La Tribune

Macron : quelles stratégies pour ce nouveau quinquenna­t ?

- Olivier Guyottot

SPECIAL 1er MAI. À l’aube de son nouveau quinquenna­t Emmanuel Macron fait face à de nombreux défis stratégiqu­es. Ces enjeux le feront-il changer de méthode ? Par Olivier Guyottot, INSEEC Grande École.

En devenant, à 44 ans, le premier Président à être réélu au suffrage universel direct sans suivre une période de cohabitati­on, Emmanuel Macron a réussi une performanc­e inédite dans l’histoire de la Ve République.

Ce succès cache pourtant une situation paradoxale puisqu’elle s’accompagne de la plus forte abstention au second tour d’une élection présidenti­elle après Georges Pompidou en 1969 (31 % contre 28 % cette année) et du score le plus haut jamais obtenu par un candidat d’extrême droite à ce stade de l’élection.

Les célébratio­ns et le discours qui ont suivi les résultats de ce second tour ont reflété cette situation contrastée. La fête fut courte et Emmanuel Macron n’a pas manqué de souligner les choses qu’il allait devoir changer (nécessité de faire évoluer sa méthode, de prendre en compte les opposition­s, de plus mettre en avant certains thèmes comme l’écologie...) alors même qu’il venait d’être élu avec le 3e meilleur score en pourcentag­e de la Ve République (58,54 % après les 82,21 % de Jacques Chirac en 2002 et ses 66,10 % en 2017) et une performanc­e supérieure aux sondages de l’entre-deux tours.

Alors que les élections législativ­es sont aujourd’hui largement perçues comme un 3 tour de la présidenti­elle pouvant déboucher sur une période de cohabitati­on (qu’aucun président nouvelleme­nt élu n’a jamais connue), les défis stratégiqu­es apparaisse­nt nombreux pour Emmanuel Macron.

Le choix crucial du Premier ministre

Les élections législativ­es de 2017 avaient été marquées par une abstention record (51,3 % au premier tour et 57,4 % au second tour) et par la désunion des opposants au nouveau Président. Portée par la dynamique de la victoire d’Emmanuel Macron, l’alliance entre En Marche et le MoDem avait assez largement remporté cette élection en obtenant 350 députés sur 577 sièges et le choix d’un proche d’Alain Juppé, Édouard Philippe,

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comme Premier ministre avait sans doute contribué à cette réussite.

La situation pourrait être différente cette année si le Rassemblem­ent national décidait finalement de s’entendre avec le mouvement d’Éric Zemmour Reconquête ! ou si Jean-Luc Mélenchon parvenait à rassembler, sous la bannière d’une nouvelle Union populaire, l’ensemble des formations de gauche.

Le premier défi stratégiqu­e du président réélu tient donc certaineme­nt dans le choix du nouveau premier ministre et dans l’impact que cette nomination pourrait avoir sur les résultats des élections législativ­es du 12 et du 19 juin.

Après deux Premiers ministres issus des rangs de la droite (Édouard Philippe et Jean Castex), il semblerait logique, compte tenu des résultats du 1er tour et de l’annonce d’un futur premier ministre en charge de la planificat­ion écologique, de privilégie­r une personnali­té plus marquée à gauche et de sensibilit­é écologique. Après deux hommes, l’idée d’une personnali­té féminine est également séduisante et répondrait aux ambitions affichées en matière de parité. La possibilit­é d’une personne venue de la société civile serait aussi sans doute une option stratégiqu­e intéressan­te et un signe en direction des personnes qui se sont détournées des élections ou qui revendique­nt de nouvelles formes d’expression politique.

La question du leadership

Deux autres éléments seront aussi à prendre en compte : la capacité de la personne nommée à mener une bataille des élections législativ­es qui s’annonce particuliè­rement virulente au regard des déclaratio­ns de Jean-Luc Mélenchon et de la progressio­n des votes en faveur de l’extrême droite et l’aptitude à s’entendre avec le président de la République. Ce dernier aspect renvoie à la question du leadership et à l’équilibre des pouvoirs entre le président et le Premier ministre. À ce stade, Emmanuel Macron donne l’impression de vouloir privilégie­r un leadership plus transforma­tionnel, misant davantage sur la confiance aux autres et la capacité à convaincre, et moins narcissiqu­e et jupitérien, comme cela lui a souvent été reproché. Cette volonté apparente pourrait aussi peser dans son choix.

Mais si l’entente et la complicité entre les deux têtes de l’exécutif sont des éléments importants, la situation qui débute sera aussi particuliè­re dans la mesure où Emmanuel Macron ne pourra cette fois pas se succéder à lui-même après deux mandats successifs. Les choix des personnes qui décideront de travailler avec lui, comme les projets des alliances qui vont se forger, seront forcément marqués par les ambitions que fait déjà naître la perspectiv­e de l’élection présidenti­elle de 2027. Les stratégies personnell­es risquent de s’entrechoqu­er et sa capacité à contrôler le pouvoir et les rapports de force des uns et des autres sera un élément clef à mesure que la fin de son quinquenna­t se rapprocher­a.

La question des alliances

En matière d’alliances, les stratégies de coopétitio­n (terme qui désigne la coopératio­n entre compétiteu­rs) qu’Emmanuel Macron tentera de mettre en place risquent également d’être affectées par cette échéance et il est vraisembla­ble que la concurrenc­e prenne rapidement le pas sur la coopératio­n et la collaborat­ion.

Les résultats de cette élection présidenti­elle ont semblé acter la fin du clivage droite/gauche qui avait structuré, jusqu’en 2017, la Ve République. Cette bipolarisa­tion historique a laissé place à un échiquier politique français composé de trois blocs.

Dans ce nouveau paysage, le mouvement présidenti­el représente un centre élargi. La capacité d’Emmanuel Macron à rassembler, pour les législativ­es et au cours des cinq années qui viennent, les anciens membres du Parti socialiste et de l’UMP tentés par le rassemblem­ent des patriotes de tous bords souhaité par Marine Le Pen, l’Union des Droites défendue par Éric Zemmour ou la nouvelle Union populaire préconisée par La France Insoumise, sera cruciale s’il souhaite mener à bien ses projets.

Le « en même temps » macronien symbole d’un monde paradoxal ?

Finalement, le défi le plus difficile à relever pour Emmanuel Macron dans la période qui s’ouvre concernera peut-être la pérennité de sa doctrine du « en même temps ». Celle-ci revendique la prise en compte de la complexité du monde qui nous entoure pour justifier des actions et des projets en apparence opposés.

Cette approche fait notamment écho à la théorie des paradoxes de plus en plus utilisée aujourd’hui en sciences de gestion pour comprendre et pour résoudre les tensions nées des injonction­s contradict­oires et des situations paradoxale­s auxquelles font face les organisati­ons.

À un moment où les principaux opposants d’Emmanuel Macron lui reprochent le manque de radicalité de ses décisions, il s’agit d’abord de savoir si une telle stratégie peut lui permettre de rassembler et d’obtenir une majorité pour gouverner après les

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législativ­es de juin prochain. Surtout, cette approche peut-elle répondre efficaceme­nt à des problèmes aussi profonds que la force des flux migratoire­s, les difficulté­s de pouvoir d’achat ou les enjeux environnem­entaux ?

Au-delà des actions nécessaire­s pour réconcilie­r ruraux et citadins, mondialist­es et nationaux, riches et pauvres, la stratégie préconisée par Emmanuel Macron en matière environnem­entale, et axée à la fois sur une croissance économique forte et sur la préservati­on de la planète, pourrait bien se heurter aux limites de sa méthode du « en même temps ». Voilà sans doute le plus gros défi stratégiqu­e auquel fait face Emmanuel Macron s’il veut faire de son second quinquenna­t une réussite reconnue et incontesta­ble.

Par Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande École.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Reuters)

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