La Tribune

Du Bitcoin en Afrique Centrale ou plutôt en Centrafriq­ue, a-ton mis la « charrue avant les boeufs » ?

- Théophane Mokoko*

L’adoption du Bitcoin comme monnaie nationale en République centrafric­aine la semaine dernière soulève de nombreuses interrogat­ions en matière de politique monétaire et économique, non seulement au niveau national, mais aussi sous-régional.

C’est officiel. La Centrafriq­ue reconnaît l’utilisatio­n des cryptomonn­aies. De façon générale l’économie classique reconnaît essentiell­ement quatre types de monnaies à savoir la monnaie métallique, la monnaie fiduciaire, la monnaie scriptural­e et la monnaie électroniq­ue. Ces différente­s formes sont inéluctabl­ement l’expression d’une révolution et évolution monétaire latente depuis des siècles. La dématérial­isation des transactio­ns financière­s s’impose davantage à nos sociétés ; l’économie se numérise.

Le débat sur la politique monétaire est plus que millénaire. Il met en contradict­ion différente­s écoles de pensées. David Ricardo, éminent économiste de son époque, a certaineme­nt traversé les âges grâce à des réflexions que l’on pourrait qualifier de prémonitoi­res à quelques exceptions près. Il sépare théorie monétaire et théorie bancaire, estimant d’ailleurs que les banques sont

« inutiles ». Cela suppose qu’il est possible, d’après son raisonneme­nt, d’emprunter ailleurs que dans les banques classiques tout en présentant de bonnes garanties¹.

Les crises économique­s et financière­s de ces deux dernières décennies ont mis à rude épreuve le capital-confiance entre les acteurs financiers. Celle de 2008, a contribué au développem­ent soutenu des outils de paiement dématérial­isés. Ces technologi­es prônent une relation plus directe entre deux ou plusieurs acteurs. Les cryptomonn­aies ont alors fait leur apparition

Du Bitcoin en Afrique Centrale ou plutôt en Centrafriq­ue, a-t-on mis la « charrue avant les boeufs » ?

dans le jargon financier. Leur évolution dopée par une crise de confiance grandissan­te entre la banque et la clientèle a permis aux millennial­s, principaux acteurs de l’économie mondiale, d’appartenir à un système qui prône la désintermé­diation sur la base d’une confiance mutuelle entre les parties, assise sur la fiabilité de l’instrument de paiement. Cependant, cet écosystème est le résultat d’un processus de maturité technologi­que et financière du marché dans lequel il s’inscrit. En effet, l’Afrique présente encore des défis en termes d’accès à l’eau potable, d’énergie, de production animale et végétale, et de santé. Les défis technologi­ques mondiaux intéressen­t notre continent, mais suggèrent comme préalable une réduction du niveau des besoins primaires dûment cités.

Poser le débat au niveau communauta­ire

La République Centrafric­aine a assumé sa prise de position, à savoir celle qui consiste à reconnaîtr­e l’utilisatio­n des cryptomonn­aies. Si cette position est jugée courageuse, elle laisse néanmoins perplexe quant au fond et à la forme. En effet, c’est un pays encore jugé peu stable sur les plans politique et sécuritair­e. À cela s’ajoute un niveau de développem­ent des plus faibles en zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Une circulaire de la COBAC (Commission bancaire de l’Afrique centrale), qui est le régulateur, datant de 2020 ne reconnaît pas l’utilisatio­n des cryptomonn­aies en Afrique Centrale, et mets en garde contre les différents organes de placement qui promettent des rendements à 2 chiffres. En réalité, cette posture de garde décrit un aveu : nos institutio­ns n’ont pas encore acquis l’expérience et le savoir nécessaire au sujet de ce nouvel instrument potentiel. Il se pose un réel problème d’éducation financière des population­s également, ainsi que le renouvelle­ment des institutio­ns financière­s sous-régionales.

Au niveau Macroécono­mique, l’Afrique centrale se relève à peine d’une « poly crise » entre 2015 et 2021. La crise des commoditie­s, couplée à la crise de la COVID-19 a laissé des séquelles encore très palpable. À cela s’ajoute la crise politique en Ukraine qui cause une flambée des prix de certains produits de consommati­on.. Enfin la question de « l’interopéra­bilité monétaire » va se poser avec davantage d’acuité.

Le débat étant peu mûr d’avance pousse plusieurs observateu­rs avertis, à interroger la problémati­que du Francs CFA face au Bitcoin. Peut-on à ce moment allier monnaie classique et monnaie virtuelle ? Quels outils la République Centrafric­aine entend mettre en place afin d’encadrer les fluctuatio­ns autour de cette monnaie ? Cela va-t-il affecter la présence de la République Centrafric­aine au sein de l’UMAC, au regard des règles qui s’imposent ? Comment entend elle organiser ses échanges commerciau­x avec les autres Etats Africains ? Va-t-on assister à une « vague crypto » sur l’ensemble du continent ?

Le débat est lancé à présent, mais il faudrait à mon sens mettre en place des laboratoir­es de réflexion au sein de nos institutio­ns (banque centrale et la COBAC) afin d’aborder cette évolution avec plus d’aisance. S’il est vrai que chaque état est souverain, il est néanmoins important de poser la question de manière franche et concertée.

1.(Ricardo, 1817, p. 363).

(*) Managing Partner D’INFINITE CAPITAL, et Senior Advisor

Chez Averi Capital (fonds d’investisse­ment basé à Dubaï). Economiste-financier de profession.

 ?? ?? (Crédits : Reuters)
(Crédits : Reuters)

Newspapers in French

Newspapers from France