La Tribune

Lhyfe, cette start-up française qui se voit en géant mondial de l’hydrogène renouvelab­le

- Marine Godelier

Passer d’un chiffre d’affaires de 200.000 euros à 200 millions de revenus en cinq ans seulement: l’ambition de Lhyfe, cette startup nantaise fondée en 2017 et spécialisé­e dans la production d’hydrogène renouvelab­le, est immense. Et pour cause, la jeune pousse sait qu’elle peut s’appuyer sur un marché européen extrêmemen­t porteur, à l’heure où Bruxelles compte plus que jamais mettre les gaz sur ce vecteur énergétiqu­e afin de se défaire des hydrocarbu­res russes. Mais la route promet d’être longue avant de pouvoir disposer des capacités renouvelab­les suffisante­s pour produire chaque jour plusieurs tonnes d’hydrogène. Explicatio­ns.

A quelques centaines de mètres du parc éolien de Bouin, en Vendée, une usine d’un nouveau genre, sortie de terre en 2020, tourne à plein régime. Alimentée par la force du vent et reliée à l’océan, mais non raccordée au réseau national, elle produit depuis près d’un an environ 300 kilogramme­s d’hydrogène renouvelab­le par jour, grâce à un électrolys­eur qui décompose l’eau via un courant électrique. Compressée puis transporté­e par camion, la précieuse molécule ainsi obtenue approvisio­nne, à quelques dizaines de kilomètres de là, les chariots élévateurs d’un site logistique de Lidl, les camions-bennes du Mans, ou encore les bus de la commune voisine de La Roche-sur-Yon. De quoi limiter l’empreinte environnem­entale de la mobilité dans la région, fait valoir son exploitant, qui croit, dur comme fer, dans le futur de l’hydrogène décarboné.

Mais pas de mastodonte­s du secteur à l’horizon : c’est une start-up nantaise, Lhyfe, créée il y a cinq ans seulement, qui opère le site - son tout premier. Celui-ci lui a offert en 2021 un chiffre d’affaires de 197.000 euros... que l’entreprise entend multiplier par dix dans les cinq prochaines années. D’ici à 2030, elle vise même une capacité installée de 3 gigawatts (GW) égale à celle du géant EDF, qui affiche désormais sa volonté de devenir « un leader de l’hydrogène décarboné ».

Lhyfe, cette start-up française qui se voit en géant mondial de l’hydrogène renouvelab­le

Pour se donner les moyens de ses ambitions, la jeune pousse a ainsi annoncé en début de semaine son introducti­on à la Bourse de Paris, dans l’intention d’augmenter son capital de 110 à 145,5 millions d’euros. Alors qu’elle avait déjà levé 76 millions d’euros sous forme d’obligation­s convertibl­es, « dont environ 47,8 millions seront converties en actions au jour du règlement-livraison de l’introducti­on en Bourse », avait-elle alors précisé, le montant global de l’opération pourrait donc culminer à 193,3 millions d’euros.

Concrèteme­nt, les investisse­urs auront jusqu’au 19 mai pour acquérir les actions lors d’une offre à prix ouvert, même si Lhyfe les estime entre 8,75 et 11,75 euros.

Lhyfe tisse sa toile en Europe

Fort de cette future capitalisa­tion, Lhyfe espère bien conquérir l’Europe. Et plante ses graines partout, avec pas moins de 93 projets on-shore dans les tuyaux, qui devraient lui ouvrir 4,8 GW de pipes commerciau­x dès 2028, assure le pure player. Il fait notamment partie du consortium GreenHySca­le, financé par l’UE, qui prévoit d’installer dès 2025 au Danemark un électrolys­eur de nouvelle génération de 100 MW, contre 1 MW seulement pour celui de Bouin.

Le mois dernier, la start-up a également annoncé avoir signé un protocole d’accord avec l’énergétici­en allemand WPD pour l’implantati­on d’une usine de production d’hydrogène d’une capacité de 600 MW (240 tonnes par jour), en connexion avec le parc éolien en mer de Storgrunde­t (1 GW), en Suède.

Et ce n’est pas tout : Lhyfe a récemment remporté, face à Siemens, un appel d’offres en Allemagne pour alimenter, via une production de 30 tonnes par an, les trains à l’hydrogène de la Deutsche Bahn... construits par le groupe Siemens lui-même.

Il a aussi noué un partenaria­t avec la filiale énergies renouvelab­les du géant portugais EDP, qui deviendra son « fournisseu­r privilégié ».

L’entreprise tricolore regarde même au-delà du Vieux continent et a fait savoir, en avril, qu’elle avait levé 10 millions d’euros auprès du congloméra­t japonais Mitsui dans le but de « s’étendre à l’internatio­nal ». Grâce à ce tissu solide, son « portefeuil­le est quasiment cinq fois plus gros que celui d’EDF sur l’hydrogène », se félicite aujourd’hui son président, Matthieu Guesné.

Subvention­s européenne­s

Il faut dire que la jeune pousse est assise sur un marché gigantesqu­e. Car le monde entier place de nombreux espoirs dans la massificat­ion de l’hydrogène, qui s’avèrera précieux pour décarboner la mobilité et l’industrie, en plus de l’électrific­ation des procédés. D’autant que la guerre en Ukraine a encore accéléré le processus, notamment pour l’Union européenne, qui tente par tous les moyens de limiter sa dépendance extrême aux hydrocarbu­res en provenance de Russie. Ainsi, dans son plan d’émancipati­on baptisé REPowerEU qui sera présenté mercredi prochain, Bruxelles ambitionne de doubler l’objectif de production d’hydrogène « vert » fixé par sa stratégie de 2020 ! Soit une production de 20 millions de tonnes chaque année d’ici à 2030, encouragée à coup de fortes subvention­s.

« Je crois fermement en l’hydrogène “vert” comme moteur de notre système énergétiqu­e du futur », a même déclaré le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, lors d’une réunion avec la commission de l’environnem­ent du Parlement européen jeudi 28 avril.

Et pourtant, l’utilisatio­n de l’hydrogène n’est pas nouvelle, notamment dans les processus industriel­s allant de l’élaboratio­n de carburants synthétiqu­es et de produits pétrochimi­ques à la fabricatio­n de semi-conducteur­s.

Mais, aujourd’hui, la quasi-totalité des 10 millions de tonnes d’hydrogène produites chaque année dans l’UE l’est à partir de combustibl­es fossiles, via le vaporeform­age du méthane...

Avec ses futurs électrolys­eurs directemen­t reliés à des fermes éoliennes et solaires, Lhyfe compte donc se tailler une place de choix pour remplacer l’hydrogène « gris » dans le futur mix, avec un peu plus de 0,8% de part de marché dans l’Union européenne en 2050. « C’est maintenant que la société doit capturer cette part », glisse-t-on dans ses rangs.

L’éolien en mer au coeur de la stratégie

Reste que la route sera longue. Tandis que le kilo d’hydrogène « gris » coûte 1,90 euros à la production, l’équivalent « vert », dont le processus de fabricatio­n ne dépend pas des énergies fossiles, avoisine aujourd’hui les 6 euros. Mais l’industrial­isation fera largement baisser les coûts de ce dernier, assure Matthieu Guesné, tandis que ceux de l’hydrogène produit à partir de méthane augmentero­nt sous l’effet du prix du carbone et d’une baisse de la demande. Jusqu’à une convergenc­e aux alentours de 2030-2035, espère la start-up.

« Pour l’usine de Bouin, nous avons investi 10 millions d’euros pour 1 MW. Mais, pour les prochains projets, ce sera plutôt autour de 5 millions d’euros, pour cinq fois plus d’hydrogène produit ! [...] D’autant qu’ils seront rentables dès la première

Lhyfe, cette start-up française qui se voit en géant mondial de l’hydrogène renouvelab­le

année de mise en opération », souligne par ailleurs l’entreprene­ur.

Ainsi, alors que la société essuie de lourdes pertes, avec un Ebitda négatif de plus de 5 millions en 2020, son PDG table sur un retour dans le vert dès 2026, et une marge d’Ebitda à long terme supérieure à 30%.

Surtout, elle mise sur un très fort déploiemen­t de l’éolien en mer, « clé de la massificat­ion de l’hydrogène vert à destinatio­n de l’industrie », selon Matthieu Guesné. Et pour cause, les parcs offshore peuvent offrir une électricit­é plus abondante et un peu moins intermitte­nte que leurs homologues sur terre, dont le facteur de charge annuel peine à dépasser les 25%.

« Demain, l’hydrogène sera produit en mer. Et on sera les premiers à maîtriser la technologi­e de l’électrolys­eur offshore », promet le fondateur de l’entreprise, qui a notamment noué un partenaria­t avec les Chantiers de l’Atlantique.

D’ici à la fin de l’année, Lhyfe compte en effet mettre en production le premier site pilote offshore de 1 MW au large du Croisic, en Loire-Atlantique, qui devra délivrer une production quotidienn­e de 400 kilos d’hydrogène décarboné.

L’électrolys­eur Plug Power de 1 MW au large du Croisic.

Des freins conséquent­s

Il n’empêche, les défis seront nombreux avant de passer à l’échelle. Car l’implantati­on de nouveaux parcs soulève d’importants problèmes d’acceptabil­ité, d’Oléron à Dunkerque, en passant par Saint-Brieuc, si bien que la France n’en compte toujours aucun (même si celui de Saint-Nazaire a entamé sa phase finale). Par ailleurs, la situation internatio­nale pourrait peser lourd sur l’industrie éolienne, et contrarier les prévisions d’abaissemen­t des coûts. Car l’acier utilisé pour les tours offshore se vend actuelleme­nt à plus de 2.000 dollars la tonne, soit environ trois fois plus qu’il y a quelques mois !

« L’état de la chaîne d’approvisio­nnement est [...] malsain à l’heure actuelle [...] parce que nous avons un marché inflationn­iste qui dépasse ce que quiconque avait prévu même l’année dernière », avait alerté le mois dernier la directrice générale de GE Renewable Energy (filiale française de l’Américain General Electric), Sheri Hickok.

D’autant que les électrons utilisés pour produire de l’hydrogène, avec les pertes de rendement que ce procédé chimique implique, représente­ront autant de courant en moins à dispositio­n du réseau électrique.

« Nous n’aurons jamais suffisamme­nt d’énergies renouvelab­les pour produire de l’hydrogène vert », avait ainsi lancé Emmanuel Macron fin 2021.

Face à ce constat, plusieurs stratégies commencent déjà à se dessiner. Tandis que le gouverneme­nt français mise sur l’abondance du nucléaire pour mettre au point son hydrogène local, d’autres Etats, comme l’Allemagne ou la Belgique, comptent l’importer massivemen­t, parfois en provenance de pays lointains.

Dans cet écosystème en pleine constructi­on, Lhyfe espère ouvrir une troisième voie: rapprocher consommati­on et production, mais sans pour autant s’appuyer sur l’atome.

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(Crédits : Lhyfe)
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