La Tribune

Importatio­ns gazières : un bilan carbone à regarder de près

- Jacques Pironon et Philippe de Donato

ANALYSE. Comme l’Europe, la France consomme beaucoup de gaz… mais en produit peu. Or, les importatio­ns massives ont un coût environnem­ental important. Pourtant, il existe des gisements en France. Par Jacques Pironon, Université de Lorraine et Philippe de Donato, Université de Lorraine.

L’invasion russe en Ukraine et les tensions internatio­nales qui en découlent nous rappellent qu’un quart de l’énergie mondiale est assurée par la combustion du gaz naturel. Une part qui reste à peu près constante dans les projection­s mondiales à l’échéance 2040, même pour des scénarios de transition énergétiqu­e optimistes.

Le gaz est d’ailleurs considéré comme une énergie de transition indispensa­ble pour pallier l’intermitte­nce du renouvelab­le, même si le contexte internatio­nal actuel met en évidence les besoins de diversific­ation d’approvisio­nnement en gaz naturel et la réduction de la consommati­on (-30 % en 2030). En effet, le gaz est une énergie fossile dont l’Europe veut se débarrasse­r pour atteindre la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050 dans le cadre du « pacte vert pour l’Europe ».

Cet objectif de réduction se trouve néanmoins confronté à la réalité du marché. D’une part, par sa forte consommati­on : en 2019, l’Europe a consommé 123 Gigajoules d’énergie par habitant, alors que la moyenne mondiale est de 75 Gigajoules par habitant. D’autre part, l’Europe est un acteur mineur en termes de production d’énergie fossile (1,7 % des réserves mondiales).

Production et consommati­on gazière en France

La situation de l’UE s’applique également à la France. La production de gaz en France (gaz de mine et biogaz) était de

2,4 TWh PCS (milliards de kWh en pouvoir calorifiqu­e supérieur) en 2020, ce qui ne représente qu’environ 1 % de sa consommati­on. La majeure partie du gaz consommé par la France est donc importé, et provient de Norvège (36 %), de Russie (17 %), d’Algérie (8 %), du reste de l’UE (8 %), du Nigeria (7 %), du Qatar (2 %) mais également de sources dont l’état français ne précise pas la provenance (22 %).

Importatio­ns gazières : un bilan carbone à regarder de près

Une situation qui ne va pas s’arranger. La France a en effet adopté en 2017 une loi mettant fin à la recherche et à la production de pétrole et de gaz d’ici 2040... sans pour autant interdire sa consommati­on.

La France se retrouve dès lors en pleine contradict­ion. Elle s’interdit depuis 2017 de produire des gaz de schistes, mais est devenue la première destinatio­n mondiale du gaz naturel liquéfié (ou GNL) américain.

Cette contradict­ion se retrouve aussi dans les mouvements associatif­s, qui s’opposent fortement aux projets de production de gaz sur le territoire, mais sont très discrets sur nos importatio­ns. Ainsi, en Lorraine, un projet d’exploitati­on de gaz de charbon suscite la controvers­e, alors que le pipeline acheminant le gaz russe n’alimente pas d’opposition­s. Ce comporteme­nt s’inscrit dans le réflexe NIMBY (« not in my backyard », ou « pas dans mon arrière-cour »), prédominan­t en Europe à l’échelle locale comme nationale.

L’importatio­n gazière : un impact carbone qui explose

Or, ces importatio­ns ont un coût environnem­ental et un bilan carbone loin d’être négligeabl­es.

En effet, entre les phases exploratoi­res et de mises en production et l’utilisatio­n finale, un certain nombre d’opérations viennent alimenter le budget carbone de la filière gazière. Ainsi, avant sa livraison au consommate­ur, le gaz subit des traitement­s pour le purifier, le pressurise­r et le transporte­r (déshydrata­tion, éliminatio­n des gaz pénalisant­s, traitement des résidus, pompage, compressio­n, transport, liquéfacti­on...). Dans certains cas, viennent s’ajouter des fuites de gaz liées à des défaillanc­es techniques et des manques de surveillan­ce des installati­ons.

En résumé, plus un gaz est produit loin du consommate­ur, plus son empreinte CO sera élevée.

Le calcul montre que pour une consommati­on française, un gaz hollandais convention­nel présente un bilan carbone 13 fois moins élevé qu’un gaz liquéfié provenant du Qatar, et 15 fois moins élevé qu’un gaz russe acheminé sur une très longue distance. Comme pour le secteur alimentair­e, le choix du locavorism­e s’impose donc.

Face à ce constat et à la crise ukrainienn­e qui rebat les cartes, face aussi au pragmatism­e que nous impose la dépendance européenne aux énergies fossiles, les opportunit­és de production nationale de gaz doivent être considérée­s en imposant des technologi­es de surveillan­ce et de traitement du CO2 émis. Trop vite oubliés, ce sont les objectifs que s’était fixée l’Europe à l’horizon 2020, à savoir un marché énergétiqu­e transfront­alier, une plus grande indépendan­ce des régulateur­s nationaux et une compétitiv­ité accrue en faveur d’un marché de l’énergie intracommu­nautaire !

Le gaz de charbon lorrain : une solution locale ?

C’est dans cette optique que l’Université de Lorraine, le CNRS et La Française de l’Énergie se sont associés au sein du projet REGALOR. Ce projet vise à quantifier la ressource en gaz de charbon du bassin carbonifèr­e lorrain, et à développer des technologi­es de surveillan­ce, de récupérati­on et de valorisati­on du méthane, tout en réduisant l’impact carbone en piégeant le CO2 émis. Cela doublé d’une absence de recours à la fracturati­on hydrauliqu­e, et à la production d’un méthane quasiment pur (97 %).

Les enjeux de REGALOR prennent tout leur sens dans le cadre de l’indépendan­ce énergétiqu­e française. La ressource gazière en Lorraine est ainsi estimée comme étant équivalent­e à

370 milliards de m³, ce qui correspond à 8 ans de consommati­on nationale. Couplé à une réduction des émissions de CO2, ce gaz lorrain aurait de plus un bilan carbone bien inférieur à celui d’un gaz importé.

Oui, les pays européens, dont la France, ont des ressources pour contribuer à une indépendan­ce énergétiqu­e à faible impact carbone. Cependant, la réorientat­ion actuelle du marché gazier continue de maintenir notre dépendance extraeurop­éenne, avec un bilan carbone encore plus défavorabl­e.

Par Jacques Pironon, Directeur de recherche au CNRS, Université de Lorraine et Philippe de Donato, Directeur de recherche au CNRS, Université de Lorraine.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

 ?? ?? (Crédits : MAXIM SHEMETOV)
(Crédits : MAXIM SHEMETOV)

Newspapers in French

Newspapers from France