La Tribune

Avec la flambée des prix, le BTP entre dans “une période de fortes turbulence­s”

- Nathalie Jourdan

La hausse des prix des matériaux et de l’énergie met à rude épreuve le secteur de la constructi­on. Illustrati­on en Normandie où les Fédération­s du bâtiment et des travaux publics ont sondé leurs adhérents. Si les carnets de commandes restent bien orientés, les trésorerie­s se tendent et la visibilité est quasi nulle. Rarement les entreprise­s auront navigué dans un tel brouillard.

Les années se suivent et ne se ressemblen­t pas pour les acteurs de la constructi­on, en butte à un effet montagnes russes. L’exercice 2021 s’était bien terminé pour les entreprise­s normandes du BTP qui avaient enregistré une augmentati­on de leur chiffre d’affaires de 17% et de leurs effectifs salariés de 3%. L’année 2022 s’annonce sous des auspices moins favorables.

« Ce que l’on subit aujourd’hui est autrement plus fort que la crise Covid », s’alarme Régis Binet, président de la Fédération régionale des travaux publics.

Premier motif de préoccupat­ion pour la profession, la flambée du prix de l’énergie - et notamment du gazole non routier - mais aussi des matériaux de constructi­on. Béton, bitume, briques, ciment, carrelage, acier, isolants, peinture... Il n’y a pas un matériau qui ne subisse cette poussée inflationn­iste parfois dans des proportion­s très importante­s. Les entreprise­s sondées par la Cellule économique régionale de la constructi­on (CERC) dans une « enquête flash » font ainsi état d’une augmentati­on de 46% pour le bois, de 38% pour l’acier ou encore de 34% pour le cuivre et de près d’un quart pour le PVC.

L’imprévisib­le devient la norme

Pour ne rien arranger, les tarifs fluctuent à un rythme inédit, constate Bertrand Dumouchel, secrétaire général de la Fédération normande du bâtiment. « On voit de plus en plus souvent de fournisseu­rs qui proposent des offres valables pendant quelques heures ou quelques jours ». « Les entreprise­s font face à des prix qui ne sont garantis que sur un temps très

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court », confirme la CERC. A ces incertitud­es, s’ajoutent les retards d’approvisio­nnement. Dans la même enquête, 85% des entreprise­s du BTP se disent touchées par le phénomène, et près de 900 chantiers seraient « à l’arrêt ou fortement perturbés » en Normandie.

Dans ces conditions, difficile d’anticiper alors que la plupart des marchés de la constructi­on sont conclus un voire deux ans à l’avance. « Ce que les entreprise­s chiffrent aujourd’hui sera peut-être caduc demain », s’inquiète Bertrand Dumouchel. Difficile aussi de répercuter ces aléas sur les commandes déjà signées. De fait, les deux tiers des adhérents de la Fédération du bâtiment affirment rencontrer des problèmes pour modifier les contrats en cours. Les tensions sont particuliè­rement sensibles sur le marché des particulie­rs, souligne la CERC. « Il est quasiment impossible aux artisans et aux petits constructe­urs de maisons individuel­les de réviser le prix ».

Dans les travaux publics qui vivent à 80% des commandes des collectivi­tés, le choc est en partie amorti grâce aux nouvelles dispositio­ns prescrites par Jean Castex pour les marchés publics de la constructi­on (dont l’introducti­on obligatoir­e d’une clause d’imprévisib­ilité). Pour autant, la profession redoute que ces augmentati­ons ne conduisent les communes ou les départemen­ts à reporter ou à corseter leurs investisse­ments. Régis Binet voit d’ailleurs déjà poindre des signaux faibles. « Normalemen­t, beaucoup d’affaires sortent en avril et mai après le vote des budgets mais j’ai la fâcheuse impression que cela ralentit ».

Des trésorerie­s tendues

Malgré la bonne tenue des carnets de commandes, tous ces phénomènes - auxquels se greffe la pénurie récurrente de main-d’oeuvre - commencent à peser sur la trésorerie des entreprise­s contrainte­s pour certaines de travailler à perte. Membres de la Cellule Economique Régionale, les représenta­nts de la SMA BTP, principal groupe d’assurance du secteur de la constructi­on, se montrent peu optimistes pour 2022. Ils s’inquiètent en particulie­r du « téléscopag­e entre la hausse des prix et le remboursem­ent des PGE » et anticipent une hausse des défaillanc­es.

« Pour l’instant, cela tient vaille que vaille parce que le niveau de commandes reste stable mais les PME et TPE qui étaient déjà fragiles avant la crise urkrainien­ne entrent dans une période de fortes turbulence­s », observe de son côté Bertrand Dumouchel. Une analyse que confirme l’enquête de la CERC. 12% des entreprise­s normandes du bâtiment disent s’inquiéter pour la pérennité de leur activité, un taux qui monte à 22% dans les travaux publics. Un point d’attention qui appellera sans doute des réponses rapides de la part du futur gouverneme­nt.

 ?? ?? 12% des entreprise­s normandes du bâtiment disent s’inquiéter pour la pérennité de leur activité. (Crédits : DR)
12% des entreprise­s normandes du bâtiment disent s’inquiéter pour la pérennité de leur activité. (Crédits : DR)

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