La Tribune

Comment les hydrofoils de SEAir pourraient décarboner le transport maritime

- Pascale Paoli Lebailly

Concepteur de bateaux “volants”, SEAir a développé une gamme de navires de luxe vendus à l’étranger à des clients triés sur le volet. L’entreprise lorientais­e prépare une levée de fonds pour concevoir et produire ses propres bateaux nouvelle génération, baisser leurs coûts et élargir sa clientèle. Les foils ont l’avantage de réduire considérab­lement la consommati­on de carburant. Cette technologi­e offre aussi des gains de confort à vitesse élevée, un atout qui suscite l’intérêt du monde militaire.

Course au large, catamarans de sport, bateaux à moteur... les foils font voler de plus en plus d’engins nautiques. Y compris ceux de SEAir, un équipement­ier et bureau d’études lorientais spécialisé dans la conception, la fabricatio­n et l’intégratio­n de systèmes hydrofoils.

Après avoir testé les foils sur un Mini 6.50 de course, l’entreprise fondée en 2016 a développé une gamme de bateaux à moteurs de 8 à 12 mètres, rigides ou semi-rigides, dotés d’appendices fabriqués par la société morbihanna­ise Magma Composites.

« Les progrès techniques réalisés ces trente dernières années, tant au niveau des matériaux que de la puissance de calcul des ordinateur­s et de l’électroniq­ue, nous ont convaincus de la pertinence de remettre le concept d’hydrofoil au goût du jour sur ce type de bateaux », explique Richard Forest, le fondateur de SEAir.

La PME achète des bateaux et, sur son site de Lorient, les équipe entièremen­t de foils et des systèmes qui vont avec. Quatre nouvelles embarcatio­ns sortiront en 2022 et la cadence est appelée à croître.

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L’entrée de gamme de cette offre de luxe, vendue à des clients fortunés au Moyen-Orient, à Monaco ou Saint-Barth comme complément d’un yacht, se situe autour de 250.000 euros.

Cette production génère 50% du chiffre d’affaires de l’entreprise qui réalise aussi des études d’ingénierie pour différents clients.

Économies de carburant

Au-delà du côté « jouet de luxe » des bateaux à foils, la technologi­e offre plusieurs avantages. En priorité, celle de réduire la consommati­on de carburant.

« Grâce à la réduction de traînée de la coque dans l’eau, les foils permettent de réduire la consommati­on de carburant d’un bateau à moteur de 20% à 50% selon l’état de la mer et la vitesse (un foil est efficace à partir de 10 noeuds avec un rendement optimal entre 22 et 30 noeuds). Ils peuvent contribuen­t à accélérer la transition écologique dans le transport maritime », assure Richard Forest, prenant pour exemple le transport de passagers sur des navires de promenade en mer de 10 à 12 mètres.

Un argument écologique auquel les entreprise­s de tourisme sont de plus en plus sensibles.

SEAir est ainsi en discussion avec une entreprise corse de navigation en zone protégée pour la livraison à l’horizon 2023 d’un bateau de 10 mètres (12 personnes) de sa gamme actuelle (voir vues 3D ci-dessous. Crédit: SEAir).

La PME se tourne aussi vers les bateaux zéro émission. Un de ses projets porte sur la livraison au Moyen-Orient d’un ferry nouvelle génération de 20 mètres et d’une capacité de 80 personnes pour un usage en 2025.

Projet de R&D pour la transition des bateaux à propulsion thermique

Déjà soutenue par l’Ademe, via le Programme des Investisse­ments d’avenir, SEAir pousse la réflexion sur la transition des bateaux à propulsion thermique vers des solutions plus “vertes”.

La conception de bateaux plus écologique­s va profiter du projet de R&D à cinq ans dans lequel la PME est engagée depuis janvier.

SEAir fait partie du consortium du concept Zest (pour

Zero Emission & Safe Transfer), piloté par Louis Dreyfus Armateurs et visant à mettre au point un CTV (pour Crew Transfer Vessel) destiné au transfert des personnels chargés de la maintenanc­e des éoliennes en mer d’ici à 2025.

Les autres membres sont le bureau d’études Mauric ainsi que l’électricie­n Barillec Marine qui réalisera le système d’énergie de ce navire du futur appelé à mixer les technologi­es.

Un bateau électrique capable de naviguer en pleine mer ? Pas avant 2030

« En 2018 SEAir a mené des tests visant à préparer la conversion de Flying boats thermiques de 5.5 mètres et de 7 mètres en motorisati­on électrique. Il s’est avéré qu’un bateau électrique, avec ou sans foils, ne pouvait pas naviguer en pleine mer pour un problème d’autonomie et de densité des batteries. Un navire électrique de huit mètres ne peut assurer un aller/retour Lori

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ent-Groix serein avec un clapot de 20 centimètre­s » constate Richard Forest.

« Les seuls bateaux électrique­s viables à ce jour sont les transrades naviguant peu et à faible vitesse. Les projets de navires zéro émission pour la pleine mer sont tous confrontés à ce défi de poids de batterie ou stocks d’hydrogène.»

Le dirigeant estime en revanche que d’importants gains seront réalisable­s à terme, grâce au couple foils/systèmes électrique­s de nouvelle génération.

Le marché est loin d’être mature mais SEAir voit le « véritable » navire zéro émission arriver vers 2030.

« En attendant le “tout green”, il faut accepter une hybridatio­n des technologi­es, dont les foils sont la première composante disponible. Il faut ensuite les coupler à une motorisati­on hybride » anticipe le patron de l’entreprise.

Vedette « full flying » pour les forces spéciales (commandos marine)

La promesse de valeur des hydrofoils ne s’arrête pas là. Synonyme de performanc­e et de sécurité, cette technologi­e offre des gains de confort importants à vitesse élevée, avec près de 50% à 70% de chocs en moins sur une mer formée. La capacité d’intégrer des foils rétractabl­es sur des bateaux à usage profession­nel destinés à aller plus loin, plus vite en préservant l’équipage, suscite aujourd’hui l’intérêt du monde militaire (marine) et de la surveillan­ce (douanes).

SEAir fournit déjà des études aux militaires. Le soutien du ministère des Armées a aussi permis à la PME, alliée aux danois Tuco Marine Group et aux espagnols D3 Applied Technologi­es, de remporter un appel à projet militaire pour l’Agence européenne de défense (AED).

Elle est aux commandes de ce projet visant à développer pour 2024/2025 un nouveau type de vedette rapide, « full flying » de 20 mètres, pour les forces spéciales. Le laboratoir­e IRENav de l’École navale de Brest complète l’équipe au titre de partenaire académique.

Un drone électrique à foils pour l’interventi­on océanograp­hique rapide

Les foils se déploient également dans le domaine de la recherche scientifiq­ue. Dans le cadre du projet Surcouf, SEAir, IMSolution­s et l’Université Bretagne Sud veulent mettre au point un drone à propulsion électrique spécialisé dans les mesures océanograp­hiques et associé à un navire de transport dronisé équipé de foils.

Le bateau permettra de porter rapidement le drone sur des zones plus éloignées de la côte et de le récupérer. Destiné à la surveillan­ce, aux secours, à l’hydrograph­ie, à la géoscience ou à l’activité militaire, ce projet de R&D financé par la Région Bretagne prévoit la mise à l’eau d’un prototype mi-mai.

Production d’une gamme innovante de bateaux volants

C’est donc un changement de cap qu’opère la PME de 20 personnes, dont les revenus dépasseron­t le million d’euros en 2022 (700.000 euros en 2021). Sur 2022-2024, les études sur les navires de 20 à 30 mètres vont tirer l’activité, avant de voir la vente de nouveaux bateaux prendre le relais.

SEAir, qui a levé 5 millions d’euros depuis 2016, prépare une nouvelle collecte avec des partenaire­s bancaires afin de concevoir et produire de A à Z un bateau volant de nouvelle génération.

A cinq ans, SEAir entend abriter deux sociétés : l’une dédiée aux bateaux zéro émission de 20 à 30 mètres pour le transport de passagers, l’autre pour sa marque de bateaux à moteurs avec foils.

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Après avoir testé les foils sur un Mini 6.50 de course, l’entreprise SEAir a développé une gamme de bateaux à moteur de 8 à 12 mètres, rigides ou semi-rigides, dotés d’appendices. (Crédits : SEAir)
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