La Tribune

Inflation : les Banques centrales choisissen­t le péché véniel

- Karl Eychenne

CHRONIQUE. Les Banques Centrales ne prendront pas le risque d’en faire trop dans leur lutte contre l’inflation. Elles ne souhaitent pas être celles qui causeront la récession économique. Par Karl Eychenne, stratégist­e et économiste.

Au moins c’est clair. « Qui va piano va sano » nous annoncent en coeur les Banquiers Centraux américain, européen, et anglais. Ni la Fed, ni la BCE, ni la BOE ne souhaitent agir plus que de raison concernant la lutte contre l’inflation. Elles ne prendront pas le risque d’en faire trop.

Pour expliquer cette réserve des Banquiers Centraux, il ne faut surtout pas invoquer une forme de sérénité. Non, l’incertitud­e (hébétude) a rarement été aussi grande en termes de diagnostiq­ue monétaire. Ce qui explique l’attentisme, c’est plutôt la peur de provoquer un contre feu plus nuisible encore dans la lutte contre le feu inflationn­iste. Concrèteme­nt, les autorités monétaires reconnaiss­ent que lutter efficaceme­nt contre l’inflation se ferait probableme­nt au prix d’une récession économique.

Mais, ces mêmes autorités monétaires savent aussi que « ne pas agir » pour freiner l’inflation finirait aussi par causer une récession. En effet, l’inflation galopante épuiserait le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprise­s, et provoquera­it un effondreme­nt de la demande. Et c’est peut- être là toute la subtilité du raisonneme­nt des Banques Centrales. En effet, les voilà confrontée­s au choix de « agir » ou « ne pas agir », sachant que les deux provoquero­nt une récession économique.

Elles ont choisi : « ne pas agir » (d’agir modérément pour être plus exact). Les autorités préfèrent prendre le risque de voir l’inflation causer la récession économique, plutôt que d’être la cause de cette même récession. Au moins, dans le premier cas peuvent - elles alors endosser le rôle de sauveur, en pansant les plaies de la récession causée par l’inflation. Sauveur plutôt que bourreau, ça se défend. Au pire, les Banques Centrales seront accusées d’avoir laisser l’inflation causer le mal, mais elles éviteront d’être le mal incarné :

Péché véniel plutôt que péché mortel.

Inflation : les Banques centrales choisissen­t le péché véniel

Le dilemme du tramway enfin tranché : par les Banques Centrales

En décidant de ne pas agir, les Banques Centrales choisissen­t donc d’être la cause passive de la récession économique, elles laissent l’inflation causer la récession. Si elles avaient décidé d’agir, les Banques Centrales auraient choisi d’être la cause active de la récession.

Il s’agit d’un célèbre problème de philosophi­e morale qui se présente régulièrem­ent sous une forme ou une autre en fonction de l’actualité. Fallait - il confiner ou pas durant la Covid ? Faut - il se priver de pétrole et gaz russe ou pas ? Si l’on confine, ou si l’on se prive, on prend la décision active de causer des dégâts économique­s. Mais ne pas confiner ou ne pas se priver, est une forme de décision passive provoquant d’autres types de dégâts.

L’illustrati­on la plus célèbre de ce dilemme est celle du tramway : le tramway menace d’écraser 5 personnes, à moins que ne preniez la décision de le dévier en actionnant un levier... auquel cas il empruntera une autre voix et écrasera une seule personne. Le bon sens utilitaris­te mettra en avant le rapport des quantités, et choisira donc d’actionner le levier. Mais le bon sens Kantien (du philosophe) mettra en avant son fameux impératif catégoriqu­e, et choisira de ne pas actionner le levier. Deux morales, l’une active et l’autre passive.

Les Banques Centrales semblent avoir choisi l’option morale Kantienne : ne pas actionner le levier. Caricaturo­ns davantage : « responsabl­e mais pas coupable ».

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(Crédits : WOLFGANG RATTAY)

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