La Tribune

Cybersécur­ité: l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaq­ues en 2021

- Marie-France Réveillard

Sur le continent africain, la cybersécur­ité représente un marché exponentie­l qui se structure à marche forcée. Entre renforceme­nt des infrastruc­tures et formations tous azimuts, Franck Kié, le président fondateur de Ciberobs à la manoeuvre dans l’organisati­on du Cyber Africa Forum qui se tiendra les 9 et 10 mai à Abidjan, revient pour la Tribune Afrique, sur les enjeux de la cybersécur­ité en Afrique.

« Souveraine­té numérique et protection des données, leviers de croissance économique pour le continent africain », tel est le thème de la 2e édition du Cyber Africa Forum (CAF). La première édition placée sous le signe du « risque cyber au coeur des enjeux de l’Afrique », avait donné lieu à la publicatio­n d’un livre blanc réunissant des recommanda­tions en matière de cybercrimi­nalité appliquée au continent. Ce forum fut le premier d’une série de rendez-vous consacrés à la cybersécur­ité en Afrique francophon­e dans les moins qui suivirent, témoignant d’un intérêt grandissan­t pour la question.

Simultaném­ent, les pouvoirs publics africains structuren­t leur défense numérique, face à l’augmentati­on des cybermenac­es.

« Le gouverneme­nt ivoirien a pris la décision d’investir près de 30 millions d’euros pour renforcer la cybersécur­ité sur la période 2021-2025 » souligne Franck Kié, non content de constater une sensible évolution.

Placé sous le haut patronage de Patrick Achi, le Premier ministre ivoirien, le Cyber Africa Forum réunira des ministres africains de l’économie numérique (Côte d’Ivoire, Guinée, Bénin, Congo et République démocratiq­ue du Congo, notamment), des directeurs d’agences nationales de cybersécur­ité, des responsabl­es de la sécurité informatiq­ue et des représenta­nts de groupes internatio­naux (EcoBank, Schneider Electric, Orange CyberDéfen­se ou Atos).

Cybersécur­ité: l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaq­ues en 2021

L’Afrique : la nouvelle cible des cyberattaq­ues ?

En quelques années, la récurrence des faits divers impliquant des attaques à plusieurs millions de dollars, a éveillé les conscience­s des entreprene­urs africains. Récemment aux Etats-Unis, un ransomware paralysait un oléoduc géré par la société Colonial Pipeline, créant la panique générale (45% du pétrole de la côte sont transités par le pipeline). La direction de l’entreprise révéla quelques jours après l’attaque au Wall Street Journal, qu’elle avait dû verser la coquette somme de 4,4 millions de dollars aux pirates informatiq­ues. L’affaire avait fait le tour du monde. En 2019, le malware Wannacry qui s’était propagé dans 150 pays n’avait pas épargné le continent, du Maroc à l’Ouganda en passant par l’Egypte, la Côte d’Ivoire ou le Kenya. La généralisa­tion du cloud mais aussi l’arrivée des objets connectés sont autant de nouvelles menaces qui pèsent aujourd’hui sur les entreprise­s.

L’ « Etude de la maturité Cybersécur­ité 2021 en Afrique Francophon­e », réalisée par le cabinet Deloitte auprès de 210 entreprise­s dans 11 pays, révèle que 40% des entreprise­s africaines ont enregistré « une augmentati­on du nombre d’incidents » depuis l’arrivée de la pandémie de Covid-19. Logiciels malveillan­ts et attaques de phishing, sont devenus les cauchemars des entreprene­urs africains, car, si le Covid-19 a permis d’accélérer l’informatis­ation du continent, il s’est accompagné d’une augmentati­on des cyberattaq­ues. A l’échelle mondiale, McAfee enregistra­it une hausse de 605% du nombre de cyberattaq­ues au second trimestre 2020. Entre janvier et août 2020, l’Afrique a été la cible de 28 millions de cyberattaq­ues, estime Kaspersky dont les dernières études annoncent un manque à gagner de 4,12 milliards de dollars lié au cybercrime sur le continent, soit près de 10% de PIB, pour l’année 2021.

Des réponses sous-dimensionn­ées face aux cybermenac­es

« Les événements actuels entre la Russie et l’Ukraine ont fait apparaître un aspect hybride et numérique de la guerre. En Ukraine, des banques ont été paralysées pendant plusieurs jours. Il faut des armes pour attaquer ou se défendre numériquem­ent, mais aussi des infrastruc­tures en propre » explique Franck Kié.

Les fonds demeurent insuffisan­ts pour apporter une réponse adaptée. En Afrique, 66% des entreprise­s investisse­nt moins de 200.000€ par an dans la cybersécur­ité, 35% des investisse­ments en cybersécur­ité sont destinés à la sécurité des infrastruc­tures IT et seulement 5% à la sécurité des données, à la détection, au suivi des menaces et à la gestion des identités. L’étude conduite par Deloitte fait également apparaître, qu’un tiers des entreprise­s utilisent des solutions de sécurisati­on avancées, 22% disposent d’un SOC, 42% d’un plan de continuité d’activité et seulement 11% ont souscrit à une police d’assurance pour se couvrir des risques de cyberattaq­ues.

Le cybercrime apparaît encore sous-évalué en Afrique où seuls 12% des entreprise­s africaines échangerai­ent chaque trimestre, sur les questions de cybersécur­ité dans le cadre de leurs comités exécutifs, contre 49% au niveau mondial. Enfin, les fonds nécessaire­s pour lutter efficaceme­nt contre le cybercrime se heurtent à d’autres priorités économique­s ou sécuritair­es nationales. « Il existe des institutio­ns continenta­les et sous-régionales comme la Cédéao, qui poussent à la mutualisat­ion des ressources en matière d’infrastruc­tures, dans le cadre d’une stratégie concertée sur la cybersécur­ité », explique Franc Kié.

Un secteur en plein essor face à une pénurie de compétence­s

« Il n’y aurait que 10.000 profession­nels sur le continent », précise le commissair­e général du Cyber Africa Forum. Or, l’associatio­n ISC considère que la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée pourrait atteindre 1,8 million de personnes d’ici la fin de l’année 2022, au niveau internatio­nal. Les compétence­s sont rares et les profils courtisés aux 4 coins du monde. Dès lors, comment l’Afrique peut-elle retenir ses talents ?

« Ce n’est pas parce qu’une personne a été formée à l’étranger qu’elle ne reviendra pas sur le continent », explique Franck

Kié, qui parle en connaissan­ce de cause, ayant lui-même suivi un cursus entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. « Je suis revenu vers l’Afrique pour apporter ma pierre à l’édifice et chaque jour, je reçois des CV d’Africains formés à l’étranger, qui cherchent des opportunit­és profession­nelles sur le continent », ajoute-t-il.

Pour combler ce déficit en ressources humaines, plusieurs initiative­s locales sont apparues comme l’école Epitech au Bénin ou l’Institut de cybersécur­ité et sécurité des infrastruc­tures (I-CSSI) lancé à Kinshasa l’année dernière. De plus en plus de formations made in Africa se développen­t en parallèle aux transferts de compétence­s proposés par les géants de la tech comme Google, Orange ou Huawei.

Le secteur de la cybersécur­ité suppose des investisse­ments considérab­les, à la hauteur des défis qu’il représente à la veille de l’ère quantique. En 2021, le marché mondial était évalué à 150 milliards de dollars par le cabinet américain Gartner. L’Afrique reste un poids plume. Le secteur de la cybersécur­ité sur le

Cybersécur­ité: l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaq­ues en 2021

continent représenta­it 2,32 milliards d’euros en 2020, d’après les données d’Africa Cyber Security Market.

La protection des data à l’épreuve de l’extraterri­torialité du droit américain

En quelques années, les Etats-Unis ont changé la donne en matière de souveraine­té numérique, à travers l’extraterri­torialité du droit américain. De l’amende (parfois faramineus­e) à la prison ferme (Frédéric Pierucci, ancien cadre d’Alstom, en 2013), ces lourdes sanctions s’accompagne­nt aussi d’un accès aux données sensibles d’une entreprise (Airbus en 2020, par exemple).

La loi FCPA (Foreign Corrupt Practises Act) qui s’attaquait à l’origine, à la lutte contre les fraudeurs, les groupes criminels et terroriste­s, fut appliquée à des sociétés étrangères comme la compagnie norvégienn­e Statoil ou le groupe allemand Siemens. En 2010, le Foreign Account Tax Compliance Act qui extraterri­torialise les prérogativ­es du fisc américain, venait compléter cet arsenal juridique. Il en coûta près de 9 milliards de dollars à la BNP Paribas, pour avoir violé les embargos américains en commerçant en dollars avec le Soudan, Cuba et l’Iran, en 2014. De Madrid à Johannesbu­rg et de Melbourne à Nairobi, cette vision extensible du droit américain conditionn­ée à l’utilisatio­n du dollar US ou de serveurs basés aux Etats-Unis, s’applique à toutes les géographie­s.

 ?? ?? (Crédits : DR.)
(Crédits : DR.)

Newspapers in French

Newspapers from France