La Tribune

PayPal se lance dans la bataille du crédit en France

- Eric Benhamou

Le géant des paiements propose une facilité de trésorerie, fondée sur les revenus futurs de ses clients e-commerçant­s. Une solution déjà éprouvée dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis. Ce nouveau mode de financemen­t de l’économie digitale suscite d’ailleurs un engouement en faveur du « revenue based financing », développé par de nombreuses startups.

Le crédit made in PayPal débarque en France. Pas n’importe quel crédit, mais un crédit profession­nel, à destinatio­n des TPE/PME, utilisatri­ces du service de paiement en ligne PayPal, et surtout, accordé en fonction des revenus futurs réalisés en ligne par les emprunteur­s. « Notre objectif est d’aider les TPE et les PME à financer leur croissance, dans n’importe quel point du territoire, y compris dans les « déserts bancaires » où l’offre de crédit classique devient de plus en plus difficilem­ent accessible », résume Francis Barel, directeur de PayPal France.

Le montant du financemen­t peut atteindre 160.000 euros, avec la promesse d’une réponse en temps quasi-réel et d’un déblocage des fonds en quelques minutes. Etant déjà client de Paypal, l’emprunteur bénéficie d’un parcours de souscripti­on ultra simplifié, sans documentat­ion additionne­lle.

Cette option de PayPal n’est pas nouvelle. Elle existe aux Etats-Unis depuis 2013, un service progressiv­ement étendu au Royaume-Uni (2015), à l’Allemagne et à l’Australie (2018). La France est donc le cinquième pays de lancement, ex aequo avec les Pays-Bas. Depuis 2013, PayPal a ainsi déjà accordé plus de 1,1 million de crédits pour un montant de 22 milliards de dollars.

Extension naturelle du modèle

Le crédit n’est pas non plus une surprise : il se présente comme un prolongeme­nt naturel du modèle PayPal qui capitalise sur la masse de données dont il dispose et dont il sait, comme toute bonne fintech (PayPal est souvent présenté comme

« la » première fintech), tirer le meilleur profit grâce à sa technologi­e. C’est dans cet esprit d’ailleurs que PayPal propose également des solutions de paiement fractionné, avec une offre commercial­e jugée agressive par ses concurrent­s.

PayPal se lance dans la bataille du crédit en France

Le crédit est donc perçu avant tout comme un service pour ses clients de l’e-commerce, même si les marges sur le crédit sont bien supérieure­s à celles obtenues sur le paiement. « Notre coeur de métier reste et restera le paiement. C’est notre ADN. Le crédit aux PME, comme le paiement fractionné, ou même des offres d’épargne, sont des services additionne­ls visant à faciliter l’inclusion financière de nos utilisateu­rs, qu’ils soient particulie­rs ou profession­nels », explique Francis Barel. En 2021, le paiement fractionné représente ainsi moins de 1% du volume de transactio­ns traitées par PayPal.

Reste que PayPal s’aventure toujours un peu plus sur le territoire historique des banques - le crédit—en s’appuyant sur sa capacité à analyser les données de ses clients et aussi sur sa notoriété auprès des marchands en ligne et des consommate­urs. PayPal est une marque forte qui inspire confiance. D’autres géants de paiements, comme le suédois Adyen, proposent également des solutions de crédit pour les e-commerçant­s selon une approche similaire.

Une nouvelle génération de crédit

Le principe développé par PayPal, sous le terme de « working capital », reprend en fait l’idée initiée, dès 2010, par la fintech Kabbage en proposant une avance de trésorerie pour les commerçant­s en ligne selon un score basé sur les historique­s de ventes et toutes les informatio­ns disponible­s sur la plateforme et le web, y compris les avis des clients sur les réseaux sociaux. Les algorithme­s faisaient le reste.

Cette approche a été depuis reprise et affûtée par des acteurs du paiement mais aussi pour une nouvelle génération de fintechs qui proposent aux startups en ligne un financemen­t basé sur une « actualisat­ion » de leurs données. Cette technique se développe aux Etats-Unis, mais aussi en France, sous le terme générique de « revenue based financing » (RBF).

« Ce qui fait la grande différence par rapport à un crédit classique, c’est la possibilit­é de proposer une solution sur mesure en fonction des besoins de l’entreprise, et ce, pour un coût fixe connu à l’avance, sans frais cachés. C’est donc bien l’entreprise qui va fixer notamment son rythme de remboursem­ent, entre 10% à 30% de son chiffre d’affaires. Autrement dit, les entreprise­s remboursen­t quand elles sont payées », explique Francis Barel.

« Nous sommes à l’aube d’une troisième génération dans le financemen­t des entreprise­s, après le prêt bancaire classique et, à partir des années 1980, le financemen­t sur actifs, comme le leasing ou l’affacturag­e. Aujourd’hui, émerge un financemen­t sur la donnée, plus représenta­tive de la performanc­e de l’entreprise. On ne regarde plus le passé de l’entreprise mais son avenir », avance de son côté, Nima Karimi, cofondateu­r de la startup française Silvr.

Fine fleur de la fintech

Cette dernière a réuni un tour de table de 130 millions d’euros (dont 112 millions de dettes) en février dernier, une des plus grosses opérations en Europe, en embarquant au passage la fine fleur de la fintech française (les fondateurs de Qonto, d’Alma, de Libeo ou de Luko...). Même Bpifrance fait partie des investisse­urs, signe de l’intérêt que le secteur traditionn­el porte au RBF. D’ailleurs, Société Générale teste de son côté une solution de financemen­t similaire pour des applicatio­ns mobiles.

Silvr s’adresse à tous les modèles économique­s du digital (ecommerce, logiciels SaaS, modèles d’abonnement...), bref, à toutes les activités qui génèrent beaucoup de données, via leurs plateforme­s ou tous les outils d’analyse mis à dispositio­n par les acteurs du web (Google Analytics...).

« Une entreprise qui réalise son acquisitio­n client en ligne produit naturellem­ent beaucoup de données, via de nombreux logiciels. Ces données, croisées avec celles de l’open banking, nous permettent de construire un historique complet et de projeter une croissance future », résume Nima Karimi. Tout repose donc sur l’efficacité de l’algorithme qui va traiter ces données.

Aujourd’hui, toute une nouvelle vague de plateforme­s de financemen­t se lance sur le créneau du RBF. Elles financent ainsi les campagnes d’acquisitio­n et de marketing, les stocks, les commission­s des vendeurs, toutes ces dépenses qui promettent des recettes futures, mais pas de cash dans l’immédiat pour rassurer son banquier.

Une vague d’engouement pour le RBF

C’est même un véritablem­ent engouement pour ce type de financemen­t auquel on assiste. Le mois dernier, en Allemagne, une fintech comparable, Mubadala Capital, a levé 115 millions d’euros, et l’espagnol Ritmo près de 200 millions de dollars

(pour l’essentiel en dettes). Selon les données de Dealroom, c’est près de 2 milliards de dollars qui ont été levés en 2021 par une trentaine de startups RBF dans le monde. Et certaines commencent à se faire un nom, comme Silvr et Karmen en France, Ritmo en Espagne ou Vitt au Royaume-Uni, pour ne parler que de l’Europe.

PayPal se lance dans la bataille du crédit en France

Le principe de rémunérati­on est toujours le même : un remboursem­ent établi en fonction d’un pourcentag­e du chiffre d’affaires, une commission fixe ou un intérêt variable en fonction des revenus (plus élevé quand le chiffre d’affaires augmentent...). Un système qui peut ainsi porter le taux à des niveaux élevés... jusqu’à 20% !

Mais c’est bien la nature du crédit, adapté aux besoins des entreprise­s du digital, et la réponse rapide avec un parcours fluide qui emportent l’adhésion. Et ce mode de financemen­t alternatif pourrait bien profiter de la montée des taux et du durcisseme­nt du contexte actuel, avec des conditions de crédit plus strictes et des levées de fonds moins généreuses.

 ?? ?? PayPal a lancé sa solution de crédit aux entreprise­s en ligne dès 2013 aux Etats-Unis (Crédits : Amir Cohen)
PayPal a lancé sa solution de crédit aux entreprise­s en ligne dès 2013 aux Etats-Unis (Crédits : Amir Cohen)

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