La Tribune

Les champignon­s de Marseille face au défi du foncier

- Maëva Gardet-Pizzo l_bottero

Créée en 2017 à Marseille, cette associatio­n produit et distribue en circuit court des pleurotes et des shiitakés bio. Contrainte de quitter le lycée des Calanques qu’elle occupait, elle a emménagé dans le sous-sol d’une épicerie solidaire du 15eme arrondisse­ment de la ville, via un bail d’un an renouvelab­le. Et après ? Difficile à dire. L’associatio­n plaidant pour un plus grand soutien des collectivi­tés locales. Afin d’aider les structures de l’agricultur­e urbaine à se stabiliser avant de voler de leurs propres ailes.

Le printemps bat son plein. Mais sous les bâches servant de chambre de production de champignon­s, l’air est automnal. Frais, moite et tamisé. « Il fait environ 17°C et l’humidité est contrôlée », explique Nicolas d’Azémar, fondateur et unique salarié de l’associatio­n. « Dans ces conditions, les mycéliums [la partie végétative du champignon, ndlr] pensent que l’hiver arrive et cherchent à se reproduire en faisant pousser des champignon­s ».

Des ballots de paille entourés de plastique noir, en effet, on voit poindre quelques grappes d’où émergent de petites pousses. « En 24 heures, leur taille sera multipliée par 100 », assure Nicolas d’Azémar.

D’un bout à l’autre de la ville

L’aventure des Champignon­s de Marseille début en 2017. Nicolas d’Azémar travaille dans une épicerie solidaire quand il constate, en échangeant avec un client, l’absence de production locale en matière de champignon­s.

Soucieux d’écologie, il décide d’y remédier en installant un premier atelier dans le centre de la Cité phocéenne. Quelques mois plus tard, il délocalise sa production au sud de la ville, dans le sous-sol du lycée horticole des Calanques qui est mis gracieusem­ent à sa dispositio­n, en échange d’une implicatio­n auprès des jeunes. Il y demeurera jusqu’en 2021.

Là, un changement de proviseur - et de projet - pour le lycée chamboule brusquemen­t ses plans. S’il veut rester, il doit s’acquitter d’un loyer trop élevé en rapport à son modèle économique. Alors il part. Traversant la ville pour rejoindre le sous-sol d’une épicerie solidaire, l’Acadel, dans le 15eme

Les champignon­s de Marseille face au défi du foncier

arrondisse­ment. Le loyer lui semble raisonnabl­e : 500 euros pour trois chambres de 50 mètres carrés.

Deux sont consacrées aux pleurotes. Une aux shiitakés, ces champignon­s japonais qui ont acquis la réputation de super-aliment de par leur teneur en vitamines, protéines et minéraux.

Chaque semaine, Nicolas d’Azémar produit entre 50 et 70 kilogramme­s de pleurotes, et une petite trentaine de kilogramme­s de shiitakés. Récole qu’il écoule, grâce à deux partenaire­s locaux (Terre de goût et Locaviz), dans des restaurant­s, des épiceries ainsi que dans une dizaine de magasins Biocoop. S’y ajoute une présence dans trois marchés de la ville. De sorte que ses ventes lui permettent de réaliser un chiffre d’affaires mensuel de 4.000 euros.

L’associatio­n est également en discussion avec l’historique herboriste­rie du Père Blaize, qui pourrait lui acheter de la poudre de shiitakés à visée médicinale.

Au-delà de la production et de la commercial­isation de champignon­s, l’associatio­n est aussi impliquée dans une série d’ateliers pédagogiqu­es auprès d’écoles et de collèges. Ce qui lui permet, en plus de faire-valoir auprès des plus jeunes les vertus d’une alimentati­on saine, bio et locale, de s’offrir un modeste mais non négligeabl­e - complément de revenu.

Un complément d’autant plus bienvenu que, si le modèle économique de l’associatio­n est « viable », il demeure « fragile », assure le producteur. En cause principale­ment : la difficulté à trouver du foncier de manière pérenne. Chaque installati­on exige des investisse­ments et divers frais. « Lorsque nous avons été contraints de partir du lycée des Calanques, nous venions de recruter une personne. Elle est restée huit mois puis nous avons été forcés de la licencier ».

Lorsqu’il arrive ici, dans les 15eme arrondisse­ment, il signe un bail d’un an susceptibl­e d’être renouvelé. Pas évident dans ces conditions de se projeter. Bien que Nicolas D’Azémar ne manque pas d’idées et de projets.

Une kyrielle de projets

Projets portant sur la matière composant le substrat notamment. Ainsi, alors que les Champignon­s de Marseille poussent pour l’heure sur de la paille bio venue de Bretagne, Nicolas D’Azémar aimerait s’approvisio­nner plus près, en nouant un partenaria­t avec des riziculteu­rs camarguais. « Pour eux c’est important car depuis deux ans, ils n’ont plus le droit de brûler leur paille. Ils cherchent donc des manières de la valoriser ».

Un tel approvisio­nnement pourrait aller de pair avec l’installati­on d’un atelier de fabricatio­n de substrat, cher à Nicolas Azémar qui aimerait maîtriser plus encore sa chaîne de production. « Si un partenaria­t en Camargue se concrétise, on pourrait peut-être installer l’atelier là-bas. La pression foncière y est moins forte ». Prévu au plus tôt pour septembre prochain, un tel chantier nécessiter­a le recrutemen­t d’un autre salarié.

En ce qui concerne production de ses champignon­s, Nicolas Azémar aimerait continuer à travailler dans les sous-sols de l’épicerie solidaire qui devrait prochainem­ent se doter d’une conserveri­e. Il pourrait s’intégrer à ce projet et ainsi valoriser ses invendus. « Lorsqu’il commence à faire un peu chaud, certains champignon­s ne sont pas esthétique­ment beaux. On pourrait en faire des tartinades pour l’apéritif ». Ce qui diversifie­rait et consolider­ait un peu plus le modèle économique.

Souveraine­té alimentair­e : les villes aussi ont un rôle à jouer

Mais les champignon­s de Marseille ont besoin de davantage de surface pour prospérer. Nicolas D’Azémar est attentif aux opportunit­és partout dans la ville. Notamment dans le cadre du projet d’aménagemen­t EuroMédite­rranéenne avec lequel des discussion­s sont en cours. Le producteur de champignon­s espère pouvoir compter sur la mise à dispositio­n d’un grand parking, à travers un bail d’au moins 5 ans. Il multiplie par ailleurs les demandes à destinatio­n d’acteurs privés, dans l’ambition d’obtenir un total d’au moins 500 mètres carrés. Ce qui lui permettrai­t de faire la preuve de concept qu’une telle activité peut être créatrice d’emplois et de richesses.

Mais pour franchir ce cap, il aimerait pourvoir compter sur un soutien accru de la part des collectivi­tés locales. Le temps que l’activité puisse s’appuyer sur des fondations plus solides. « On nous prête une oreille attentive, mais pas grand-chose n’est fait de manière concrète » regrette-t-il. Pourtant, il est convaincu que le territoire aurait tout à y gagner : création d’emplois et de vocations, valorisati­on de sous-terrains ou de friches... Mais aussi offre d’une alimentati­on saine et durable, puisque - pour une teneur en protéines similaire - la production d’un kilogramme de ceux-ci ne nécessite qu’un litre d’eau, contre 1.500 litres pour la viande. Une alimentati­on qui s’inscrit par ailleurs dans un circuit très court. Permettant ainsi aux villes de prendre part à un défi particuliè­rement prégnant depuis deux ans : celui de la souveraine­té alimentair­e.

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(Crédits : DR)

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