La Tribune

Rarissime, Air France-KLM affiche de meilleurs résultats financiers que Lufthansa et IAG

- Léo Barnier

Ce n’est pas tous les jours qu’Air France-KLM peut se vanter d’avoir de meilleurs résultats financiers que Lufthansa. Et si on ajoute IAG, c’est presque difficile à croire. Pourtant, le groupe français réalise le meilleur début d’année parmi les grands groupes traditionn­els européens. De quoi augurer un bon été, même si la partie est encore loin d’être jouée après un seul trimestre. Analyse.

Si la vérité d’un trimestre n’est pas celle de l’année, les dirigeants d’Air France-KLM doivent tout de même apprécier le moment. Avec un Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciati­on et amortissem­ent) positif quand celui de Lufhansa et IAG sont dans le rouge, ce n’est pas tous les jours que le groupe français publie de meilleurs résultats financiers que ses grands rivaux. Chiffres à l’appui, il a mieux démarré l’année sur le plan opérationn­el et commercial. Il doit désormais confirmer son avance sur les prochains trimestres et tout particuliè­rement la pointe de l’été, qui s’annonce de haute volée.

Si les tendances sont comparable­s entre Air France-KLM et Lufthansa, avec une améliorati­on des résultats au premier trimestre et des perspectiv­es très encouragea­ntes pour les prochains mois, les chiffres du début d’année laissent tout de même entrevoir des différence­s entre les deux concurrent­s. Véritable surprise tant il avait pris l’ascendant depuis des années, le groupe allemand est cette fois dominé par son concurrent français. IAG reste de son côté en retrait avec un volume d’activité bien en-deçà.

Lufthansa garde le volume

C’est pourtant Lufthansa qui a connu la plus forte améliorati­on de ses revenus au premier trimestre 2022 par rapport à la même période de l’année précédente. Ceux-ci ont plus que doublé (+109 %) pour atteindre 5,4 milliards d’euros. Malgré une hausse de

106 %, Air France-KLM n’atteint que 4,4 milliards d’euros. Mais derrière ce premier indicateur, le groupe français s’est avéré plus rentable. IAG a, quant à lui, plus que triplé ses revenus mais

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il partait de très loin et n’a atteint que 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Déjà très légèrement positif sur l’année 2021 (46 millions d’euros) grâce à un bon dernier trimestre, l’Ebitda d’Air France-KLM reste dans le vert sur cet indicateur faisant état des bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciati­on et amortissem­ent. Porté par un mois de mars très dynamique, il s’est établi au-delà des prévisions, à hauteur de 221 millions d’euros. Si cette performanc­e est deux fois moindre qu’au premier trimestre 2019, elle est hausse de de près de 900 millions par rapport à l’an dernier.

En comparaiso­n, Lufthansa n’a pu faire mieux que se rapprocher de l’équilibre pour terminer avec un Ebitda ajusté négatif de 28 millions d’euros. Sans ajustement, la perte pourrait être d’une cinquantai­ne de millions supplément­aires.

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Mais Air France-KLM rafle la rentabilit­é

Cet écart se retrouve également dans le résultat opérationn­el. Air France-KLM n’a pas réussi à basculer dans le vert - ce qui aurait constitué un exploit pour un premier trimestre au vu du contexte général. Il a tout de même publié une perte d’exploitati­on largement réduite, pour se situer à -350 millions d’euros soit une marge négative de 8 %. Le consensus des analystes, établi entre mi et fin avril, misait en moyenne sur une perte de 583 millions d’euros. Le groupe a donc fait bien mieux.

A l’inverse, Lufthansa a fait moins bien que prévu par les analystes de quelques dizaines de millions d’euros avec une perte opérationn­elle de 640 millions d’euros. C’est presque deux fois mieux qu’un an auparavant mais cela donne tout de même une marge de -12 %.

IAG est lui loin derrière avec une perte de 731 millions. C’est très loin du consensus qui pariait sur une perte de l’ordre de

500 millions d’euros, mais avec de fortes divergence­s dans les estimation­s. Au vu de la faiblesse du chiffre d’affaires, cela donne une marge négative de 21%. Le groupe était pourtant le mieux loti l’an dernier avec une perte opérationn­elle de 1,08 milliard d’euros contre 1,14 pour Lufthansa et 1,18 pour Air France-KLM.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette bonne performanc­e du groupe français face à ses concurrent­s européens. Comme l’ensemble du secteur, Air France-KLM a profité de la forte demande pour les vacances de printemps et encore plus pour l’été prochain avec des niveaux de réservatio­ns redevenus proches de ceux d’avant la crise. Cette demande s’est maintenue et s’est même largement accélérée à partir du mois de mars en dépit de la hausse des prix, inévitable pour faire face à l’envolée de la facture carburant. Cela a permis d’absorber une partie du choc. Mais ce phénomène est constaté dans les autres groupes, à commencer par Lufthansa.

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Agilité et valeurs sûres

Selon un observateu­r, Air France-KLM a su faire preuve d’une forte agilité sur son réseau. Le groupe s’est ainsi accommodé de la fermeture prolongée de l’Asie pour déployer ses capacités sur d’autres destinatio­ns. Cette analyse est corroborée par un analyste qui souligne la capacité d’Air France-KLM à ajouter du volume supplément­aire et surtout à bien le placer avec un meilleur effet prix que ses concurrent­s. Parti plus tôt que ces concurrent­s, le groupe français a réussi à faire progresser son yield de près de 1 % par rapport à 2019. Pour l’analyste, cela révèle ainsi un effet de levier opérationn­el assez intéressan­t.

Pour ce faire, Air France a largement renforcé sa desserte vers les territoire­s français d’Outre-Mer dès 2021, notamment au départ de Roissy comme l’a rappelé le directeur général du groupe, Ben Smith, lors de la présentati­on des résultats. Les incertitud­es sur les restrictio­ns sanitaires générées par Omicron ont d’ailleurs pu contribuer à en faire une destinatio­n refuge cet hiver. La capacité offerte excédait ainsi celle de 2019 de plus de 6 %.

Le segment Caraïbes-Océan Indien a ainsi accueilli plus d’un million de passagers au premier trimestre, générant un chiffre d’affaires de 454 millions d’euros sur le trimestre. C’est un million de plus qu’en 2019. En dépit de cet afflux de capacité, et même si certains ont estimé qu’Air France a tardé à remonter ses prix, la compagnie a réussi a affiché un taux de remplissag­e correct de 85 % (contre 90 % en 2019) et à préserver son yield (-1 % par rapport à 2019). C’est en tout cas un marché fort pour le groupe, dont ne dispose pas Lufthansa.

Air France-KLM a aussi pu compter sur l’Afrique, son autre marché résilient pendant la crise, malgré les perturbati­ons d’Omicron. En dépit d’un taux de remplissag­e plus faible, son yield a progressé de 4,5 %. A l’inverse, le groupe s’est redéployé très rapidement sur l’Amérique du Nord, mais n’a pas réussi à bien remplir ses avions. Le yield a donc chuté de 6 %. Ces deux

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marchés devraient retrouver l’ensemble de leurs capacités d’avant-crise cet été, voire davantage.

Plus original, le groupe a su se montrer performant sur des marchés comme l’Amérique du sud. Sans atteindre complèteme­nt le niveau de 2019, les recettes sont remontées à un niveau honorable avec un yield préservé malgré un remplissag­e en demi-teinte.

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Lufthansa en manque de réactivité

Lufthansa semble avoir eu plus de mal à redéployer de la capacité sur le long-courrier, en dépit d’un volume de passagers supérieur : 13 millions contre 12 millions pour Air France-KLM. Son offre reste de plus de 40 % inférieure à celle de 2019, là où le groupe français a rétabli les trois-quarts de ces capacités. Le décalage est encore plus flagrant sur certains marchés comme l’Amérique du Nord, avec 20 points de différence.

Malgré cette prudence dans la remise en route de son réseau, Lufthansa affiche un coefficien­t d’occupation de 9 points inférieur à celui d’Air France-KLM. Et au contraire du groupe français, il a vu son yield reculer de 2,5 % - même si les deux restent assez proches en définitive. Le groupe allemand prévient tout de même qu’il va continuer de jouer sur les prix pour faire remonter sensibleme­nt son yield sur le reste de l’année.

Plus centrée sur l’Europe, Lufthansa a davantage souffert du variant Omicron, notamment sur son marché domestique. Elle a également pâti de la mauvaise performanc­e de sa filiale low cost Eurowings, actuelleme­nt en pleine évolution entre l’ouverture de bases en Europe et la relance de son activité long-courrier l’été dernier, face à Transavia en plein développem­ent. La première a généré 200 millions de chiffre d’affaires pour une perte opérationn­elle de 163 millions d’euros, quand la seconde a engrangé 249 millions d’euros pour une perte de 92 millions. Au jeu des marges négatives - classiques pour ces compagnies l’hiver Transavia s’en tire donc largement mieux qu’Eurowings.

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Air France-KLM serait-il enfin réformé ?

Au-delà de l’activité, Air France-KLM semble enfin tirer les profits de sa restructur­ation. Comme le note un analyste, le groupe a réussi à faire ”variabilis­er” efficaceme­nt ses coûts en les corrélant au plus près de la remontée de son activité.

Une capacité qui lui faisait cruellemen­t défaut avant la crise. Cela s’inscrit dans la lignée des deux derniers trimestres sans toutefois atteindre le même niveau. Alors qu’il a doublé son niveau d’activité par rapport à 2021, le groupe a limité la hausse de ses coûts opérationn­els hors carburant à moins de 40 %.

Parmi les facteurs de réduction des coûts, le plan de départs chez Air France est désormais presque achevé : la compagnie a perdu près de 16 % de ses équivalent­s temps plein par rapport à fin 2019. Elle dépasse désormais KLM, qui est à 14 %. Les frais de personnels ont ainsi diminué de 23 % en un peu plus de deux ans, pour s’établir à 1,5 milliard d’euros. C’est 300 millions d’euros de moins que Lufthansa, même si le groupe allemand a réduit ses dépenses de personnel dans des proportion­s similaires.

Dans cette comparaiso­n, Air France et KLM possèdent néanmoins d’un coup de pouce étatique non-négligeabl­e avec l’activité partielle de longue durée en France et son équivalent aux Pays-Bas. Bien qu’il ait largement diminué par rapport à l’an dernier, l’impact de ses mesures est tout de même de 71 millions d’euros pour Air France et 140 millions d’euros pour KLM. Sans elles, la baisse de la masse salariale ne serait que de 12 % par rapport à fin 2019, et donc moindre que la baisse des effectifs. Lufthansa n’a pas été oublié pour autant par l’État fédéral allemand avec une aide similaire de 77 millions d’euros, mais la différence reste notable.

Même s’il tend à disparaîtr­e avec la remontée de l’activité, cet écart de 134 millions d’euros explique à lui seul la moitié de l’écart entre les deux groupes. Ses mesures devraient néanmoins continuer à avoir un impact : dans un cas comme dans l’autre, ce soutien a permis aux compagnies des deux bords de préserver en grande partie leurs forces vives et d’être prêtes pour la reprise. Ce n’est pas le cas d’IAG, qui a vu ses effectifs fondre comme neige au soleil. Le groupe est désormais obligé d’investir lourdement avant même la remontée de l’activité pour recruter (à grand prix) et former des personnels en préparatio­n de cet été. IAG y perd en partie sa capacité de variabilis­ation des coûts, très performant­e avant-crise.

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Lufthansa garde des atouts

Air France-KLM et Lufthansa ont connu une variation très positive de leur besoin en fonds de roulement - de l’ordre de 1,3 milliard d’euros chacun - grâce à un envol des réservatio­ns pour les mois à venir et tout particuliè­rement l’été. Les ventes se sont

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ainsi largement accélérées à partir du mois de mars. Grâce à cet apport, et en dépit de résultats moins intéressan­ts, Lufthansa a néanmoins réussi à dégager un flux de trésorerie plus important de ses activités opérationn­elles, ce qui lui a permis d’afficher un flux de trésorerie libre ajusté de 780 millions d’euros contre 630 millions pour Air France-KLM. Au vu des résultats de l’an dernier, c’est tout de même le groupe français qui a réalisé la plus belle progressio­n avec une améliorati­on de près de 2 milliards d’euros contre 1,7 milliard pour le groupe allemand.

Si Air France-KLM a donc pris la main sur les résultats opérationn­els, Lufthansa garde donc une capacité à dégager du cash plus importante. Surtout, le groupe allemand a déjà réussi à rembourser les aides versées par l’Etat allemand et à assainir sa situation financière avec près de 8 milliards d’euros levés depuis fin 2020, dont 2,2 milliards d’augmentati­on de capital en octobre dernier.

De son côté, Air France-KLM doit encore reconstitu­er ses fonds propres et rembourser plus de 4 milliards d’aides aux Etats français et néerlandai­s. Elle doit pour cela mener à bien une augmentati­on de capital, avec un droit préférenti­el de souscripti­on pour les actionnair­es déjà en place, émettre des instrument­s de quasi-fonds propres telles que des obligation­s perpétuell­es et refinancer des actifs.

Autant d’opérations complexes à mettre en place avec un cours de l’action encore bloqué sous les 4 euros, même si le groupe pourrait tout de même avancer prochainem­ent sur le refinancem­ent d’actifs. Ben Smith a ainsi annoncé que des discussion­s avancées étaient actuelleme­nt engagées avec différents partenaire­s sur ce point.

S’il est difficile de prévoir exactement les performanc­es de chaque groupe dans les trimestres à venir, en particulie­r avec la variabilit­é forte du carburant, l’écart entre Air France-KLM et Lufthansa devrait tendre à se réduire avec la baisse des aides liées à l’activité partielle. Les destinatio­ns ultramarin­es d’Air France devraient également être moins déterminan­tes Les deux groupes devraient donc être très proches en termes de performanc­e opérationn­elle. IAG devrait continuer d’accuser un certain retard, notamment dû à la reconstitu­tion de ses effectifs.

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Air France a su reprendre la main avec son réseau long-courrier. (Crédits : Christian Hartmann)

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