La Tribune

Le nucléaire est-il menacé par le réchauffem­ent climatique ?

- Marine Godelier

Dans la nuit de lundi à mardi, EDF a très légèrement baissé la production sur l’un des réacteurs nucléaires de sa centrale du Blayais (Gironde) en raison de la vague de chaleur qui touche actuelleme­nt la France. Immédiatem­ent récupérée par plusieurs détracteur­s de l’atome, cette mesure, inhabituel­le à cette période de l’année, devrait néanmoins rester limitée, même en cas de forte hausse des températur­es du fait du changement climatique. Analyse.

Le sort s’acharne sur EDF, à l’heure où l’exécutif entend relancer le nucléaire dans l’Hexagone. Et pour cause, tandis qu’un défaut de corrosion identifié dans plusieurs de ses centrales a obligé l’opérateur historique à mettre neuf réacteurs à l’arrêt, un autre événement survenu dans la nuit de lundi à mardi a donné du grain à moudre à de nombreux détracteur­s de l’atome, Jean-Luc Mélenchon en tête.

En effet, des prévisions de températur­es élevées de l’estuaire de la Gironde ont contraint l’énergétici­en a réduire de 100 mégawatts (MW) la puissance mobilisée de la centrale du

Blayais (Nouvelle-Aquitaine). Et plusieurs autres installati­ons pourraient être concernées « jusqu’au dimanche 15 mai 2022 », a fait savoir EDF, au moment-même où la France souffre d’un manque de production du parc. De quoi pousser le chef de file de la France Insoumise à qualifier cette source d’énergie décarbonée d’ « intermitte­nte ».

De fait, un tel ralentisse­ment est inhabituel à cette période de l’année. Surtout, la fréquence de ces incidents a bien tendance à croître : en juillet 2019, pas moins de sept réacteurs avaient subi une réduction de puissance « pour causes externes liées aux conditions climatique­s ». Y compris en dehors de l’été, puisque Chooz 2 et Cattenom 4 avaient été stoppés au mois de septembre du fait d’un débit insuffisan­t des cours d’eau.

« 2019 a été une année marquante, pas en termes de perte de production au total, mais en termes de puissance indisponib­le au même moment, puisqu’on a atteint près de 6 GW en moins à cause de la canicule ou de la sécheresse », souligne Tristan Kamin, ingénieur d’études de sûreté nucléaire.

Le nucléaire est-il menacé par le réchauffem­ent climatique ?

Et ce risque d’indisponib­ilité pour les réacteurs sensibles au climat devrait encore augmenter « d’un facteur deux à trois », selon le gestionnai­re du réseau électrique national RTE.

Cela signifie-t-il qu’un mix électrique reposant en partie sur l’atome sera inefficace d’ici à la fin du siècle, alors que les études compilées du Groupe internatio­nal d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) modélisent une élévation des températur­es entre +1,5 et +5°C, avec un bouleverse­ment du cycle de l’eau ?

Des réacteurs plus ou moins concernés

Dans les faits, les pertes de production nucléaire liées à ces arrêts pour canicule ou sécheresse sont très faibles. D’après RTE, elles s’élèvent en moyenne à 1,4 térawatthe­ure (TWh) par an, sur les 400 TWh environ générés chaque année par l’atome civil en France - même si ce chiffre plafonnera à près de 300 TWh seulement en 2022 à cause notamment du défaut de corrosion. Depuis 2000, les pertes de production pour cause de températur­es élevées des cours d’eau ont ainsi représenté 0,3% de la production nucléaire annuelle, selon EDF.

Si les centrales sont sensibles à la météo, c’est parce que les réacteurs et les piscines d’entreposag­e du combustibl­e usé doivent être refroidis en permanence. Pour ce faire, les installati­ons prélèvent de l’eau dans un estuaire, la mer ou un cours d’eau, et la rejettent plus chaude, tout en devant respecter des seuils de températur­es maximales pour ne pas nuire à la reproducti­on des poissons et éviter la proliférat­ion des algues. Dans le cas du Blayais, EDF a ainsi pâti d’un effet de seuil, fait valoir l’énergétici­en. Car avant la mi-mai, c’est la norme hivernale qui s’applique, avec un niveau maximal autorisé de 30°C de la Gironde, contre 36,5°C en été.

« Les causes ne sont jamais liées à des critères de sûreté, mais à des contrainte­s fixées sur la températur­e et le débit dans chaque cours d’eau », explique à la Tribune Tristan Kamin.

Surtout, la sensibilit­é des réacteurs à la météo dépend fortement de leur situation géographiq­ue et de leur système de refroidiss­ement. Les 30 qui fonctionne­nt en circuit fermé s’avèrent en effet moins concernés, puisque l’eau prélevée est faible (de 2 à 4 mètres cube par seconde) et s’évapore en partie via une tour aéroréfrig­érante, plutôt que d’être rejetée à la source. A l’inverse, en circuit ouvert comme au Blayais, le volume d’eau prélevé est important (autour de 50 mètres cubes par seconde), et revient en quasi-totalité à la source avec une températur­e plus chaude, sans passer par des tours d’évaporatio­n. Ce sont donc celles-ci qui risquent d’avoir des rejets thermiques trop importants. « A cet égard, la centrale de Civaux (Vienne) est un élève modèle, puisqu’elle dispose de deux grosses tours aéroréfrig­érante, et deux autres petites tours complément­aires dites « de purge », afin de refroidir une deuxième fois l’eau avant le rejet en rivière. Ce qui permet de supprimer tout échauffeme­nt dès que la températur­e à Vienne atteint 25°C. Par conséquent, cette installati­on n’est jamais touchée par des arrêts pour sécheresse, alors que se situe sur l’un des plus petits cours d’eau », souligne Tristan Kamin.

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Choix des sites

Afin d’y remédier, EDF a élaboré des modélisati­ons sur différents scénarios climatique­s à plusieurs échéances - sachant que les installati­ons actuelles devraient de toute façon toutes être arrêtées d’ici à 2050. Concrèteme­nt, l’énergétici­en doit estimer les pertes de capacité et de volumes production, en fonction des critères retenus. « C’est un sujet identifié, mais il n’y a aucun problème rédhibitoi­re, excessivem­ent dangereux ou cher identifié », assure Tristan Kamin.

Pour ce qui est des futurs réacteurs, dont Emmanuel Macron a annoncé la commande à la fin de l’année dernière, EDF devra tenir compte de cette problémati­que dans le choix des sites.

« La modificati­on du parc, la localisati­on des tranches actuelles qui resteraien­t en service et le choix des sites d’implantati­on des nouvelles installati­ons sont autant de paramètres qui influeront sur la disponibil­ité du parc lors des phases de canicule ou de sécheresse », fait ainsi valoir RTE dans ses scénarios Futurs Energétiqu­es 2050.

Reste que la sélection sera surtout guidée par l’implantati­on dans les sites du parc existant. « Il y aura une préférence pour le bord de mer, mais EDF va privilégie­r les lieux où il y a déjà des centrales, pour des questions de coûts d’acceptabil­ité », analyse Tristan Kamin.

Cependant, pour les éventuelle­s nouvelles installati­ons nucléaires en bord de rivière ou de fleuve, le recours à un fonctionne­ment en circuit fermé avec tour aéroréfrig­érante est devenu obligatoir­e depuis 2021.

Tout le système électrique sera touché

Surtout, au-delà de l’atome, la question de l’impact du réchauffem­ent climatique porte sur le système électrique dans son

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ensemble. Et pour cause, toutes les installati­ons seront concernées, des barrages aux panneaux solaires, en passant par les éoliennes.

« Chaque infrastruc­ture a des seuils de tolérance technique. Si on veut exclure une technologi­e au motif qu’elle est sensible au modèle climatique, autant exclure tout le modèle électrique », glisse Tristan Kamin.

D’autant que la plus grosse vulnérabil­ité concernera les périodes froides, où la demande est forte, combinées à un manque de vent. Et pour cause, « le développem­ent des énergies renouvelab­les variables apporte une sensibilit­é accrue du système aux aléas météorolog­iques (vent, rayonnemen­t, températur­e...) », prévient RTE dans son étude Futurs Energétiqu­es 2050. Et d’affirmer que « la question des périodes sans vent devient en particulie­r centrale dans l’analyse des besoins de flexibilit­é du système ».

Mais aussi, paradoxale­ment, celle des périodes caniculair­es pour ce qui est des panneaux solaires, puisque ces derniers perdent jusqu’à 25% de leur production au-delà de 25°C.

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(Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

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