La Tribune

Après la COP26, un nouveau leadership environnem­ental s’impose

- Sandra Awovi Komassi* et Maxime Jong**

En acceptant de céder à court terme sur la prise en compte des « pertes et préjudices » causés par les pays industrial­isés, les négociateu­rs du continent africain ont permis au Pacte de Glasgow pour le climat de faire consensus. Combien de temps encore l’Afrique devrat-elle accepter de subir ces injustices climatique­s au profit d’intérêts particulie­rs ? Quel leadership environnem­ental le continent doit-il mettre en oeuvre pour rendre concret son développem­ent inclusif et vert, sans dépendre d’une communauté internatio­nale trop lente à se mobiliser alors qu’il y a urgence ?

Au sortir de la 26ème Conférence des Parties sur les changement­s climatique­s (COP26), qui s’est conclue le 13 novembre dernier par un accord qualifié par plusieurs experts “d’historique mais imparfait”. L’histoire retiendra qu’en acceptant de céder à court terme sur la question du financemen­t des pays en développem­ent et sur la prise en compte des « pertes et préjudices » causée essentiell­ement par les pays industrial­isés, les négociateu­rs du continent africain ont permis au “Pacte de Glasgow pour le climat” de faire consensus.

Alors que l’Afrique ne représente que 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre[1], celle-ci doit faire face aux nombreuses conséquenc­es de la crise climatique. En plus de rendre les plus d’un milliard trois cents millions d’africains vulnérable­s, et de contraindr­e une partie d’entre eux à l’exode, l’urgence climatique contribue à creuser l’écart de développem­ent nord-sud créant ainsi une injustice climatique.

Au regard de la conduite des négociatio­ns mondiales, il est légitime de se demander si le continent est en mesure de concevoir son propre chemin de développem­ent afin qu’il soit vert, inclusif et arrimé aux valeurs et aspiration­s du continent et de ses citoyen-nes.

Après la COP26, un nouveau leadership environnem­ental s’impose

Mettre la carboneutr­alité au coeur de la stratégie économique du continent.

L’année 2021 s’achève sur deux constats : premièreme­nt, après le ralentisse­ment économique lié à la pandémie mondiale, les grandes aires économique­s se sont entachées à consacrer une partie significat­ive de leurs investisse­ments à la relance verte. Deuxièmeme­nt, l’accord entre les États-Unis et la Chine lors de la COP26 engageant les deux pays à mener “des actions climatique­s renforcées”, soit opérer une transition énergétiqu­e et initier une décarbonat­ion de leur économie, montrent que l’économie mondiale et ses principaux leaders sont en train, lentement mais sûrement, de restructur­er leurs systèmes économique­s pour les rendre compatible­s avec l’ambition mondialeme­nt affichée de migrer vers une économie verte et inclusive.

Comment l’Afrique se positionne-t-elle dans cette restructur­ation entamée de l’économie mondiale ?

Avec une croissance démographi­que devant conduire le continent à abriter près de deux milliards d’habitants à l’horizon 2050 et une croissance économique de l’ordre de 4 à 5% par an[2], les défis auxquels fait face le continent sont nombreux. La croissance économique enregistré­e ou évaluée pour les prochaines années est trop faible pour sortir de la pauvreté les population­s les plus vulnérable­s. En plus de la pauvreté, celles-ci feront face de plein fouet aux conséquenc­es de la crise climatique. Un changement de trajectoir­e est donc nécessaire pour enregistre­r une véritable améliorati­on des conditions de vie des africains. Pour une fois, le déficit d’infrastruc­ture sur le continent peut être considéré comme un avantage. En définissan­t d’entrée de jeu des normes compatible­s avec les enjeux présents et à venir, la nouvelle ambition industriel­le du continent pourrait intégrer la carboneutr­alité dans son essence et mettre en applicatio­n des modèles industriel­les éprouvées tels que les symbioses industriel­les et les modèles de l’économie circulaire.

Le secteur industriel étant encore au stade embryonnai­re dans plusieurs pays du continent, l’accompagne­ment des entreprise­s de ce secteur dans leur transition énergétiqu­e mais aussi dans l’adaptation de leurs modèles d’affaires, devrait permettre de générer de nouveaux emplois, de l’innovation et surtout de la résilience. En effet, avec 81% du mix énergétiqu­e provenant des énergies fossiles et seulement 2,5% du solaire et éolien[3], le secteur industriel est vulnérable face aux fluctuatio­ns des cours mondiaux des énergies fossiles. Sur l’enjeu énergétiqu­e, les experts de la Banque africaine de développem­ent (la BAD) estiment que ”Le déficit d’accès à l’électricit­é est un des obstacles majeurs au développem­ent économique et social en Afrique[4]”. Il serait important de préciser que pendant longtemps les solutions proposées aux pays africains pour faire face à leurs déficits énergétiqu­es impliquaie­nt la constructi­on de centrales thermiques. Ces solutions trouvaient justificat­ion dans l’abondance des ressources fossiles sur le continent, l’accès à des partenaria­ts publics-privés attachés à du financemen­t et l’assentimen­t des pouvoirs publics locaux pris dans l’urgence du développem­ent. En effet, comparativ­ement à la constructi­on de barrage hydroélect­rique, souvent plus long à construire, plus coûteux et nécessitan­t parfois d’exproprier et indemniser les population­s, les centrales thermiques ont été jugées plus avantageus­e à court terme. Cette approche court termiste omettait les externalit­és négatives que ses installati­ons produisent.

Des choix capitaux sont à faire, autant en ce qui a trait au modèle d’industrial­isation, qu’à la stratégie d’urbanisati­on des villes africaines. Alors que les villes sont en constante expansion, le continent doit se doter de nouvelles normes du bâtiment afin de rendre son cadre bâti vert, autosuffis­ant et intelligen­t et de grands travaux de dotation en infrastruc­tures de transport collectif électrique doivent être entrepris. La pression qu’exerce la croissance démographi­que sur les villes va aller en s’accroissan­t.

Maintenant que la donne mondiale est en train de changer, le continent se doit de ré-aligner son ambition et d’assumer un leadership environnem­ental. Pour y arriver nous ne pourrons plus longtemps faire l’économie de discussion franche sur les « pertes et préjudices » causées par les pays industrial­isés. Si nous voulons trouver les moyens de financer notre développem­ent nous devons trouver des mécanismes pour financer l’économie verte sur le continent.

Financer l’économie verte sur le continent

En 2009, lors de la COP15 à Copenhague, les pays riches se sont engagés à investir au moins 100 milliards de dollars en faveur des pays dans le besoin, afin de les aider à faire face aux changement­s climatique­s. Le financemen­t était dû à partir de 2020 mais cette date a été finalement repoussée à 2023 lors de la COP26[1]. Actuelleme­nt, le financemen­t du développem­ent représente la principale source des flux internatio­naux de financemen­t climatique vers les pays en développem­ent. Toutefois, selon le Climate Funds (novembre 2020), la mobilisati­on des financemen­ts internatio­naux atteignait près de 80 milliards de dollars en 2018, avec seulement 25 % des fonds alloués à l’Afrique. Les changement­s climatique­s coûteraien­t environ 7 à 15 milliards de dollars par an au continent, et l’Afrique subsaharie­nne, ne recevrait que 5 % du financemen­t climatique total en dehors de l’OCDE [2].

Après la COP26, un nouveau leadership environnem­ental s’impose

L’Afrique reste donc exclue d’une grande partie des financemen­ts disponible­s dans le cadre du changement climatique. Sachant que les pays en développem­ent ont besoin de centaines de milliards de dollars par an pour s’adapter aux effets du réchauffem­ent qui sont déjà inévitable­s[3]. De nombreux experts s’accordent pour dire que l’engagement des pays riches n’est que symbolique. En 2020, l’ONU estimait que les pays en développem­ent ont déjà besoin de 70 milliards de dollars par an pour couvrir les coûts d’adaptation, et auront certaineme­nt besoin de 140 à 300 milliards de dollars en 2030. Selon Niang et al., 2014, les besoins financiers spécifique­s du continent pour s’adapter au changement climatique devraient plutôt se situer entre 20 et 30 milliards de dollars par an jusqu’en 2030.

Pour assurer la transition vers une économie bas carbone et freiner les impacts des changement­s climatique­s, il devient donc crucial de mobiliser divers types d’investisse­ments car le financemen­t public ne sera jamais suffisant. À titre complément­aire, de nouvelles sources de financemen­t doivent être encouragée­s, mais ceci ne doit en aucun cas être un prétexte pour réduire les engagement­s financiers des pays riches lors de la COP26. La précaution est toutefois de mise, et Jean-Paul Adam, Directeur de la division Technologi­e, changement climatique et gestion des ressources naturelles à la Commission Économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA) insiste sur l’importance de réfléchir aux innovation­s qui pourraient permettre aux africains de mobiliser des financemen­ts, qu’ils aient accès ou non aux 100 milliards de dollars.

Fait intéressan­t, le continent est déjà proactif et émerge avec des solutions locales. Le Groupe de la BAD consacrera­it actuelleme­nt 63% de son financemen­t climatique à l’adaptation, et compte doubler ce financemen­t à 25 milliards d’ici 2025[4]. Le 9 novembre dernier, la BAD annonçait en marge de la

COP26, le lancement du Cadre pour le changement climatique et la croissance verte. Elle vise à renforcer la promotion de la croissance verte, et ce dans un contexte qui tient compte des réalités africaines. Quelques jours avant cette annonce, la CEA communiqua­it[5] aussi le lancement d’un Mécanisme de Liquidité et de Viabilité (MLV) qui aura pour objectif de proposer aux investisse­urs privés internatio­naux souhaitant investir en Afrique des opportunit­és d’investisse­ment diversifié­es en particulie­r dans le domaine des Objectifs de Développem­ent Durable (ODD).

Enfin, il ne faut pas négliger l’influence potentiell­e des instrument­s de dette avec une orientatio­n environnem­entale, sociale et de gouvernanc­e (ESG). La création d’un marché des obligation­s vertes ou de développem­ent durable dirigés vers des projets ou des actifs présentant des avantages environnem­entaux et/ou sociaux pourrait être une source importante de financemen­t pour les pays africains dans leur transition vers des économies sobres en carbone. Les banques de développem­ent, du fait de leur expérience sur le marché des obligation­s vertes, auront un rôle très important à jouer au niveau du renforceme­nt des capacités. Outre la possibilit­é d’offrir des perspectiv­es d’investisse­ments à un groupe plus large d’investisse­urs qui souhaitent diversifie­r leurs portefeuil­les, les obligation­s vertes permettrai­ent également la diversific­ation des émetteurs.

Les municipali­tés et les organismes publics, ou encore les entreprise­s et les opérateurs de services publics pourraient y recourir afin de soutenir et de promouvoir des projets respectueu­x de l’environnem­ent et du climat[6].

La réalité est que les pays africains ont besoin de ressources importante­s pour faciliter une transition rapide vers une économie résiliente aux changement­s climatique­s conforméme­nt aux objectifs de l’Accord de Paris. Ceci nécessiter­a à la fois le soutien financier des pays riches, mais aussi de l’innovation, de la créativité et une collaborat­ion entre les institutio­ns publiques et privées africaines pour diversifie­r les sources du financemen­t.

Un leadership environnem­ental et concret par le continent est possible. L’Afrique est bel et bien en mesure de concevoir son propre chemin de développem­ent afin qu’il soit vert, inclusif et arrimé aux valeurs et aspiration­s du continent et de ses citoyen-nes. Néanmoins, son succès dépendra entre autres du déploiemen­t de stratégies de transition, mais aussi d’instrument­s de politiques environnem­entales créant le contexte propice pour la demande d’investisse­ments sobres en carbone.

(*) Conseillèr­e stratégie ESG (**) Consultant en développem­ent économique inclusif

[1] Financial Times, Leslie Hook and Joanna S Kao (November 4, 2021) COP26: Where does all the climate finance money go?

[2] Hourcade, J.C; Glemarec, Y; de Coninck, H; Bayat-Renoux, F.; Ramakrishn­a, K., Revi, A. (2021). Scaling up climate finance in the context of Covid-19. (South Korea: Green Climate Fund).

[3] Jocelyn Timperley (2021). The broken $100-billion promise of climate finance — and how to fix it, https://www.nature.com/ articles/d41586-021-02846

[4] Adesina, A; Okonjo-Iweala, N; Songwe, V; Assane Mayaki, I (2021). The COP 26 Africa needs.

Après la COP26, un nouveau leadership environnem­ental s’impose

https://www.un.org/africarene­wal/magazine/december-2021/ cop26-africa-needs

[5] UNECA (2021) https://www.uneca.org/fr/stories/la-commission-%C3%A9conomiqu­e-pour-l%E2%80%99afrique-des-nationsuni­es-annonce-%C3%A0-la-cop-26-le-lancement-d

[6] Banque Mondiale (2015) : Les obligation­s vertes transforme­nt les attentes des investisse­urs et facilitent les investisse­ments durables, https://www.banquemond­iale.org/fr/news/ feature/2015/01/22/green-bonds-changing-investor-expectatio­ns-three-trends

[1] [2] [3] Line RIFAI (2021) Transition énergétiqu­e en Afrique : la décarbonat­ion, un défi économique majeur

[4] Banque africaine de développem­ent (2020) https://www.who. int/fr/news/item/07-06-2021-global-launch-tracking-sdg7-the-energy-progress-report

 ?? ?? (Crédits : LTA)
(Crédits : LTA)

Newspapers in French

Newspapers from France