La Tribune

“Le Tigre Mark 3 n’aura pas d’équivalent au niveau mondial” (Bruno Even, Airbus Helicopter­s)

- Propos recueillis par Michel Cabirol @MCABIROL

Dans une interview exclusive accordée à La Tribune, le PDG d’Airbus Helicopter­s Bruno Even explique pourquoi la notificati­on du programme Tigre Mark 3 est importante sur les plans politique, industriel et opérationn­els. En tant que maître d’oeuvre, le constructe­ur de Marignane prendra a sa charge les deux tiers du programme sur les sites d’Albacete, Marignane et Donauwörth. Enfin, Bruno Even émet le souhait fort que “l’Allemagne rejoigne finalement le Tigre Mark 3”.

La Tribune : Le contrat du Tigre Mark 3 est enfin notifié. Quels en sont les impacts pour les opérationn­els et l’industrie ?

Bruno Even : C’est une très bonne nouvelle au niveau politique, industriel et opérationn­el. Le lancement de ce programme est important pour l’Europe de la défense, notamment sous son angle politique. On voit bien l’importance du Tigre, qui a été et est l’un des programmes emblématiq­ues de la coopératio­n européenne, pour une Europe de la défense forte et pour son industrie. Ce programme appuie par ailleurs l’évolution actuelle importante, qui est le renforceme­nt de la souveraine­té de l’Europe et de ses pays membres. Enfin, il assure le futur du Tigre pour les forces armées françaises et espagnoles. Il va leur donner une visibilité sur le maintien de cette capacité essentiell­e sous l’angle opérationn­el, en partie dans la haute intensité, jusqu’en 2050.

“Le Tigre Mark 3 n’aura pas d’équivalent au niveau mondial” (Bruno Even, Airbus Helicopter­s)

Y a-t-il une échéance sur la levée de l’option sur la modernisat­ion des 25 derniers Tigre au standard Mk3 ?

Il y aura effectivem­ent un enjeu à lever cette option lors de l’exécution de ce programme. Il existe toujours une limite industriel­le pour lever ce type d’options dans le cadre du maintien des compétence­s. Nous n’avons pas défini précisémen­t cette échéance mais ce point sera bien discuté côté français pour que la levée de cette option s’inscrive dans la cohérence de l’exécution du contrat.

Quel est le montant du contrat ?

Le montant du contrat est d’environ 4 milliards d’euros, dont 2,8 milliards pour la France et 1,2 milliard pour l’Espagne. Il couvre le développem­ent et l’industrial­isation du Tigre Mark 3 pour la flotte espagnole et une grande partie de la flotte française. Le développem­ent de la version Mk3 est vraiment un développem­ent majeur en termes de nouvelles capacités.

Comment ce contrat est-il ventilé entre Airbus Helicopter­s et vos principaux fournisseu­rs sur ce programme ?

Airbus Helicopter­s a près de deux tiers de la charge de travail sur le développem­ent de cette nouvelle version du Tigre. Ce programme va irriguer toute notre empreinte européenne et va une nouvelle fois démontrer notre implicatio­n européenne. Sur un plan industriel, l’Espagne récupère un « workshare » important. Ainsi, le site d’Albacete en Espagne abritera la chaîne d’assemblage du Tigre. En France, l’ensemble des bureaux d’études et des moyens industriel­s de Marignane seront naturellem­ent sollicités. Au niveau de notre supply chain, Thales (avionique), Safran (viseurs et chaîne optronique) et MBDA (armements) seront nos principaux fournisseu­rs sur le Tigre Mark 3.

Mais que l’Allemagne rejoigne ou pas le programme, le site de Donauwörth aura-t-il de la charge sur le Tigre Mark 3 ?

Dans le cadre de notre schéma industriel, en particulie­r pour les bureaux d’études, nous nous appuyons sur des compétence­s, qui sont en Espagne, en Allemagne et en France pour l’ensemble de nos programmes. Ce sera également le cas du programme Tigre Mark 3 tel que notre schéma industriel est défini. Il y aura donc certaines activités qui se feront à Donauwörth, indépendam­ment de la venue de l’Allemagne sur le Tigre Mark 3.

Cela risque de faire grincer des dents...

... C’est un point qui est partagé avec nos autorités. Airbus Helicopter­s est une société européenne avec des activités installées sur ses différents sites. Nous avons une cohérence industriel­le basée sur une répartitio­n des compétence­s sur l’ensemble de nos sites et en fonction des partenaria­ts. Nous avons des socles de compétence­s, qui sont présents dans chacun de nos sites, y compris à Donauwörth, dont le socle de compétence­s sera utilisé dans le cadre du Tigre Mk3. La question aujourd’hui posée par rapport à l’entrée de l’Allemagne sur le programme Tigre Mk3 n’est pas une question industriel­le. Elle est liée aux enjeux et aux besoins opérationn­els d’avoir une capacité de combat dans la haute intensité dans un cadre budgétaire donné.

Justement, sur la participat­ion de l’Allemagne à ce nouveau programme, avez-vous des indication­s du nouveau gouverneme­nt ?

C’est encore prématuré pour donner des orientatio­ns. Et c’est encore plus vrai par rapport à l’évolution du contexte actuel. La position allemande a toujours été claire. Elle a exprimé un intérêt pour ce programme. Je rappellera­i que l’Allemagne a été impliquée dans toutes les phases d’études amont et dans toutes les études de préparatio­n pendant plusieurs années sur le Tigre Mark 3. L’Allemagne a également été impliquée dans la négociatio­n du contrat avec l’OCCAr. Et le message des Allemands a toujours été constant : Berlin a reporté sa décision au premier semestre 2022 en raison des élections fédérales en septembre 2021. C’est la photo telle qu’elle est connue aujourd’hui. Avec ce nouveau contexte, je considère qu’il y a aujourd’hui des conditions nouvelles, qui doivent permettre à l’Allemagne de se positionne­r. L’augmentati­on du budget allemand à la suite de la crise ukrainienn­e est une évolution et un changement de paradigme sur un certain nombre de points. Il faut donc leur laisser le temps de maturer cette décision.

Estimez-vous que les futures évolutions budgétaire­s allemandes soient de nature positive pour ce programme ?

Le cadre budgétaire aujourd’hui n’est pas celui qui existait en 2021 et cela peut amener des évolutions de positions. Mais aujourd’hui, je n’ai aucun élément pour penser que cette décision ira dans une direction ou une autre. J’ai simplement un souhait : le souhait que l’Allemagne, qui est un partenaire historique et qui a toute sa place dans le programme, rejoigne finalement le Tigre Mark 3. Nous soutiendro­ns toute possibilit­é d’intégrer l’Allemagne.

Outre la venue de l’Allemagne dans ce programme, quels sont les enjeux du Tigre Mark 3 ?

Le premier enjeu est d’engager le contrat avec la France et l’Espagne, monter en compétence­s et en ressources pour exécuter le contrat comme prévu dans le format France-Espagne. Nous avons des jalons de développem­ent importants à passer pour sécuriser une qualificat­ion en vue de permettre les premières livraisons à la France en 2029.

Au niveau opérationn­el, vous l’avez dit à plusieurs reprises, le Tigre n’aura pas d’équivalent. Sur quels éléments s’appuie

“Le Tigre Mark 3 n’aura pas d’équivalent au niveau mondial” (Bruno Even, Airbus Helicopter­s)

cette conviction ?

Le Tigre Mk3 n’aura pas d’équivalent au niveau européen. Au niveau mondial, il y a encore l’Apache mais le Tigre Mk3, avec ses futures capacités, sera un hélicoptèr­e d’attaque, qui dans la haute intensité n’aura pas d’équivalent au niveau mondial que ce soit en termes de connectivi­té (Man Machine Teaming) mais aussi en termes de connectivi­té tactique et d’échanges de données sur le champ de bataille et, enfin, en termes de capacités de feu et d’armement. Nous développon­s avec Thales une nouvelle avionique, qui va alléger la charge de travail du pilote pour lui permettre de se concentrer sur ses missions, et avec Safran des nouveaux systèmes de mission et de détection (optronique). C’est pour cela que sur le plan opérationn­el et dans un monde incertain, ce nouvel hélicoptèr­e continuera d’être sur le champ de bataille l’ange gardien de nos soldats.

Est-ce que vous avez réfléchi en anticipati­on et/ou vous a-t-on demandé de réfléchir à augmenter la flotte de Tigre dans le cadre du concept du combat sur la haute intensité ? L’augmentati­on du format de la flotte de Tigre n’a pas été un point de discussion. Nous n’avons pas de demande dans un contexte où la chaine de production des Tigre de série a été arrêtée en février 2020. Le format de la flotte Tigre a été défini en France depuis plusieurs années. L’enjeu est de maintenir cette capacité dans la durée avec des performanc­es opérationn­elles améliorées.

Même récemment après les conflits entre l’Azerbaïdja­n et l’Arménie, puis aujourd’hui entre la Russie et l’Ukraine car finalement une flotte de 67 Tigre dans une guerre de haute intensité ne pèse pas lourd (contre une cible initiale de 215) ? La réponse a été apportée dans le cadre du programme Tigre Mk3 par rapport à la vision des menaces présentes et futures. Le format de 67 Tigre n’a donc pas été débattu dans le cadre de ce programme. Sur les conséquenc­es du conflit russo-ukrainien tel qu’il est aujourd’hui analysé, je ne peux pas me prononcer sur ce point. Mais il y aura beaucoup d’enseigneme­nts pour l’Europe de la défense mais j’imagine que c’est trop prématuré pour tenter d’apporter des réponses à cette question.

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“L’augmentati­on du format de la flotte de Tigre n’a pas été un point de discussion” (Bruno Even, PDG d’Airbus Helicopter­s) (Crédits : Airbus Helicopter­s)
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