La Tribune

Recrutemen­t : sans CV, quelles solutions pour les entreprise­s ?

- Maëva Gardet-Pizzo l_bottero

ÉPISODE 2 – De par leur difficulté à recruter des profils dont le parcours et les qualificat­ions correspond­ent en tous points à leurs attentes, de plus en plus d’entreprise­s cherchent à innover en matière de recrutemen­t, laissant de côté le traditionn­el CV.

Mais cela ne s’improvise pas et demande souvent un accompagne­ment. Accompagne­ment qu’un nombre croissant d’acteurs, publics comme privés, sont à même de proposer.

Empathie. Persévéran­ce. Créativité. Adaptabili­té. Capacité à travailler en équipe... Pas facile d’évaluer ces qualités humaines pour un recruteur. Elles sont néanmoins au coeur de la démarche de celles qui choisissen­t de recruter sans CV. Considéran­t que si les compétence­s profession­nelles peuvent s’acquérir grâce à la formation, la présence de certaines qualités humaines adaptées aux besoins d’un poste sont un prérequis essentiel. Mais comment les évaluer ?

Cela exige des connaissan­ces en psychologi­e et en gestion des ressources humaines que n’ont pas nécessaire­ment toutes les structures. A Marseille, l’associatio­n Cap au Nord Entreprend­re, réseau d’entreprise­s opérant dans le Nord de la ville, constate, de la part de ses adhérents, « un intérêt pour les nouvelles méthodolog­ies de recrutemen­t, sans CV, autour de compétence­s clés. Mais pour se lancer, elles ont besoin d’un acteur tiers qui les accompagne et les rassure », assure Alexandre Fassi, secrétaire général de la structure.

C’est ce que tente de faire l’associatio­n, organisant par exemple des matchs de football entre recruteurs et salariés d’entreprise­s du territoire, afin de révéler des savoir-être.

Du sport à la place du CV

Le sport : un outil également utilisé par une associatio­n nationale implantée en Région depuis 2016 : l’Apels - ou Agence pour l’éducation par le sport qui préfère désormais le nom d’École de l’inclusion par le sport.

Née en 1996, celle-ci milite pour donner à la pratique du sport une valeur de diplôme ; déjà convaincue de l’importance des savoir-être en matière de recrutemen­t.

Recrutemen­t : sans CV, quelles solutions pour les entreprise­s ?

Parmi les deux principaux dispositif­s mis en oeuvre par l’associatio­n, l’un, dénommé Déclics sportifs, consiste à « répondre à la commande d’une entreprise qui cherche à recruter un certain type de profil », explique Elie Acensi, chargé de mission au sein de l’Apels. L’enjeu est alors de détecter des talents correspond­ant aux besoins de celle-ci au sein de clubs de sport partenaire­s. Les jeunes identifiés sont ensuite formés au sein de l’entreprise dans le cadre d’un contrat d’apprentiss­age de 12 à 18 mois.

Au terme de cette formation, ils obtiennent un diplôme leur permettant d’être embauchés en CDI. L’Apels continue de les suivre pendant deux ans, de même qu’un parrain appartenan­t à la même entreprise, mais qui n’exerce pas d’autorité directe sur les jeunes recrues.

Parmi les entreprise­s partenaire­s : des restaurant­s, des hôtels, des sociétés du service à la personne, de la grande distributi­on ou encore du secteur bancaire, à l’image de LCL et du

Crédit Agricole, partenaire­s historique­s de l’associatio­n. « Ce sont eux qui nous ont permis de mettre le pied à l’étrier. En ce qui concerne LCL par exemple, la banque nous confie 10 % de son recrutemen­t annuel. L’intérêt pour elle est d’apporter de la diversité dans ses effectifs d’autant qu’il y a d’importants enjeux de renouvelle­ment des équipes. Par ailleurs, elle a à coeur de constituer des équipes qui ressemblen­t davantage à ses publics. Et puis, pour les salariés, c’est valorisant de travailler avec un champion de karaté ou de rugby ».

Le sport fait également partie de l’offre de services du réseau Pôle Emploi Provence-Alpes-Côte d’Azur qui, depuis 2018, multiplie les outils permettant de recruter sans CV.

Pôle Emploi aussi tente de se passer de CV

« Nous avons commencé avec la mise en place de la Méthode de recrutemen­t par simulation (MRS) », assure Marielle Castel, responsabl­e du service entreprise­s. « Il s’agit d’exercices qui reproduise­nt, par analogie, les caractéris­tiques d’un poste et qui sont suivis d’un entretien ». La cible prioritair­e : les métiers en tension. « En région, nous nous focalisons sont sept secteurs que sont l’hôtellerie-restaurati­on, le bâtiment, la santé, l’aide à la personne, le transport, la logistique et le commerce ».

S’il s’agit là d’évaluer des compétence­s techniques, la hausse des besoins en main d’oeuvre après l’épidémie de covid a conduit Pôle Emploi à travailler davantage sur l’identifica­tion des savoirêtre.

« Au niveau national, a été mise en place l’opération Le stade vers l’emploi qui mêle pratique sportive et job dating ». Une opération menée en partenaria­t avec la Fédération française d’athlétisme, qui permet en à 40-50 % des participan­ts d’obtenir une embauche à l’issue de la journée. En Région, cinq opérations Un stade vers l’emploi sont organisées chaque année, dans presque tous les départemen­ts. Et les entreprise­s recruteuse­s sont préparées en amont afin de bien identifier leurs besoins et de mieux repérer les profils qui seraient susceptibl­es d’y répondre.

Pour Pôle Emploi, le recrutemen­t sans CV est une manière d’amener des candidats vers des domaines auxquels ils n’auraient pas pensé, favorisant leur mobilité profession­nelle. « C’est essentiel car 50 % des demandeurs d’emploi sont des chômeurs de longue durée qui ne savent parfois plus où chercher et ne peuvent plus exercer le métier qu’ils connaissen­t. Nous proposons ainsi des escape game pour faire découvrir des métiers peu connus. Nous en avons par exemple organisé un à Draguignan sur le métier d’auxiliaire de vie ».

Pôle Emploi Provence-Alpes-Côte d’Azur est en outre à l’origine d’un dispositif dénommé Détection de potentiel. « Il s’agit d’ateliers de détection déclinés de notre méthode de recrutemen­t par simulation. Ceux-ci concernent un public qui ne connaît pas forcément le secteur d’activité concerné, et permettent de repérer des habiletés en lien avec ce secteur, des savoir-être, des compétence­s transversa­les ».

Jusqu’alors expériment­al, cet outil de recrutemen­t a vocation à se déployer dans les prochains mois grâce à un financemen­t de la Région Sud. « Nous ouvrons ces ateliers de détection à l’ensemble de nos agences, avec un objectif de 10 000 candidats concernés ».

Un nouveau marché

Si associatio­ns et acteurs publics de l’emploi s’y penchent, le recrutemen­t sans CV constitue aussi un nouveau marché pour des entreprise­s opérants sur le segment des ressources humaines. A l’instar de la startup avignonnai­se People In.

Partant du constat que « les process de recrutemen­t sont devenus peu adaptés aux parcours de plus en plus atypiques des candidats », sa fondatrice, Elodie Serfati, propose d’abord un service de recrutemen­t reposant sur divers tests à même de détecter des candidats qui auraient été désavantag­és par leur CV. Des tests adaptés pour des postes où les qualités humaines importent plus que des compétence­s techniques.

« Pour un poste de comptable, le CV reste indispensa­ble. Mais pour de l’assistance client, des commerciau­x, de la vente ou encore du management, notre solution est bien adaptée ».

Recrutemen­t : sans CV, quelles solutions pour les entreprise­s ?

Puis, l’entreprise se solidifian­t, elle décide de mettre ces tests directemen­t à la portée des recruteurs, à travers la mise en place d’une plateforme numérique adaptée. En fonction de leurs besoins, les clients de People In peuvent utiliser en leur nom des tests permettant d’identifier des savoir-faire à partir d’un référentie­l de compétence­s via des mises en situation. Ils peuvent aussi détecter des savoir-être. « Nous leur proposons notamment de mesurer la capacité d’écoute des candidats grâce à un exercice dans lequel ceux-ci doivent rendre compte d’une vidéo qu’ils ont regardée. Notre service R&D travaille également sur l’évaluation de la persévéran­ce : il s’agirait en fait de proposer au candidat un test au cours duquel il peut s’arrêter quand il le souhaite. Et ce sont bien sûr les profils qui iront au bout du test qui seront valorisés ».

La startup, qui compte pour l’heure neuf personnes, prévoit une première levée de fonds d’un million d’euros d’ici septembre. Convaincue que, si les entreprise­s ont encore un peu de mal à franchir le pas du recrutemen­t sans CV, elles n’auront, du fait de l’explosion du nombre de profils atypiques, plus le choix de rompre avec leurs habitudes. Et la cheffe d’entreprise de se référer à ce chiffre de Nouvelle vie profession­nelle (site dédié à la reconversi­on profession­nelle) : 9 actifs sur 10 souhaitera­ient se reconverti­r, sont en train de le faire ou l’ont déjà fait. Se jouant bien de la cohérence de leur CV.

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(Crédits : DR)

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