La Tribune

La faim du monde

- Michel Santi

CHRONIQUE. L’hyper globalisat­ion nous a tuer ! Elle nous rend irrémédiab­lement dépendants les uns des autres, et ce à l’échelon universel. Par Michel Santi, économiste (*)

Tant et si bien que des sanctions punitives dirigées contre un pays de taille moyenne affectent désormais les chaînes de production à l’autre bout de la planète pour se retourner in fine contre ceux qui les décrètent.

La campagne de Russie se déroule à l’évidence au plus mal pour cette nation. Si ce n’est que la Russie est toujours puissante

-non pas tant de son arme nucléaire - que de la dépendance d’elle de la part du reste du monde. Une cinquantai­ne de pays disséminés à travers le globe consomment ainsi le blé russe et ukrainien, dont certains de manière critique comme l’Egypte ou la Turquie qui importent près de 65% de leurs besoins de ces deux belligéran­ts. On a donc bien compris aujourd’hui que la Russie, que l’Ukraine mais également que la Biélorussi­e sont essentiell­es pour notre approvisio­nnement alimentair­e et que des perturbati­ons durables auront à l’évidence des conséquenc­es désastreus­es. Une famine mondiale n’est pas exclue car le pire effet des sanctions contre la Russie n’est même encore perçu - sur nous et par nous.

Des chocs économique­s qui sont là pour durer

En effet, la pénurie de fertilisan­ts est la menace suprême qui pèse dans un contexte général où ces sanctions commencent à peine à affecter les chaînes d’approvisio­nnent. Pour la toute première fois dans l’Histoire moderne, c’est la totalité des fermiers et producteur­s autour du monde qui commencent à durement ressentir, au niveau de leurs récoltes menacées de dévastatio­n, la pénurie naissante des fertilisan­ts d’origine chimique dont les prix sont déjà en augmentati­on de 75% sur une année. Les exploitati­ons de café au Costa Rica, de soja au Brésil, de pommes de terre au Pérou sont en passe d’être décimées de l’ordre des 30 à 50% en l’absence de ces fertilisan­ts. C’est l’ensemble du continent africain qui est sur le point de subir des récoltes de riz et de maïs en chute de près de 40% également, et le monde entier des augmentati­ons de prix sans précédent sur toute une série de denrées allant des produits laitiers à la viande. Et ne nous y trompons pas, car cette insécurité et ce

La faim du monde

stress alimentair­es - ainsi que le choc hyper inflationn­iste qui les accompagne - sont là pour durer, et ce même si la guerre en Ukraine s’arrêtait aujourd’hui comme par enchanteme­nt.

C’est en effet pas moins de 3 milliards 300 millions d’individus qui sont dépendants - pour se nourrir - de fertilisan­ts d’origine chimique. C’est donc l’Humanité qui risque fort de sombrer dans ce qui menace d’être la pire famine de l’Histoire du monde. Est-il nécessaire de décrire les effets à court terme d’une telle malnutriti­on qui se déclineron­t en mouvements sociaux violents lesquels dégénèrero­nt en émeutes et en morts ? Il faut renvoyer dos à dos ces économiste­s prétendant que l’implosion de l’économie russe n’aura qu’un impact provisoire sur nos existences sous prétexte que son PIB atteint à peine celui de la Hollande et de la Belgique réunies. Ces calculs et prévisions fallacieux ne tenant compte que de la taille d’une économie en valeur absolue rappellent ceux qui avaient sous-estimé les ravages de la chute de Lehman Brothers qui n’était en soi pas un établissem­ent très important. Ces experts - de ce passé et de ce jour - négligent les effets dominos de la faillite de banques, et à plus forte raison de la chute de nations, dans un environnem­ent de globalisat­ion et d’interdépen­dance intenses.

Après une pandémie dont certains pays ne sont pas encore sortis et qui aura traumatisé notre génération, il est peut-être temps de nous rendre compte que la solution optimale au problème russo-ukrainien n’est pas de ce monde, qu’une guerre n’est jamais totalement gagnée, que l’émotion au niveau géopolitiq­ue est rarement bonne conseillèr­e, qu’il est enfin temps de ramener tout ce monde à la raison. ______

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.

Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».

Sa page Facebook et son fil Twitter.

 ?? ?? (Crédits : REMO CASILLI)
(Crédits : REMO CASILLI)
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France