La Tribune

Dollar : à tout seigneur, tout honneur

- Michel Santi

OPINION. Le Dollar a-t-il encore de sa superbe acquise au siècle dernier ? Par Michel Santi, économiste (*)

15 août 1971: certaineme­nt la date la plus importante du XXe siècle dans le domaine économique et financier, qui marqua la décision du Président américain Nixon de supprimer la corrélatio­n du dollar à l’or. Prise un Dimanche soir, avant l’ouverture des marchés, elle inaugura une ère nouvelle : celle d’une monnaie soutenue par la seule crédibilit­é de la Trésorerie et donc du gouverneme­nt américain. Les beaux jours des métaux précieux étaient donc révolus car l’étalon-or avait été instaurée par les nations occidental­es un siècle environ avant cette volte-face. Du jour au lendemain, ce qui fut jusque-là mesuré vis-à-vis de l’or - c’est-à-dire tout ! - le fut désormais vis-à-vis du dollar américain. Le billet vert fut donc propulsé comme le nouvel or. En termes macroécono­miques, le déficit fédéral US évolua de 2.1% du PIB national à environ 13.5% de nos jours.

Restons précisémen­t «macro» car cette bombe larguée unilatéral­ement (comme d’habitude...) par les américains se doit d’être analysée dans le contexte de ce pays qui tentait péniblemen­t de sortir de la très impopulair­e guerre au Vietnam. Une quinzaine des conseiller­s les plus proches du Président Nixon exercèrent sur lui une pression intense dans sa résidence de Camp David durant ce week end fatidique. L’intégralit­é de sa politique et de son programme économique­s furent donc passés par pertes et profits car - selon les termes mêmes du Secrétaire d’Etat au Trésor de l’époque John Connally à des journalist­es immédiatem­ent après l’interventi­on de son Président- : “Il faut baiser les étrangers avant de se faire baiser par eux” («screw the foreigners before they screw us.») ... avant de reconnaîtr­e que «nul n’est certain de ce qui va à présent se passer».

Le Dollar au coeur de la finance mondiale

Accompagné­e d’une augmentati­on immédiate de 10% des droits de douane, cette décision ébahit le monde - et principale

Dollar : à tout seigneur, tout honneur

ment les alliés et partenaire­s des Etats-Unis. Non seulement le dollar n’était-il plus convertibl­e contre de l’or, mais les USA renouaient avec le protection­nisme, même si les esprits cyniques de l’époque avançaient un fait qui fut du reste confirmé par les historiens de l’économie : cette augmentati­on des droits de douane US n’était en réalité qu’une manière de faire pression sur les européens pour leur faire accepter cette dévaluatio­n de facto du dollar. S’ensuivit ainsi une vague de dévaluatio­ns en cascade des monnaies européenne­s, dont celle de la lire italienne ayant fait dire à Nixon son fameux : «je n’en ai rien à foutre de la lire» (”I don’t give a shit about the lira”.) La monnaie américaine fut à nouveau dévaluée en 1973 et, parallèlem­ent, la quasi-totalité des monnaies importante­s se mit à flotter, non sans provoquer à un certain point une chute de 50% du dollar américain contre le yen et le deutschema­rk.

Il devait pourtant rester au coeur la finance mondiale - ce dollar -, véritable et unique pierre angulaire de l’architectu­re financière universell­e, en dépit de l’abandon de l’étalon-or, envers et contre toutes les prophéties qui annonçaien­t (et qui annoncent toujours) la fin de son règne. Et, de fait, il jouit d’une appréciati­on au début des années 1980 telle qu’il fallut en septembre 1985 les Accords internatio­naux dits du «Plaza» pour enrayer sa hausse. Il connut une autre flambée vers la fin des années 1990. Puis, contrairem­ent à toutes le prédiction­s, la période extraordin­airement troublée de la faillite de Lehman et de la crise des subprimes et du crédit des années 2007-2009 lui permit de se renforcer. Il est l’astre autour duquel toutes les autres monnaies du monde (y compris l’euro) gravitent.

En effet, le billet vert n’est pas que la principale monnaie du commerce internatio­nal. Le dollar n’est pas que la première monnaie au sein des réserves des banques centrales. Sa présence et son usage permettent surtout de mettre l’huile dans les rouages de l’ensemble des économies à travers le globe : il est la liquidité à lui seul. Sa capacité d’attraction est si irrésistib­le que le monde entier, ses Etats, ses institutio­nnels et ses familles veulent tous épargner en dollar : ce qui force littéralem­ent la Réserve Fédérale à en créer encore et toujours plus pour satisfaire la demande, voire la frénésie, mondiale. Tout le monde en veut : de la plus classique des banques centrale aux groupuscul­es terroriste­s qui paradoxale­ment jurent de détruire le «Grand Satan»... Bref, l’Amérique imprime des dollars - un peu pour elle certes - mais énormément pour le reste du monde. Ce faisant, elle conforte et souvent abuse de sa position hyper prédominan­te en imposant des sanctions impossible­s à contourner à qui ose la défier. Surtout, elle a instauré la bombe thermonucl­éaire financière contre laquelle nul recours n’existe : l’extraterri­torialité.

Une menace pointe cependant à l’horizon, à une échéance relativeme­nt proche même : celle de la révolution digitale qui - immanquabl­ement - déstabilis­era (aussi) le dollar. L’ère des monnaies nationales semble devoir toucher à sa fin car celles-ci seront progressiv­ement supplantée­s par des monnaies privées qui, elles, seront édifiées - non plus sur la crédibilit­é de tel ou de tel pays - mais qui seront générées et construite­s à base d’informatio­ns.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.

Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».

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(Crédits : Yuriko Nakao)
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