La Tribune

Pour arrêter le variant “Omicron”, fermer les frontières n’est pas la solution

- Anthony Zwi

OPINION. Étant donné que le variant Omicron s’est déjà propagé au-delà de l’Afrique australe, l’interdicti­on des voyageurs en provenance de cette zone ralentira sa propagatio­n, mais ne la stoppera pas. Par Anthony Zwi, UNSW.

La découverte du variant B.1.1.529 du SARS-CoV-2, baptisé « Omicron » par l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), suscite l’inquiétude au niveau mondial, et a mis la planète en état d’alerte général. Et pour cause : l’OMS l’a déclaré « variant préoccupan­t » , car sa protéine Spike présente un large éventail de mutations, ce qui fait craindre que les vaccins et les traitement­s actuels s’avérent moins efficaces pour le combattre.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour en être certain, Omicron semble par ailleurs être capable de réinfecter les gens plus facilement que les autres souches. Suivant l’exemple des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et de l’Union européenne notamment, l’Australie a elle aussi fermé ses frontières aux voyageurs en provenance de plusieurs pays d’Afrique australe.

Les citoyens australien­s qui cherchent à rentrer chez eux depuis l’Afrique australe pourront le faire, mais à leur arrivée ils devront rester en quarantain­e à l’hôtel et passer des tests. Ceux qui, au cours des deux semaines passées, sont revenus des neuf pays concernés - Afrique du Sud, Namibie, Zimbabwe, Botswana, Lesotho, Eswatini, Seychelles, Malawi et Mozambique - devront quant à eux s’isoler.

Le problème est qu’Omicron a déjà été détecté dans d’autres régions du monde que l’Afrique, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Israël, à Hong Kong et en Belgique. Ainsi, si une interdicti­on de voyager dans les pays d’Afrique australe peut ralentir sa propagatio­n et faire gagner un peu de temps, il est peu probable qu’elle suffise à l’arrêter complèteme­nt.

Pour arrêter le variant “Omicron”, fermer les frontières n’est pas la solution

Les gouverneme­nts d’Australie et d’autres pays mettent en place ces restrictio­ns pour tenter de protéger leurs propres citoyens. Cependant, ces mesures devraient s’accompagne­r d’un déblocage de ressources supplément­aires destiné à soutenir les réponses mises en place par les pays d’Afrique australe et d’ailleurs.

Quand Omicron a-t-il été détecté ?

Ce variant a été identifié le 22 novembre en Afrique du Sud, à partir d’un échantillo­n prélevé sur un patient le 9 novembre.

Les virologues sud-africains ont agi rapidement : ils se sont entretenus avec leurs collègues par l’intermédia­ire du Réseau de surveillan­ce génomique en Afrique du Sud, et ont assuré la liaison avec leur gouverneme­nt tout en informant l’Organisati­on mondiale de la santé, le 24 novembre.

Cette démarche est conforme au Règlement sanitaire internatio­nal, qui fixe les directives selon lesquels les pays sont censés réagir dans un tel contexte.

La façon dont se comporte ce nouveau variant n’est toujours pas claire. Certains spécialist­es ont affirmé que le taux de croissance des infections par Omicron, qui reflète sa transmissi­bilité, pourrait être encore plus élevé que celui du variant Delta. Cela reste à prouver, mais si c’est le cas, il s’agit d’une informatio­n préoccupan­te.

Une réaction « réflexe » qui diffère des recommanda­tions de l’OMS

Les scientifiq­ues et les hommes politiques africains ont été déçus par la mise en place des mesures dʼinterdic­tion, qu’ils considèren­t comme une réaction « réflexe » de la part des pays qui les imposent. Ils affirment qu’elles auront des effets négatifs importants sur l’économie sud-africaine, qui accueille traditionn­ellement des touristes du monde entier pendant la période estivale de fin d’année.

Ils soulignent également que l’on ne sait toujours pas si ce nouveau variant provient effectivem­ent d’Afrique du Sud, même s’il y a été identifié pour la première fois. Étant donné qu’Omicron a déjà été détecté dans plusieurs autres pays, il se peut qu’il circule déjà dans des régions non incluses dans les interdicti­ons de voyages.

Par ailleurs, l’OMS ne recommande généraleme­nt pas la mise en place d’interdicti­ons de vol ou d’autres formes d’embargo sur les voyages. Elle préconise plutôt de donner la priorité aux interventi­ons dont l’efficacité est avérée : vaccinatio­n, hygiène des mains, distanciat­ion physique, masques bien ajustés et bonne ventilatio­n.

Pour faire face à l’émergence de variants préoccupan­ts, l’organisati­on appelle tous les pays à renforcer la surveillan­ce et le séquençage, à signaler les premiers cas ou groupes de cas et à entreprend­re des enquêtes afin de mieux comprendre la façon dont ils se comportent. Or, les restrictio­ns de voyages imposées aux pays qui détectent de nouveaux variants, et les pertes économique­s qui en découlent, pourraient à l’avenir dissuader certains pays de révéler la présence de variants préoccupan­ts sur leur territoire.

Le variant Omicron doit être pris au sérieux, car ses caractéris­tiques sont inquiétant­es. Mais nos connaissan­ces actuelles à son sujet sont encore largement lacunaires. Tandis que sont entreprise­s des analyses plus approfondi­es, il convient de le surveiller en permanence, et de contrôler sa disséminat­ion en appliquant le triptyque de mesures de santé publiques désormais bien connu : tester, tracer, isoler.

Que peuvent faire les pays à haut revenu pour aider ?

Les pays comme l’Australie doivent aider les nations africaines et les autres pays à partager les alertes précoces concernant les menaces de maladies transmissi­bles potentiell­ement graves, et contribuer à atténuer ces menaces.

Comme l’a noté le Groupe indépendan­t sur la préparatio­n et la réponse aux pandémies en mai :

« (...) les acteurs de la santé publique ne voient que des inconvénie­nts à attirer l’attention sur une épidémie qui a le potentiel de se propager. »

Ce groupe d’experts recommande de créer des incitation­s afin de récompense­r les actions de réaction rapide. Celles-ci pourraient inclure divers soutiens afin :

●●dʼétablir des partenaria­ts dans les secteurs de la recherche et de l’éducation ;

●●de renforcer les systèmes de santé et la surveillan­ce des maladies transmissi­bles ;

●●dʼaméliore­r considérab­lement la disponibil­ité des vaccins, améliorer leur mise à dispositio­n et veiller à l’équité de leur distributi­on ;

●●dʼenvisage­r une compensati­on financière, qui pourrait prendre la forme d’un de fonds de solidarité contre le risque de pandémie.

Pour arrêter le variant “Omicron”, fermer les frontières n’est pas la solution

Il est essentiel de renforcer la couverture vaccinale

Les vaccins demeurent le principal pilier dans la protection contre les effets les plus graves du COVID-19. Bien que leur degré d’efficacité contre le variant Omicron ne soit pas encore clair, il est probable qu’ils confèrent au moins un certain niveau de protection. Si nécessaire, le laboratoir­e Pfizer a également indiqué qu’il était en mesure de développer un vaccin efficace contre un nouveau variant tel que celui-ci en une centaine de jours.

La persistanc­e de la pandémie de Covid-19 est en partie attribuabl­e à une couverture vaccinale inégale dans de nombreuses régions du monde, notamment dans les pays les moins développés. L’Afrique du Sud elle-même est mieux lotie que la plupart des pays du continent, mais 24 % seulement de sa population adulte est pour l’instant complèteme­nt vaccinée. À l’échelle de l’Afrique, ce chiffre tombe à 7,2 %. Une aide internatio­nale plus importante est nécessaire de toute urgence pour améliorer ces taux de vaccinatio­n.

À lire aussi : Yes, export bans on vaccines are a problem, but why is the supply of vaccines so limited in the first place?

Les institutio­ns et les dirigeants africains, soutenus par des experts en santé globale et en vaccinolog­ie, ont plaidé en faveur de l’installati­on d’usines de production de vaccins à ARNm sur le continent africain. Celles-ci permettrai­ent de donner la priorité aux population­s régionales, de surmonter les problèmes des chaînes d’approvisio­nnement et de répondre en temps réel aux menaces de maladies émergentes.

Pourtant, les pays en développem­ent se heurtent à d’importants obstacles lorsqu’il s’agit d’obtenir les accords de propriété intellectu­elle relatifs au développem­ent et à la production de vaccins contre le Covid-19.

Alors qu’il reste encore beaucoup à apprendre à propos du comporteme­nt et de l’impact d’Omicron sur la pandémie, la communauté internatio­nale doit faire montre de son engagement à soutenir réellement les pays qui adoptent des comporteme­nts appropriés dans la lutte contre la Covid-19, en partageant rapidement et de manière transparen­te les informatio­ns qu’ils détiennent. ______

Par Anthony Zwi, professor of Global Health and Developmen­t, UNSW (Sydney)

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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(Crédits : EVA PLEVIER)
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