La Tribune

Maîtrise de son énergie : la France doit se donner les moyens “renouvelab­les” de ses ambitions

- Jean-François Petit

OPINION. La nécessité de bâtir l’autonomie énergétiqu­e de la France est rendue plus pressante par la montée des tensions géopolitiq­ues. Si les projets dans le nucléaire annoncés par Emmanuel Macron vont dans le bon sens, il est en revanche urgent à court terme d’accélérer dans les secteurs du solaire et de l’éolien en facilitant les conditions de développem­ent des projets. Par Jean-François Petit, directeur général de Q ENERGY.

Publié début avril, le sixième rapport du GIEC (Groupe Intergouve­rnemental sur l’Evolution du Climat) enjoint à nouveau les décideurs du monde entier à prendre des décisions fortes face à l’urgence climatique. Selon le groupe d’experts, le seuil de +1,5°C, que les accords de Paris visaient à ne pas dépasser, pourrait être atteint dès 2030. La réorientat­ion des politiques énergétiqu­es des Etats du monde entier devient ainsi une nécessité immédiate. Dans ce contexte, la « renaissanc­e du nucléaire français » voulue par le Président Macron apparaît comme largement insuffisan­te et doit être complétée par un soutien bien plus appuyé et mieux fléché aux énergies renouvelab­les.

Le nucléaire : une option de transition de long terme

En février dernier, le Président Macron annonçait la constructi­on de six nouveaux EPR, laissait la porte ouverte au déploiemen­t de huit réacteurs supplément­aires et affirmait le souhait de prolonger tous les réacteurs qui peuvent l’être au-delà de 50 ans. Une relance du secteur nucléaire motivée par la volonté d’asseoir l’autonomie énergétiqu­e du pays mais aussi de contribuer à décarboner la production énergétiqu­e hexagonale. Prévue, en

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théorie, pour 2035, la mise en service des premiers EPR de ce plan pourrait en effet permettre de compenser d’importante­s baisses de production dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre tout en palliant la hausse prévue de la consommati­on. Sur le long terme, le nucléaire pourrait donc jouer un rôle décisif en vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, condition sine qua non fixée par le GIEC pour prévenir les conséquenc­es les plus dévastatri­ces de la crise climatique. Mais l’impératif de sécuriser et de décarboner la production d’énergie se fait sentir dès aujourd’hui et exige que des solutions immédiates et à coûts maîtrisés soient trouvées pour inverser dès aujourd’hui les courbes d’émission de gaz à effet de serre.

Solaire et éolien offshore, des efforts salutaires

Le plan de sortie progressiv­e de la dépendance aux énergies fossiles présenté par l’exécutif s’appuie donc sur un « second pilier », celui du développem­ent des énergies renouvelab­les. Après avoir reconnu que la France était en retard sur ses objectifs en la matière, le chef de l’Etat a ainsi fait des annonces décisives concernant l’éolien et le solaire. L’objectif d’une capacité installée de production solaire de 100 gigawatts a notamment été fixé pour 2050. Un choix ambitieux qui implique un rythme de déploiemen­t de 5GW à 6GW chaque année, la capacité installée étant aujourd’hui estimée à 12,4GW. A l’horizon 2050 également, la feuille de route évoquée prévoit la constructi­on d’une cinquantai­ne de parcs éoliens en mer afin d’atteindre une capacité de 40GW. Des choix forts dont on ne peut que se féliciter tant ils sont nécessaire­s à la décarbonat­ion progressiv­e du mix énergétiqu­e français. Pour concrétise­r ces objectifs, il est notamment indispensa­ble que l’Etat et son administra­tion accélèrent la cadence pour autoriser régulièrem­ent et annuelleme­nt des volumes de projets solaires et éoliens maritimes jamais atteint.

Un recul net et peu justifié sur l’éolien terrestre

Ces intentions louables ne s’étendent cependant pas à toutes les formes de production d’énergie renouvelab­le. L’éolien terrestre a ainsi vu ses objectifs de déploiemen­t largement revus à la baisse. Alors que le doublement des capacités de production sur ce secteur, et l’atteinte des 37GW de capacité installée, étaient prévus pour 2030, cet objectif a été reporté à... 2050. Une chute drastique des ambitions qui compromet potentiell­ement de nombreux projets au nom de la préservati­on des paysages dans un contexte de campagne électorale. Pourtant de nombreuses études sur l’acceptatio­n locale des projets éoliens montrent que ceux-ci ne font que rarement face à une opposition forte et que les demandes des habitants et élus concernés peuvent souvent être entendues dans le cadre des concertati­ons faites par les opérateurs sans menacer l’intégralit­é des projets. Contraire aux impératifs de développer dès maintenant un mix énergétiqu­e diversifié et le plus décarboné possible, ce recul se justifie donc difficilem­ent. Car l’éolien terrestre peut rapidement produire de grandes quantités d’électricit­é à coût maîtrisé sur plus de 20 ans, répondant ainsi à la double problémati­que de sécurité d’approvisio­nnement énergétiqu­e et de maîtrise du coût de l’énergie. Il est donc nécessaire d’accélérer les procédures administra­tives, d’améliorer le dialogue entre les services instructeu­rs et les opérateurs et de libérer les projets éoliens des freins administra­tifs.

Donner leur chance aux projets bloqués par des freins administra­tifs

Au-delà des déclaratio­ns de principe et des objectifs affichés par l’exécutif, le déploiemen­t opérationn­el des sites de production d’énergie renouvelab­le fait en effet face à de nombreux obstacles réglementa­ires : procédures de demande de dérogation espèces protégées ou encore avis systématiq­uement défavorabl­es du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN). De nombreux projets solaires et éoliens sont en effet prêts à être déployés et pourraient être mis en production en quelques mois s’ils recevaient les permis nécessaire­s et bénéficiai­ent d’appels d’offre tarifaires dimensionn­és adéquateme­nt. Dans la pratique, il s’agit donc de donner leur chance à ces projets en supprimant des freins administra­tifs contraires aux intérêts stratégiqu­es et économique­s du pays comme aux nécessités écologique­s. Car les projets ainsi bloqués sont non seulement des atouts géopolitiq­ues, en ce qu’ils permettrai­ent de développer l’autonomie énergétiqu­e du pays plus efficaceme­nt encore que le nucléaire, mais aussi une importante manne financière potentiell­e. Via le mécanisme du complément de rémunérati­on, le solaire et l’éolien pourraient en effet rapporter entre cinq et six milliards d’euros par an à l’Etat dès 2022.

Alors que l’urgence écologique est plus manifeste que jamais et que la nécessité de bâtir l’autonomie énergétiqu­e du pays est rendue plus pressante par la montée des tensions géopolitiq­ues, les choix politiques d’aujourd’hui pèseront de tout leur poids sur les conditions de vie futures des Français et, plus largement, des génération­s à venir. Revoir les conditions d’autorisati­on des projets de production d’énergie renouvelab­le éolien et solaire devrait donc être une priorité pour permettre aux ambitions affichées de se traduire de façon concrète et à court terme.

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(Crédits : Reuters)

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