La Tribune

Dans l’attente d’un nouveau Premier ministre, les impasses du parti unique

- Marc Endeweld @marcendewe­ld

POLITISCOP­E. Emmanuel Macron prend son temps, engagé depuis sa réélection dans une phase de “décantatio­n”. Le temps de transforme­r La République en Marche en Renaissanc­e et de superviser les investitur­es pour les Législativ­es. Et de chercher son “Edith Cresson” pour Matignon. Sans grand succès, pour l’heure. A droite, on multiplie les offres de service, tandis que Mélenchon absorbe presque toute la gauche pour viser la cohabitati­on en juin.

Le soir de sa victoire, Emmanuel Macron l’avait promis : vous allez voir ce que vous allez voir, durant mon second quinquenna­t, ma méthode politique ne sera plus la même. Fini la présidence « verticale », fini l’hyper concentrat­ion des pouvoirs à l’Elysée. Le président allait se ressourcer auprès des forces sociales du pays, syndicats compris. Au cours de la bataille du second tour, il avait emprunté certaines expression­s à ses adversaire­s écolos et de la gauche pour convaincre. À droite, Nicolas Sarkozy lui avait soufflé qu’il serait nécessaire de procéder à une grande « coalition » à l’allemande.

Une fois revenu de son escapade à la Lanterne, le président Macron a pourtant retrouvé ses bonnes vieilles habitudes. L’homme déteste plus que tout devoir se presser. Il adore faire attendre ses obligés. C’est le cas pour les investitur­es de chacun des députés LREM, qu’il vise personnell­ement une à une. C’est le cas aussi pour la nomination d’un nouveau Premier ministre. Emmanuel Macron et Alexis Kohler prennent un malin plaisir à jouer avec les nerfs de tous leurs supporters et courtisans. « Ce n’est pas un changement de méthode, c’est la première méthode en pire. Ce n’est pas “avec vous”, c’est avec moi et pour moi »,

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fulmine notre Jacques Sisteron, cet ancien de l’aventure Macron de 2017 qui a décidé de nous dévoiler anonymemen­t les travers de la macronie.

Résultat, alors que les signaux d’alerte se multiplien­t pour l’économie mondiale et la situation internatio­nale, la foire au nom occupe les journalist­es politiques à Paris. On a vu jour après jour différents patronymes être égrenés dans la presse. Au château, Brigitte Macron pousse pour que le job de Matignon revienne à une femme (on rappelle que la seule femme ayant occupé le poste fut Edith Cresson sous François Mitterrand). Et puis les noms de « gauche » furent évoqués, manière de contrer la poussée Mélenchon aux législativ­es. L’ancienne directrice de cabinet de Manuel Valls, Valérie Bédague, actuelleme­nt directrice générale du groupe Nexity fut ainsi reçue par Alexis Kohler. Pourtant, ce dernier dit auprès de son entourage qu’il ne s’agissait pas d’un démarchage en bonne et due forme.

Macron, un allumeur qui ne conclut jamais

Et voilà le retour de l’ambiguïté dans la gouvernanc­e macronienn­e : laisser croire à tous, promettre beaucoup, et finalement en laisser un certain nombre sur le bord de la route. Car ils sont nombreux à taper à la porte de l’Elysée depuis quelques jours. « Ils se taisent tous, venant de la droite ou de la gauche, car il espèrent tous décrocher un poste au gouverneme­nt », estime une figure de LR, qui ajoute : « Mais comme dit la journalist­e Catherine Nay, c’est un allumeur, mais il ne conclut jamais ! C’est comme s’il draguait sur Grindr, mais qu’il fermait d’un coup l’applicatio­n laissant tous ses prétendant­s en plan ».

À droite, Jean-François Copé essaye par tous les moyens de plaire au chef de l’État. Pas un jour ne passe sans que l’ancien patron de l’UMP ne fasse une « offre de service » auprès de la macronie. Pas un jour non plus sans que le maire de Meaux balance une critique contre son parti. Mais Copé sait qu’il ne peut prétendre à Matignon. Pour le poste tant convoité, une source de droite se risque à sortir le nom de Laurent Wauquiez, le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes, décidément bien silencieux ces derniers jours et qui aurait « dealé » avec le président de la République depuis plusieurs mois déjà...

Mais d’autres noms bénéficien­t de chances plus sérieuses.

C’est le cas de Thierry Breton, l’actuel commissair­e européen au marché intérieur, qui connait Emmanuel Macron depuis son passage chez Rothschild (le jeune banquier avait travaillé pour lui quand il était patron d’Atos). Aujourd’hui, ce dernier « rêve de revenir à Paris », croit savoir un poids lourds de la droite, quand un autre dit au contraire « qu’il n’est pas intéressé par le poste ». En 2020 pourtant, quand l’Elysée avait dû trouver un remplaçant à Edouard Philippe, Breton avait espéré être appelé. Aujourd’hui, c’est son protecteur Bernard Arnault, patron de LVMH et ami du couple présidenti­el, qui pousse depuis plusieurs jours sa candidatur­e auprès du château. De son côté, Jean-Pierre Raffarin, qui a connu Breton dans le Poitou et sur le projet du Futuroscop­e, milite également dans ce sens.

58 circonscri­ption pour Horizons

Voilà pour Matignon. Mais pour pérenniser le poste après juin, il est tout de même nécessaire de gagner les législativ­es. Sur ce front, la dynamique unitaire de Mélenchon à gauche se fait de plus en plus menaçante. Alors, en apparence, la macronie sert les rangs. Bayrou, Ferrand et Philippe inventent d’un coup une « confédérat­ion » entre les marcheurs, le Modem et Horizons. Et les marcheurs changent de nom : fini LREM, place à la « Renaissanc­e ». Pourtant derrière ce marketing politique, les couteaux sont tirés entre les différente­s composante­s de la majorité. Tous les coups sont permis parmi les différents impétrants au sein du parti unique de « l’extrême centre », expression utilisée par Emmanuel Macron lui-même au micro de France Inter deux jours avant le second tour. Car entre le président et ses troupes, il n’y a en réalité aucune « coalition » à l’Allemande qui tienne. Le chef de l’État souhaite continuer à gouverner sans partage, dans la plus pure tradition bonapartis­te. Entre lui et ses soutiens, aucune chapelle ne peut interférer, même pour donner l’image d’un président qui sait écouter et partager son pouvoir dans un « rassemblem­ent ».

À l’Elysée, l’objectif numéro un est d’ailleurs d’affaiblir Édouard Philippe devenue l’une des personnali­tés préférés des Français. Comme je l’ai expliqué très tôt dans La Tribune, les relations entre les deux hommes sont devenues de plus en plus exécrables depuis 2018. Déjà en 2020, je racontais les tensions grandissan­tes entre eux durant le conflit des retraites puis au moment du remaniemen­t après covid. À la rentrée 2021, je me demandais si Macron avait encore besoin de Philippe, puis j’expliquais début 2022 les ambitions du maire du Havre pour le prochain quinquenna­t et la présidenti­elle de 2027. « Quelque part le gagnant politique du précédent quinquenna­t est Edouard Philippe, et c’est insupporta­ble pour Emmanuel Macron, qui en a fait l’homme à abattre », constate un observateu­r.

On apprend ainsi grâce à Europe 1 qu’Emmanuel Macron aurait déclaré lors d’une réunion à l’Elysée : « Aucune circonscri­ption pour Horizons, ce sont des cons ! ». Au final, le maire du Havre a tout de même réussi à décrocher 58 circonscri­ptions. De fait, malgré ses nombreux ennemis dans la majorité (Bruno Le Maire, Christian Estrosi...) Édouard Philippe a réussi son premier round : « Edouard est un boxeur et vu son allonge, si toutefois il te loupe

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sur un premier crochet, rien que le vent t’enrhume », s’amuse Jacques Sisteron.

Mais ce « sauve qui peut général » de la classe politique la plus institutio­nnelle, issue de la droite comme de la gauche, pourrait faire oublier à tous de convaincre les électeurs pour les prochaines législativ­es. Car ce rassemblem­ent d’élus profession­nels au sein de « l’extrême centre » pourrait jouer de mauvais tours en pleine tripartiti­on de la vie politique française. L’opération destructio­n du LR et du PS, poussée par Emmanuel Macron jusqu’au bout de sa logique, pourrait bientôt apporter plus d’inconvénie­nts que d’avantages.

Tout le monde l’a oublié, mais si Jacques Chirac avait refusé nommer un gouverneme­nt d’union nationale en 2002 après sa large victoire contre Jean-Marie Le Pen (car bénéfician­t du vote des électeurs de gauche du fait du « front républicai­n »), c’est qu’il craignait les effets pervers d’un tel rassemblem­ent à l’égard de l’opinion : « Il y a vingt ans, Chirac avait bien compris la logique de la Vème République qui fait qu’une union de ce type ne peut se faire qu’autour d’un homme et pas autour d’un programme comme en Allemagne. Et que dans ce contexte, l’idée d’une union de la gauche et de la droite institutio­nnelle était en fait la porte ouverte à laisser le champ libre aux extrêmes, ce qui se passe exactement avec l’extrême centre de Macron en affaibliss­ant tous les contre-pouvoirs habituels », me confie un ancien chiraquien de coeur. En cas de victoire en juin, assisterai­t on au retour massif des Gilets jaunes et autres jacqueries visant la figure du Roi, cet « absent » de la démocratie française selon Emmanuel Macron ?

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(Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)
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