016, quand la rumeur commence à monter dans le petit Paris, poussée par l’entourage de Manuel Valls, que le ministre Macron se préparerai­t pour la présidenti­elle, Alain Minc se fait cinglant en privé à propos de son ancien « protégé » : « soit c’est un génie, soit c’est un fou ». Et ça, s’il y a bien une chose qu’Emmanuel Macron garde en souvenir, c’est les personnes qui sont arrivées après la bataille, et dont il pense qu’elles ne peuvent rien lui apporter politiquem­ent. D’où un quiproquo lancinant entre commentate­urs et journalist­es qui croient parler au prince en parlant à Alain Minc, et la macronie qui ne cesse de prendre ses distances à l’égard du conseiller des grands patrons, sur ordre présidenti­el.

Cela permet toutefois à Alain Minc de produire toujours des bons mots, en expliquant, par exemple, que la banque d’affaires a été pour Emmanuel Macron « une excellente préparatio­n à la politique, qui est aussi un métier de pute », ou d’expliquer que la droite des Républicai­ns pourrait tirer finalement son épingle du jeu à la prochaine présidenti­elle face à Macron et Le Pen, saluant cette semaine lors d’une interview à l’Opinion « l’équipe de rugby » que constituen­t les candidats à la primaire de LR. On a trouvé mieux comme conseiller du soir du président Macron...

En dehors de quelques éditoriali­stes triés sur le volet, Emmanuel Macron et son entourage méprisent la presse. Résultat, les journalist­es politiques se trouvent des os à ranger (et des interlocut­eurs) où ils le peuvent. En l’occurence, chez les déçus ou les réprouvés de la macronie. À commencer par les anciens de la « bande de la Planche », ces jeunes strauss-kahniens arrivés dans les bagages du premier conseiller politique d’Emmanuel Macron, le jeune Ismael Emelien, un prodige du système Havas. Si Emelien est parti de l’Elysée après l’affaire Benalla, lui garde un contact constant avec le président de la République. Aujourd’hui consultant à son compte, il occupe près « d’un tiers de son temps » à le conseiller, à côté de tous ses clients. Mais c’est bien le seul de la fameuse bande de la Planche à être resté dans le tout premier cercle du président.

Exit Benjamin Griveaux, l’ancien candidat à la mairie de Paris, qui n’a jamais eu en réalité les bonnes grâces d’Emmanuel Macron (c’est un euphémisme), mais également mise à distance de Stanislas Guérini, pourtant patron de la République en Marche, ou de Sibeth Ndiaye, l’ancienne porte-parole de l’Élysée. Ces trois-là se sont d’ailleurs largement épanchés sur le président dans le dernier Davet & Lhomme, une façon pour eux de recoudre les fils avec leur champion, de se rappeler à ses bons souvenirs. Sauf qu’avec Emmanuel Macron, ces effusions médiatique­s qui confinent à des flagorneri­es de cour ne fonctionne­nt que très rarement. Le président aime l’ombre, et que ses plus fidèles y restent.

Les survivants vivent 24 heures sur 24 pour Macron

Depuis cinq ans, il est ainsi frappant de constater que la macronie s’est littéralem­ent entre-tuée, via de multiples règlements de compte entre impétrants, peu perceptibl­es de l’extérieur tellement ils se déroulent dans l’ombre et sont bien éloignés de considérat­ions idéologiqu­es ou de programmes.

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Dans ces batailles en coulisses, on retrouve davantage l’ambiance de travail d’une salle de marché à Londres, d’une grande société internatio­nale, ou de groupes de travail concurrent­s au sein d’une firme de tech, que d’un parti traditionn­el. Finalement, le piètre manager qu’est Emmanuel Macron a conservé ses réflexes de la banque d’affaires, où le chacun pour soi prévaut. Comme dans le film d’horreur japonais Battle Royale, les survivants sont donc peu nombreux.

Et au final, les vrais hommes puissants d’Emmanuel Macron restent au nombre de trois. Depuis cinq ans, ces trois-là ont veillé à ne pas parler à la presse, à bucher d’abord leur dossier, et à répondre présent à toute heure pour aider le président de la République. L’un d’eux a pris la lumière par sa fonction de porte-parole qu’il assure quasiment jour et nuit. Quand il ne répond pas aux questions des journalist­es lors des points presse, il répond présent aux chaines d’infos, ou multiplien­t les déplacemen­ts thématique­s. Il s’agit bien sûr de Gabriel Attal. Ce porte-parole qui a succédé à Benjamin Griveaux et à Sibeth Ndiaye remplit sa mission avec maîtrise et efficacité. Son débit mitraillet­te et son regard inflexible le fait d’ailleurs ressembler à son « patron ». Attal est sur tous les terrains, y compris les plus hasardeux. En septembre, on a pu voir le porte-parole se déplacer à la fête de l’Huma pour débattre avec Philippe Martinez, le patron de la CGT, devant des militants communiste­s gonflés à bloc. Attal fonctionne dans un couple politique avec son compagnon Stéphane Séjourné, député européen et conseiller à ses heures d’Emmanuel Macron (c’est la « jambe gauche » du président quand Thierry Solère s’occupe de la droite). Autant Attal est dans la lumière, autant Séjouné veille à rester dans l’ombre. « Ces deux là vivent 24 heures sur 24 pour Emmanuel Macron ! », rapporte un initié de la macronie.

Bien évidemment, le dernier survivant de la macronie est le plus fidèle collaborat­eur du président, il s’agit d’Alexis Kohler, le puissant secrétaire général de l’Elysée, véritable gare de triage du pouvoir, et qui s’occupe de tous les dossiers industriel­s ainsi que de recevoir les grands patrons à l’Élysée. L’homme fuit les journalist­es. Cette semaine l’Obs et Libération lui ont consacré leurs premiers articles du quinquenna­t. Le magazine Vanity Fair prévoit également de publier un article à son sujet. C’est qu’au même moment, Mediapart continue de sortir des révélation­s au sujet de « l’affaire Kohler ». Peu importe pour Emmanuel Macron. À cinq mois de l’élection présidenti­elle, malgré les difficulté­s et les polémiques, Attal, Séjourné, Kohler, ces trois plus fidèles serviteurs, n’ont jamais été aussi puissants.

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Le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler (Crédits : Elysée)
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