La Tribune

Les syndicats sauront-ils peser sur le second quinquenna­t de Macron ?

- Stéphanie Matteudi

SPECIAL 1er MAI. Les annonces d’Emmanuel Macron au sortir du second tour incluronte­lles un changement dans sa politique de dialogue social et pour l’avenir des syndicats ? Par Stéphanie Matteudi, Université de Lille.

Le second quinquenna­t d’Emmanuel Macron a été entériné par un constat - la sanction d’un électorat séduit entre autre par les promesses de réformes sociales de Marine Le Pen - et un engagement, l’annonce d’un changement.

Celui-ci tiendra-t-il compte du bilan de son premier quinquenna­t, tout particuliè­rement sur la question du dialogue social, point d’achoppemen­t entre l’exécutif et les syndicats ?

L’ambition d’Emmanuel Macron de « simplifier les relations sociales et la vie interne des entreprise­s » en leur donnant plus de « flexibilit­é et de sécurisati­on » a été accueillie avec beaucoup de critiques notamment par les dirigeants syndicaux.

Ces derniers lui ont reproché un dialogue social dégradé, désordonné, affaibli, ne satisfaisa­nt ni les directions, ni les représenta­nts du personnel. Ils pointent un important recul de la démocratie sociale et des « ordonnance­s travail » très discutable­s.

Le 26 avril 2022, le dirigeant syndical Laurent Berger (CFDT) liste ainsi dans une tribune publiée dans Le Monde l’ensemble des défis à venir lui demandant de convoquer « un grand rendez-vous social ».

Une simplifica­tion du dialogue social

Si, durant son premier mandat, Emmanuel Macron n’a jamais caché son refus de développer le dialogue avec les organisati­ons syndicales, il faut souligner que la méthode du premier quinquenna­t - par ailleurs entâchée par différente­s crises sociales de taille, crise des « gilets jaunes », mouvement massif contre la réforme des retraites avec la grève la plus longue que la

Les syndicats sauront-ils peser sur le second quinquenna­t de Macron ?

SNCF n’ait jamais connue, crise sanitaire - a été celle d’une plus grande libéralisa­tion du dialogue social.

Emmanuel Macron et son gouverneme­nt ont réduit le dialogue social au seul niveau de l’entreprise en créant des mécanismes institutio­nnels incitant à moins de syndicalis­ation et à plus de représenta­tion interne unique des salariés grâce au développem­ent du référendum d’entreprise et au nouveau dispositif du conseil d’entreprise, fusion des instances représenta­tives et de l’exercice de la négociatio­n collective réduisant sensibleme­nt le pouvoir syndical. Il n’existe actuelleme­nt que 90 conseils d’entreprise en France contre 90.000 Comités Sociaux et Économique­s. Emmanuel Macron a déjà prévenu qu’il souhaitait porter davantage le Conseil d’Entreprise lors de son prochain quinquenna­t.

Dans le même ordre d’idées, le gouverneme­nt a travaillé à la fusion des branches profession­nelles pour tenter de calquer le modèle allemand qui possède 100 branches contre 217 en France, réduisant ainsi le nombre d’interlocut­eurs.

Depuis 2015 et la loi Rebsamen incitant à fusionner les représenta­tives du personnel (délégués du personnel, Comité d’entreprise et Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail), les organisati­ons patronales avaient réclamé l’obligation de les fusionner en un seul Comité social et économique. Ce modèle, supprimant le CHSCT, accélérait la simplifica­tion et l’efficacité pour faire passer les projets d’entreprise et répondre aux différente­s obligation­s légales.

Ce format où l’implicatio­n des organisati­ons syndicales est de plus en plus réduite peut-il perdurer ?

Des corps intermédia­ires importants

Les partenaire­s sociaux (syndicats, branches profession­nelles, associatio­ns) aussi nommés « corps intermédia­ires » sont là pour porter un véritable poids politique, notamment en négociant des Accords Nationaux Interprofe­ssionnels (sur la santé et le télétravai­l pour les plus récents), mais aussi dans la gestion des organismes paritaires (formation, retraite), et surtout, au quotidien, au sein des entreprise­s en négociant 40,000 accords collectifs annuels qui améliorent la vie d’un nombre important de salariés.

Les derniers résultats de la représenta­tivité dans les branches profession­nelles montrent que le score des trois organisati­ons syndicales les plus réformiste­s CFDT, CFTC et UNSA dépassent les 30 % dans 75 % des branches ; si l’on ajoute le score obtenu par la CFE-CGC, le seuil des 50 % est atteint, la capacité de signer par des organisati­ons syndicales aptes au compromis est alors acquise dans la majeure parties des branches. Cela signifie-t-il que le syndicalis­me en France veut se montrer plus raisonnabl­e ? Les organisati­ons syndicales auraient-elles pris conscience qu’aborder les enjeux de demain liés aux transforma­tions de l’emploi et à la transition écologique pourraient passer par un travail en commun sans rester arc bouter sur une culture exclusive de la confrontat­ion ?

Un bilan social très critiqué

Plusieurs articles et rapports ont montré que ces fusions n’ont pas porté leur fruit et ont manqué singulière­ment d’innovation, sans les effets vertueux promis sur la transforma­tion sociale au sein des entreprise­s.

Plusieurs acteurs ont regretté un échec et « un appauvriss­ement » du dialogue social, constatant un manque de volonté dans la pratique des relations sociales engendrant la tentation à la conflictua­lité directe.

La méconnaiss­ance des règles de droit social, la politisati­on ou l’élargissem­ent du conflit local en conflit national ou une judiciaris­ation directe pour faire annuler les Plan de Sauvegarde de l’Emploi sont de plus en plus utilisés pour créer un rapport de force.

De même, au sein des petites entreprise­s où l’on pousse de moins en moins à la syndicalis­ation en ouvrant à d’autre acteurs, le champs de la négociatio­n (salariés par la voie du référendum, salariés mandatés, représenta­nts du personnel) et sans critiquer outre mesure ces nouveaux procédés de négociatio­n qui permettent une régulation sociale au sein des petites et moyennes entreprise­s, on peut s’interroger sur les effets à venir de la stagnation de la syndicalis­ation dans la défense des règles du droit du travail par des acteurs peu armés pour affronter les sujets à forts enjeux pour les salariés tels que la retraite, les mobilités, les transforma­tions de l’emploi, l’actionnari­at salarié etc.

Le risque de désenchant­er le dialogue social

Placer le curseur de la régulation sociale principale­ment au niveau de l’entreprise et ouvrir la voie à d’autres acteurs pourrait davantage affaiblir les organisati­ons syndicales. Cela risquerait aussi de désenchant­er le dialogue social et d’augmenter l’insatisfac­tion des salariés eu égard à leurs représenta­nts avec les conséquenc­es que cela pourraient engendrer, celles d’une expression directe, désorganis­ée et potentiell­ement incontrôla­ble.

Les syndicats sauront-ils peser sur le second quinquenna­t de Macron ?

N’oublions pas, que pendant la crise Covid et malgré un taux de syndicalis­ation toujours aussi faible (10,3 % en France contre 23 % en moyenne en Europe) les syndicats et les représenta­nts du personnel ont montré qu’ils pouvaient être présents, efficaces et légitimes pour négocier des sujets à risques pour leur électorat, comme les dispositio­ns sur les congés payés réduits ou des accords d’activité partielle de longue durée.

Les organisati­ons syndicales peuvent-elles demain se réinventer et peser sur le second quinquenna­t ? Emmanuel Macron parviendra-t-il à offrir de réelles opportunit­és pour valoriser et favoriser le syndicalis­me en proposant de nouvelles règles du jeu ?

Par Stéphanie Matteudi, Enseignant­e. Chercheuse au LEREDS, Directrice practice Chez Alixio, Université de Lille.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

 ?? ?? (Crédits : Reuters)
(Crédits : Reuters)

Newspapers in French

Newspapers from France