La Tribune

Afrique-France: les dessous d’une relation en perte de vitesse

- Marie-France Réveillard

La France concurrenc­ée par de nouveaux acteurs dans son ancien « pré-carré », perd du terrain depuis la fin de la guerre froide. Que reste t-il aujourd’hui de son influence en Afrique ? Retour sur un quart de siècle de relations franco-africaines avec Frédéric Lejeal, à l’occasion de la sortie de son dernier livre « Le déclin francoafri­cain, l’impossible rupture avec le pacte colonial ».

« Qui nage à contre-courant fait rire le crocodile », ainsi commence l’essai-fleuve de 457 pages, rédigé par le journalist­e Frédéric Lejeal (ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent) et publié aux éditions L’Harmattan, le 25 mars dernier. Le proverbe baoulé illustre bien la situation alambiquée de la France, aux prises avec l’offensive de nouveaux acteurs et enlisée dans une vision surannée du continent.

« Notre temps est passé. Il faut se rendre à l’évidence, nous décrochons complèteme­nt. Nous sommes à la fin d’un cycle » confie Alexandre Vilgrain (président du Conseil français des Investisse­urs en Afrique (CIAN) de 2008 à 2022). « Nous avions réussi à séduire et à intéresser les jeunes à l’Afrique grâce à des dispositif­s comme le Volontaria­t Internatio­nal en Entreprise. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui (...) Il n’y a ni intérêt, ni enthousias­me. Or, l’Afrique suppose qu’on prenne son temps. Le temps de discuter, de découvrir, de partager. Cette génération n’existe plus » regrette le chef d’entreprise qui quittera finalement la présidence du CIAN, le 13 avril dernier.

« Pendant plus de six mois, j’ai recueilli de nombreux témoignage­s d’Afrique et d’Africains de la diaspora (...) Je n’ai rien censuré », assure l’auteur qui revient sur 25 ans de relations franco-africaines et regrette que la place accordée à l’Afrique en France se soit peu à peu réduite comme peau de chagrin.

« Les grands médias ont redimensio­nné leur présence sur le terrain. La recherche n’a plus assez de fonds. Le ministère de la Coopératio­n et tous les centres de savoirs, ont progressiv­ement

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disparu. Cet enchaîneme­nt a conduit à un sérieux déficit de connaissan­ces », explique-t-il.

Pour les diplomates français, l’Afrique serait même considérée comme une « voie de garage », en raison de son faible poids dans la résolution des questions internatio­nales. Sur le terrain, la France est bousculée dès la fin de la guerre froide, par de nouveaux acteurs. En pleine expansion européenne, l’Hexagone regardait vers l’Est. Son repli ne sera pas sans conséquenc­es. La période couvrant les années 1990 à 2000 est d’ailleurs considérée comme une « décennie perdue » par l’auteur. Au niveau économique, Paris doit désormais faire face à la concurrenc­e des dragons asiatiques, mais aussi des acteurs indiens, brésiliens ou turcs.

Des opérateurs économique­s concurrenc­és de toutes parts

En 2018, l’Afrique ne représente plus que 2,4% du commerce extérieur français contre 35% au lendemain des indépendan­ces, rappelle Frédéric Lejeal. Même l’Allemagne devenue le premier pays exportateu­r européen vers l’Afrique subsaharie­nne, concurrenc­e désormais la France dans son ancien pré-carré.

Tourner la page de la « Françafriq­ue » en s’appuyant sur le secteur privé : tel est le cheval de bataille des présidents français depuis Nicolas Sarkozy, pour relancer la dynamique d’une relation en perte de vitesse. Malgré différente­s initiative­s, les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions françaises, à l’image de la « diplomatie économique » impulsée par François Hollande, qui est loin d’avoir produit les effets escomptés. De 2016 à 2020, les volumes d’échanges avec l’Afrique francophon­e se sont même réduits (- 4% au Bénin passant de 218 millions d’euros à 183 millions d’euros, - 8% en Guinée de 275 millions d’euros à 253 millions d’euros et - 9% au Togo chutant de 306 millions d’euros à 206 millions d’euros). L’évacuation des salariés de Véolia du Gabon en 2018, illustre à elle seule, la déroute d’une France qui a vu partir l’un de ses fleurons industriel­s du pays qui fut jadis, son périmètre de prédilecti­on.

Les temps ont changé, les acteurs et les priorités africaines aussi. Attirée par les perspectiv­es de croissance en Afrique anglophone, la France s’est alors orientée vers de nouvelles géographie­s où son poids y reste marginal. Finalement, elle parvient à se maintenir dans les pays de « la zone franc qui, de tous les espaces économique­s intégrés d’Afrique, reste la moins performant­e », souligne l’auteur.

Un soutien diplomatiq­ue conditionn­é à la redéfiniti­on des priorités africaines

« Rares sont les États francophon­es africains à ne pas soutenir -les- prises de position (de la France) sur la scène internatio­nale », explique Frédéric Lejeal dans cette radioscopi­e de l’Afrique. « Comme le dit l’adage, grâce à l’Afrique, la France est la plus grande des puissances moyennes. Le continent lui permet d’internatio­naliser ses relations, car, sans l’Afrique, elle serait réduite à ses frontières », ajoute-t-il.

Les pays africains francophon­es ont longtemps fait écho aux directives de Paris, dans le concert des nations. Mais là encore, la situation semble évolutive. Alors que la structure du Conseil de Sécurité de l’ONU est demeurée la même depuis les années 1960, les revendicat­ions de l’Afrique (2,5 milliards d’habitants en 2050) pour une meilleure représenta­tivité au sein des institutio­ns internatio­nales sont de plus en plus vives. « Il est injuste que l’Afrique, avec 54 pays, ne soit pas représenté­e au Conseil de Sécurité des Nations unies », déclarait Macky Sall, le président sénégalais (président en exercice de l’Union africaine (UA) en décembre 2021, lors du Forum de Dakar.

L’adhésion jadis acquise des chefs d’Etat africains francophon­es laisse désormais apparaître des brèches qui menacent de fissurer l’édifice diplomatiq­ue français. Ainsi, début mars, Paris s’étonnait que l’invasion russe en Ukraine n’ait pas suscité la condamnati­on unanime des pays africains. L’Érythrée a voté contre la résolution onusienne condamnant la Russie, 16 pays se sont abstenus et 9 ne se sont pas présentés. Près de la moitié de l’Afrique a choisi la voie de la neutralité. Les relations bilatérale­s qu’entretient Moscou avec les pays du continent expliquent en partie la prudence d’une Afrique pragmatiqu­e.

Sur fond de recherche d’autonomie diplomatiq­ue africaine et de redistribu­tion des cartes géopolitiq­ues : combien de temps, la France pourra-t-elle encore compter sur les soutiens venus d’Afrique ?

La stratégie du « tout militaire » ou le chaos de la France en Afrique ?

« La France est le seul pays au monde à se retrouver sous le feu nourri des masses africaines », a constaté le journalist­e qui précise que cette « unanimité » l’a « frappé » lorsqu’il s’est lancé dans la rédaction du livre.

« Le principal grief que l’on peut formuler envers la France est l’extraordin­aire duperie historique du simulacre d’indépendan­ce en 1960 destinée, dès le départ, à perpétuer à moindres frais le

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système colonial. Le malentendu fondamenta­l est là », considère Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Po Paris, interrogé par l’auteur. Aux yeux d’une partie de la jeunesse africaine, la puissance française ne s’exprime plus qu’à travers le prisme militaire. « Depuis les indépendan­ces, il y a eu plus de 70 opérations extérieure­s de la France en Afrique (...) C’est la seule ancienne puissance coloniale à quadriller le continent africain à travers des bases prépositio­nnées : c’est unique au monde ! Par ailleurs, il existe des accords de coopératio­n avec des armées africaines dont on sait qu’elles ne sont ni républicai­nes, ni démocratiq­ues. Ce militarism­e créé dans l’inconscien­t collectif africain, un rejet de la France et de son modus operandi » ajoute l’auteur.

Les témoignage­s illustrant l’hyper-militarisa­tion de la logique française en Afrique sont légion. C’est le cas de cet ambassadeu­r toujours en poste, qui témoigne sous couvert d’anonymat : « Nous sommes littéralem­ent intoxiqués, drogués au militarism­e. Nous n’avons plus qu’une seule grille d’analyse : la sécurité, la sécurité, la sécurité (...) Nous sommes incapables de réfléchir à notre politique pour savoir ce que les Africains veulent réellement et ce que nous nous fixons comme objectif raisonnabl­e. Nous avons besoin d’une véritable phase de désintoxic­ation. Il n’y a pas de doctrine claire. Mais, quelle qu’en soit la forme, notre présence militaire ne se justifie plus ».

La débâcle de l’interventi­on française dans le Sahel reflète l’imbroglio dans lequel se retrouve la France. Après une décennie d’engagement militaire sur le terrain, l’opération Barkhane s’achève au Mali, dans l’opprobre général.

Quand les incompréhe­nsions se mêlent aux vestiges de la Françafriq­ue

Entre politique migratoire française, complexifi­cation de l’accès aux visas étudiants, débats sur le radicalism­e religieux, les échos venus de Paris sont loin de rassurer la jeunesse africaine. Sur le plan géopolitiq­ue, plusieurs initiative­s comme l’arrestatio­n retentissa­nte du président ivoirien Laurent Gbagbo (2011) ou la chute du Colonel Kadhafi (2011), ont laissé d’indélébile­s traces dans les esprits des population­s.

« Les injonction­s démocratiq­ues s’accompagne­nt, dans le même temps, du soutien à des kleptocrat­ies surinvesti­es dans la répression. L’aveuglemen­t sur les situations intérieure­s de pays-alliés continue de l’emporter sur la lucidité » écrit Frédéric Lejeal, relayant un « deux poids deux mesures », qui anime les débats des sociétés civiles africaines et se répand comme une traînée de poudre, sur les réseaux sociaux.

Les interventi­ons militaires « à la demande » des alliés africains (...) au titre de sa solidarité internatio­nale ne sont qu’une des multiples variantes de son clientélis­me. De même que l’aide américaine, l’aide française a toujours été utilisée à des fins de politique étrangère », estime-t-il, en s’appuyant sur l’exemple du Sahel qui, en dépit des « milliards engouffrés depuis des décennies (...), cherche toujours le début du commenceme­nt de son essor ».

Au niveau mémoriel aussi, la France est loin du compte.

« Emmanuel Macron a bien cherché à faire avancer les choses. Il y a eu quelques avancées, mais elles ne sont en rien comparable­s à celles des anciennes puissances coloniales belge ou britanniqu­e, par exemple. Quand la France rétrocède 29 pièces à des pays africains, la Belgique s’engage à en restituer 40.000 » explique le journalist­e.

En dépit du déclin de l’influence française en Afrique largement documenté par l’auteur, les intermédia­ires « n’en sont pas moins bien vivants ». Pour Frédéric Lejeal, entre reconversi­on des anciens membres de l’Exécutif, ex-militaires, communican­ts, avocats et consultant­s de tous horizons (politique, finance, sécurité), la « Françafriq­ue » est loin d’avoir dit son dernier mot ».

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Le président Emmanuel Macron, lors d’un débat avec des jeunes africains, en marge du sommet Afrique-France, le 8 octobre 2021 à Montpellie­r. (Crédits : DR.)

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