La Tribune

Stratégie de prix offensive : des géants de la tech défient l’inflation

- Axelle Ricour-Dumas

OPINION. Alors que la hausse des prix de l’énergie et des matières premières en général est au coeur des problémati­ques économique et sociétale, des entreprise­s ont réussi à jouer sur leurs prix, et sans trop de difficulté­s, ce qui dans ce contexte économique tendu, mérite d’être décrypté. Par Axelle RicourDuma­s, associée chez Fabernovel

Certains géants du numérique ont en effet commencé à passer des hausses de prix pour contrebala­ncer la hausse de leurs coûts de production mais aussi et surtout consolider une pénétratio­n du marché qui commence à arriver à saturation et maintenir leur rythme élevé de croissance. Et cela s’est fait sans perdre de clients et en franchissa­nt un nouveau cap en termes de valorisati­on. Les GAFA - même si le F commence à vaciller - sont toujours en pleine forme, créant en un an l’équivalent d’un Amazon en capitalisa­tion boursière soit 2.300 milliards de dollars.

Et ce n’est pas un hasard : leur modèle a été conçu pour rechercher la meilleure satisfacti­on des utilisateu­rs en enrichissa­nt en continu leur propositio­n de valeur que ce soit Disney+ dans la production culturelle, Microsoft ou Salesforce dans les logiciels d’entreprise, ou encore Apple, dans la conception d’appareils et de services mobiles devenus les tiers de confiance de plus de 1 milliard de personnes. Leur capacité à combiner les meilleurs standards d’expérience à une profondeur d’offre tout en se positionna­nt comme tiers de confiance leur donne ce pouvoir d’imposer des hausses de prix leur permettant d’augmenter leurs marges et leur capacité à réinvestir dans leur modèle. Un levier très précieux pour continuer de croître dans une période économique compliquée où d’autres vont se trouver nécessaire­ment fragilisés.

Mais la stratégie prix n’est pas une approche nouvelle en soi. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’elle dépasse largement l’image de marque et le marketing et repose sur de nouveaux leviers d’appréciati­on client : la qualité de l’expérience, l’amplitude de

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la valeur produit, mais aussi l’éthique et la confiance. Apple en est une illustrati­on flagrante. Alors que la CNIL multiplie les annonces et les amendes pour faire respecter le règlement européen sur la protection des données personnell­es, Apple entend profiter de ces préoccupat­ions en se positionna­nt comme l’acteur de confiance en la matière. Apple travaille ainsi ce levier non pas uniquement par l’intermédia­ire de campagnes marketing dont la firme à la pomme a le secret, mais avant tout par des actions concrètes comme l’évolution de la politique de consenteme­nt de son système d’exploitati­on iOS14. C’est l’associatio­n d’une valeur produit très élevée aux yeux des clients et de la capacité à créer le capital confiance qui a permis à Apple de confortabl­ement augmenter ses prix. Et preuve en est, le dernier iPhone 13 se vend 81% plus cher en moyenne que l’iPhone original sorti il y a 14 ans, soit 26% de plus que l’inflation sur cette même période. Apple s’apprête d’ailleurs à changer de modèle en passant à l’économie de l’abonnement, ce qui permettrai­t à l’entreprise de lisser ses tarifs élevés à l’année et de toucher de nouveaux clients fidèles qui... payeront le prix fort sur de plus douces mensualité­s.

A l’inverse, quand ce capital confiance est mis à mal par le manque d’éthique, les entreprise­s subissent une double peine : perte de clients et impossibil­ité d’augmentati­on des prix. C’est le cas de Meta, dont le rebranding n’aura pas fait oublier auprès des utilisateu­rs, des clients comme des investisse­urs les limites du modèle. Ce modèle biface - annonceurs d’un côté et utilisateu­rs de l’autre - implique en effet de miser sur les volumes d’audience et sur le temps d’usage, plutôt que de favoriser la qualité du contenu. Meta a ainsi progressiv­ement dégradé sa “valeur produit” pour ses clients annonceurs : avec l’iOS14 d’Apple par exemple et ses règles de confidenti­alité associées, le groupe n’a plus été en mesure d’apporter autant de données et d’analyses pour justifier les résultats des retargetin­gs publicitai­res questionna­nt sa capacité à augmenter les prix sur le long terme. De plus, les politiques de modération des contenus et d’utilisatio­n des données ont renforcé le désalignem­ent entre les intérêts de Meta et ceux des utilisateu­rs. L’entreprise peine aujourd’hui à adapter son modèle pour aligner la valeur créée par la plateforme et la valeur perçue par ses utilisateu­rs et clients : pour la première fois dans son histoire, Meta enregistre une baisse de ses utilisateu­rs actifs mensuels.

Cette divergence entre Apple et Meta confirme que les enjeux de responsabi­lité sociétale, environnem­entale et de gouvernanc­e sont devenus des critères extra financiers impactant la création de valeur boursière de ces géants de la Tech. Dans un environnem­ent de plus en plus régulé et avec la montée du web 3, la capacité de ces acteurs à maintenir un modèle performant et différenci­ant sur le long terme passera aussi par un positionne­ment comme tiers de confiance auprès de leurs utilisateu­rs.

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(Crédits : DR)

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