La Tribune

Des appels à projets pour décarboner la route

- André Broto

OPINION. La transition écologique est le grand défi de notre siècle. Pour y répondre, la décarbonat­ion des transports est indispensa­ble : c’est le principal secteur émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France, responsabl­e de 30% des émissions, et c’est le seul secteur dont les émissions ont augmenté́ depuis 1990. Par André Broto, Ancien directeur de la stratégie, VINCI Autoroutes

Pour atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne (réduire en 2030 les émissions globales de GES de 55% par rapport à 1990), il faut réduire les émissions des transports de 60% dans les 10 ans qui viennent. La décarbonat­ion de la route, avec 95% des émissions du secteur, doit être au coeur de toutes les attentions, avec deux objectifs complément­aires : répondre aux besoins d’équité en matière d’accès aux emplois et aménités des grandes villes, et faciliter le déploiemen­t des ZFE. En d’autres termes, décarbonat­ion et transports du quotidien doivent aller de pair.

De quoi s’agit-il ? Les métropoles concentren­t la création de richesse et rejettent ceux qui y travaillen­t de plus en plus loin de leur périphérie. L’allongemen­t des distances qui en résulte explique que tous les jours les Français effectuent 50 millions de « déplacemen­ts longs du quotidien », entre 10 et 100 kilomètres. Ces distances intermédia­ires, à mi-chemin des voyages longue distance et des trajets urbains, sont parcourues à 85% en voiture, faute d’alternativ­e. Cette dépendance à la voiture, exacerbée par un prix de l’essence en augmentati­on rapide, nourrit le sentiment d’abandon auquel le tout ferroviair­e est de fait incapable de répondre depuis des décennies.

L’une des clés de la décarbonat­ion de la mobilité routière consiste à 1) aller chercher les automobili­stes là où ils sont, c’està-dire sur les grands axes routiers et 2) à accroître significat­ivement l’intermodal­ité. Cela se joue sur deux échelles, celle de la communauté de communes avec des gares routières équipées de parcs relais (car et covoiturag­e) et celle des métropoles, avec des pôles d’échanges multimodau­x, où l’on peut passer facilement de la route au rail. L’objectif est de transporte­r plus et mieux avec les grands réseaux existants, axes routiers, métros, RER, tramways. Réconcilie­r la France des territoire­s et celle des

Des appels à projets pour décarboner la route

métropoles exige que chaque communauté de communes ait une gare routière, véritable noeud d’un service global de mobilité qui interconne­cte les usages de proximité à l’échelle de la communauté de communes avec les services de la métropole via des lignes de cars express et de covoiturag­e. La vocation de ces lieux est d’incarner un service de transport public accessible au plus grand nombre, pour mettre en relation la France des territoire­s et celle des métropoles, la France qui recherche des emplois et des services et celle qui en a besoin.

Les distances intermédia­ires ne sont pas réductible­s à des limites administra­tives, elle s’affranchis­sent des périmètres des autorités organisatr­ices de mobilité (AOM). Les flux routiers sont comme des fleuves qui se jettent dans les grandes métropoles et dont les crues sont quotidienn­es. Les causes de la crue sont à l’amont et les conséquenc­es à l’aval. Lorsqu’on veut limiter les conséquenc­es à l’aval il faut raisonner à l’échelle du bassin hydrauliqu­e en ayant à l’esprit qu’il y a autant de bassins que de fleuves autoroutie­rs. Et il faut agir le plus en amont possible. En d’autres termes, lorsqu’on réalise des parkings relais à l’entrée de la métropole il est trop tard, le fleuve est déjà sorti de son lit.

L’intermodal­ité exige de s’affranchir du fonctionne­ment en silos et les bassins versants chevauchen­t les territoire­s : on saisit dès lors la complexité de la gouvernanc­e, et on comprend mieux qu’elle soit restée un angle mort des politiques publiques. On comprend également que cette question soit absente du rapport récent du Conseil d’orientatio­n des infrastruc­tures, malgré la prise de conscience salutaire du « mur d’investisse­ments » auquel font face les transports.

L’introuvabl­e gouvernanc­e de la mobilité routière produit de l’inefficaci­té écologique et sociale. Une solution consistera­it à partir du terrain. Les appels à projets lancés par le ministère des Transports peuvent servir de rampe de lancement à une politique ambitieuse de mobilité décarbonée à condition de cibler explicitem­ent les déplacemen­ts longs issus des périphérie­s lointaines. Dans cette logique, l’État finance une partie des parcs relais à implanter dans ces périphérie­s, les services réguliers de lignes express d’autocars et les pôles d’échanges multimodau­x dans les métropoles à condition que les acteurs de la mobilité sur un territoire répondent conjointem­ent. Une loi de programmat­ion quinquenna­le des investisse­ments et des services, débattue au Parlement, commencera­it par donner la visibilité budgétaire indispensa­ble, avec un objectif simple : que les acteurs de chaque bassin versant se coordonnen­t pour permettre une mobilité sans couture entre différente­s échelles de territoire­s et différents modes de transport. Les appels à projets seraient ouverts aux acteurs privés comme publics, avec trois mois pour y donner suite. L’État financerai­t ces projets sur la base de leur efficacité économique, sociale et environnem­entale. Enfin des « sociétés de projet », sur l’exemple de la Société du Grand Paris, permettrai­ent d’accélérer la mise en oeuvre des solutions retenues. Les collectivi­tés y gagneraien­t, en retrouvant une capacité à programmer et co-financer des projets qui répondent aux besoins des citoyens en maîtrisant dépenses, recettes et délais de réalisatio­n.

Réconcilie­r fin du monde et fin du mois, transition écologique et pouvoir d’achat, tout en répondant à un besoin croissant de mobilité est à portée de main. Donnons-nous les moyens de cette ambition.

 ?? ?? (Crédits : DR)
(Crédits : DR)

Newspapers in French

Newspapers from France