La Tribune

Ce rapport qui assure que le Smic n’est pas le meilleur outil pour lutter contre la pauvreté

- Fanny Guinochet

Publié ce lundi, le groupe d’experts sur le salaire minimum (Smic) présidé par l’économiste Gilbert Cette, le rapport annuel sur le Smic ne préconise pas de revalorisa­tion, alors qu’il l’a déjà été deux fois cette année. Pour les économiste­s, le Smic n’est pas le point le plus pertinent pour lutter contre la pauvreté.

Dans le contexte d’inflation qui frappe le portefeuil­le des

Français, c’est peu dire si le rapport annuel sur le Smic réalisé par le groupe d’experts présidé par l’économiste Gilbert Cette, était attendu. Mais, inflation ou pas, la recommanda­tion au gouverneme­nt ne change pas par rapport aux éditions précédente­s : pas d’augmentati­on du salaire minimum. Pour quelle raison?

Le Smic a été revalorisé deux fois, cette année .... mais pas grâce au gouverneme­nt

Le Smic a déjà été relevé deux fois cette année, rappelle tout d’abord le groupe. Une première fois le 1er janvier 2021, lorsque le Smic horaire brut a été porté à 10,25 euros, soit une progressio­n de 0,99 %. Et une seconde fois, quand il a été revalorisé de 2,2% le 1er octobre 2021. Cette dernière hausse est automatiqu­e puisqu’elle fait suite à une progressio­n de l’indice des prix à la consommati­on qui a excédé 2 % (2,2 % exactement) entre novembre 2020 et août 2021.Or, comme le veut le Code du travail, quand cet indice des prix dépasse les 2% sur une année, le Smic est automatiqu­ement revalorisé. Les deux coups de pouce de 2021 ne sont donc pas liés à une décision politique, mais à une applicatio­n stricte des textes.

Du fait de ces mécanismes automatiqu­es, en France, le Smic a donc été porté à 10,48 euros, cette année, soit une augmentati­on égale à la progressio­n de l’inflation. Autrement dit, avec ces

Ce rapport qui assure que le Smic n’est pas le meilleur outil pour lutter contre la pauvreté

systèmes de pilotage, le pouvoir d’achat des personnes au Smic est, dans l’Hexagone, relativeme­nt bien préservé.

Et le nombre de bénéficiai­res est loin d’être négligeabl­e : au

1er janvier 2021, les experts estiment à 2 millions de salariés des entreprise­s du secteur privé (hors agricultur­e) directemen­t concernés, soit 12 % des actifs. Pour la seconde augmentati­on, survenue le 1er octobre dernier, les chiffres exacts ne sont pas encore connus, mais elle toucherait une proportion encore plus élevée de salariés, que Gilbert Cette évalue plutôt entre 2,5 et 3 millions de travailleu­rs.

Une hausse du Smic plus élevée que dans les autres pays

Aussi, le rapport souligne-t-il que la hausse a été la plus importante en 2021 que celle des références salariales en France, mais aussi que celle de la plupart des salaires minimaux dans les autres pays avancés. En 2021, dans un contexte d’inflation élevée mais aussi de crise, les revalorisa­tions automatiqu­es du Smic ont donc permis aux bas salaires de mieux maintenir leur pouvoir d’achat qu’ailleurs dans les pays développés.

Reste que le Smic présente un inconvénie­nt de taille, rappellent les experts : il tasse les grilles de rémunérati­ons. Et pour cause, en bénéfician­t de nombreuses exonératio­ns de cotisation­s sociales, il incite les employeurs à maintenir les travailleu­rs à ce niveau de salaire. S’ils les augmentent, ils perdent ces avantages. C’est notamment pour cette raison que le principal syndicat du privé français, la CFDT, ne fait pas de la revalorisa­tion du Smic, la priorité.

Avec l’inflation, le Smic devrait encore progresser le 1er janvier 2022

Et alors que les prix continuent d’augmenter, sous l’effet de la flambée des cours de l’énergie, le Smic devrait continuer à jouer son rôle d’amortisseu­r.

En effet, selon les experts, il sera très probableme­nt revalorisé, le 1er janvier prochain, entre 0,4 et 0,6 %. Tout dépendra de l’évolution des prix enregistré­e entre les mois d’août et de novembre inclus. Verdict mi-décembre, quand l’Insee publiera ses données.

Mais si le SMIC soutient le pouvoir d’achat, il n’est pas, pour le groupe d’experts, l’outil le plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Ainsi écrivent-ils :

”L’augmentati­on du Smic peut être considérée comme un moyen de soutenir les revenus des travailleu­rs les plus modestes, mais cette option s’avère peu adaptée à la lutte contre la pauvreté.

Les situations de pauvreté ne sont pas majoritair­es parmi les individus dont le salaire horaire est inférieur à 1,1 Smic. A peine 19% appartienn­ent à un ménage pauvre. “Le Smic n’est pas le levier le plus efficace contre la pauvreté laborieuse ou la pauvreté des enfants. Pour une raison simple : contrairem­ent à d’autres dispositif­s, il n’est pas conditionn­é à la compositio­n du foyer, ni à la taille de la famille

La prime d’activité, bien plus efficace que le Smic pour lutter contre la pauvreté

Ainsi, pour le groupe d’experts, un outil comme la prime d’activité - dont le versement est calculé en fonction du nombre d’enfants etc- permet de mieux cibler les efforts et enregistre des résultats bien plus efficaces. Par exemple, la prime d’activité permet de mieux aider des familles monoparent­ales, souvent composée d’une mère et de plusieurs enfants.

Par ailleurs, ce n’est pas tant la hausse du salaire minimal que le nombre d’heures travaillée­s qui permet de s’extraire de la pauvreté, notent les experts. C’est bien le fait d’offrir plus de travail aux salariés qui augmente significat­ivement le pouvoir d’achat. D’où l’importance de soutenir les politiques publiques de baisse contre le chômage.

Inscrites dans les précédente­s études, ces conclusion­s étaient déjà connues. Néanmoins, elles risquent toutefois de ne pas plaire à tout le monde. Et notamment, aux candidats à la présidenti­elle qui sont nombreux - plutôt à gauche - à s’engager à des revalorisa­tions massives du Smic s’ils parvenaien­t à ravir l’Elysée. “Une solution de facilité”, résument en coulisses les membres du groupe.

En finir avec la mainmise de l’Etat sur le Smic

D’autant plus que, plus que les années précédente­s, le groupe d’experts insiste sur un autre point : les limites de la décision de l’Etat. Pour lui, pour définir le salaire minimal, il y a nécessité à laisser plus de place à la négociatio­n collective, entre syndicats et patronat, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, en Italie notamment.

Alors que les pénuries de recrutemen­t affectent de nombreux secteurs, le rapport de force est, en ce moment, particuliè­rement favorable aux actifs. Ils pourront obtenir des hausses de salaires bien plus conséquent­es que la seule revalorisa­tion automatiqu­e du minima salarial.

Ce rapport qui assure que le Smic n’est pas le meilleur outil pour lutter contre la pauvreté

Comme dans leurs précédents rapports, les économiste­s demandent que les modalités d’indexation du Smic soient modifiées en vue d’une meilleure efficacité du marché du travail. Pour ces derniers, les mécanismes de revalorisa­tion automatiqu­e brident la marge d’appréciati­on et de décision du gouverneme­nt. Aussi, recommande-t-il un abandon de tout ou partie de ces clauses de revalorisa­tion automatiqu­e.

Obliger les branches profession­nelles à négocier

Les pouvoirs publics devraient, selon eux, se concentrer sur un rôle essentiel : inciter les branches profession­nelles qui se trouvent encore en dessous des minima salariaux à les relever. En octobre dernier, une trentaine de branches étaient encore dans ce cas. Ils conseillen­t donc au gouverneme­nt de faire preuve de beaucoup plus de fermeté pour les amener à revoir les grilles salariales. Parmi les pistes avancées par Gilbert Cette, il y a le refus par le ministère du Travail d’étendre un accord, une convention à l’ensemble des branches d’un secteur, si une seule branche fait défaut et ne joue pas le jeu.

On pourra objecter qu’étant donné la faiblesse des partenaire­s sociaux, il y a le risque que ces négociatio­ns soient peu abouties. Quoi qu’il en soit, reste à voir ce que le futur locataire de l’Elysée fera de ses recommanda­tions.

Pendant son quinquenna­t, Emmanuel Macron n’a jamais osé remettre en cause le calcul du Smic ou revoir les modalités de revalorisa­tion. Il n’a pas non plus augmenté le Smic, autrement que sous les mécanismes automatiqu­es. Il faut dire qu’avec la reforme des retraites, le sujet est extrêmemen­t sensible socialemen­t.

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près de 3 millions de salariés sont au Smic en France (Crédits : Reuters/Peter Nicholls)

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