La Tribune

Planificat­ion écologique : la nécessaire concertati­on démocratiq­ue

- Nathalie Lazaric

DECRYPTAGE. La planificat­ion écologique est annoncée comme au coeur du prochain quinquenna­t. Pour fédérer les citoyens et atteindre ses objectifs, le gouverneme­nt a tout intérêt à se tourner vers la concertati­on. Par Nathalie Lazaric, Université Côte d’Azur

Durant sa campagne, Emmanuel Macron a affirmé vouloir mettre la planificat­ion écologique au centre du prochain quinquenna­t, sous l’égide directe du Premier ministre. En attendant sa nomination, l’institut France Stratégie vient de dévoiler son rapport sur les enjeux de cette planificat­ion écologique, préconisan­t entre autres un renouveau de l’exercice démocratiq­ue.

Dans ce contexte, en quoi consiste la planificat­ion écologique ? Quels en sont les contours et prérequis nécessaire­s pour aboutir à des résultats qui fédèrent le plus grand nombre de citoyens ? Comment éviter les échecs cuisants comme ceux de la rénovation énergétiqu­e ?

L’importance de la concertati­on

La planificat­ion écologique est l’aptitude d’un pays de se doter d’un cadre institutio­nnel et réglementa­ire adapté à ses objectifs écologique­s. L’une de ses fonctions est notamment de permettre de financer les investisse­ments privés et publics nécessaire­s pour la transition.

Si on peut se réjouir de voir la question écologique se placer au centre de l’échiquier politique et être annoncée comme principe phare pour les cinq prochaines années, on doit néanmoins se méfier de mesures imposées par le gouverneme­nt ne répondant aux besoins réels ou « perçus » des citoyens.

En effet, faute de cohérence et de concertati­on préalable, l’État français a déjà été amené à renoncer à la fiscalité écologique

Planificat­ion écologique : la nécessaire concertati­on démocratiq­ue

avec la crise des « bonnets rouges » en 2013 et des « gilets jaunes » en 2019. Ces mesures furent perçues comme injustes, car touchant les travailleu­rs les plus pauvres, notamment lors du mouvement des « gilets jaunes » avec la hausse du prix du carburant.

Ainsi que le préconise le rapport Brundtland rédigé par les Nations unies en 1987, la participat­ion et l’informatio­n ainsi que la justice et la solidarité sont les principes de base pour que la transforma­tion écologique soit acceptée par les citoyens.

Face aux « grands défis » de notre siècle, il n’existe pas une solution possible, mais de nombreuses options. Les problèmes environnem­entaux sont complexes, incertains et ont des conséquenc­es multiples.

Face à ces défis, la méthode préconisée est le pragmatism­e à la « Dewey », c’est-à-dire une concertati­on décentrali­sée pour trouver un compromis acceptable et surtout, accepté par les acteurs publics et privés ainsi que par l’ensemble des citoyens.

La concertati­on est toutefois difficile et longue à mettre en oeuvre. En effet, elle ne se programme pas, mais se co-construit avec un ensemble de parties prenantes.

L’exemple de la rénovation énergétiqu­e

Prenons un exemple simple : la rénovation énergétiqu­e, c’est-àdire l’ensemble des travaux visant à diminuer la consommati­on énergétiqu­e du bâtiment et de ces usagers en utilisant des énergies décarbonée­s.

Annoncée en France comme la prochaine mesure phare du quinquenna­t pour la planificat­ion écologique, elle illustre la complexité des défis à surmonter pour aboutir à une réelle réduction des gaz à effet de serre.

La rénovation énergétiqu­e est complexe et implique de nombreux acteurs publics et privés (dont la plupart n’ont pas l’habitude de collaborer avec des acteurs intermédia­ires), ainsi que de nombreuses sources de financemen­t. Elle repose sur de multiples options technologi­ques possibles, et nécessite des compromis entre coût économique, pratiques énergétiqu­es et réduction des gaz à effet de serre.

Face à ces difficulté­s, l’habitude est donc de mettre en place ces programmes sans les usagers et sans observatio­n préalable de leurs pratiques de consommati­on.

Ceci conduit généraleme­nt à des résultats variables... voire mauvais. Notamment, on observe de nombreux effets rebonds après les opérations de réhabilita­tion, et les retours sur investisse­ment sont loin de ceux escomptés.

Et pour cause : les modèles de prédiction sur lesquels ils sont basés reprennent souvent un profil d’usager dit « moyen », et sont incapables d’intégrer la complexité des usages locaux dans leur modèle de prévision.

Pourtant, les travaux de mon laboratoir­e sur la réhabilita­tion des logements sociaux en région PACA et sur la consommati­on énergétiqu­e montrent qu’il est possible, par la concertati­on, d’enseigner la réduction de la consommati­on énergétiqu­e et ainsi de modifier durablemen­t les comporteme­nts.

Lorsque l’on fait le bilan de la réhabilita­tion des logements sociaux en région PACA, on voit une nette différence entre les opérations ayant bénéficié d’une concertati­on en amont (programme d’éducation populaire, travail avec les associatio­ns environnem­entales sur les questions énergétiqu­es, dialogues avec la maîtrise d’ouvrage sur les options techniques telles que l’isolation et le thermostat) et les autres opérations « classiques ».

Quand la concertati­on avec les usagers fut mise en oeuvre, les réductions de consommati­on énergétiqu­e furent importante­s, avec une diminution effective de la consommati­on sur le long terme en évitant les potentiels effets rebond (c’est-à-dire une augmentati­on de la consommati­on d’énergie par usager allant à l’encontre des prévisions initiales).

Si le confort thermique est un réel bien-être pour les usagers, le but premier de la rénovation énergétiqu­e reste la réduction des gaz à effets de serre. Pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire de concilier bien-être, éducation populaire et réduction de la facture énergétiqu­e, sous peine de voir ces programmes coûteux ne pas déployer leur potentiel et générer frustratio­n et incompréhe­nsion potentiell­e.

La concertati­on (avec les différents intervenan­ts : ménages, associatio­ns, maîtres d’oeuvre...) doit alors être au coeur du processus. Mieux, elle doit être apprise et comprise en étant impulsée comme principe et méthode par l’État pour servir de modèle à l’ensemble des acteurs.

Planificat­ion écologique : la nécessaire concertati­on démocratiq­ue

Quelles bonnes pratiques pour la planificat­ion écologique ?

Les leçons à tirer pour la planificat­ion écologique sont multiples. Tout d’abord, la concertati­on est un processus complexe, long et hasardeux, mais qui doit être mise en place dès le départ.

La planificat­ion permet de fixer un cadre et des objectifs. Il est important, par la suite, que ces derniers soient décentrali­sés et mis en oeuvre par les acteurs territoria­ux, avec de réelles ressources et moyens pour les accompagne­r dans cette démarche.

Cette démarche de concertati­on collective via des associatio­ns d’éducation populaire ou des outils comporteme­ntaux (récompense­s, coups de pouce - nudges - ou conseils - boosts -) est non seulement durable, mais a de nombreux impacts sur le long terme. Elle permet de ne pas réduire la question de la planificat­ion écologique à de simples dispositif­s techniques, certes indispensa­bles, mais largement insuffisan­ts.

Pour conclure, on peut dire que la clé de voûte de la planificat­ion écologique repose sur plusieurs préconisat­ions à intégrer dans l’agenda politique pour les prochaines années :

●●La co-constructi­on des scénarios de transition écologique avec les usagers comme condition préalable

●●La mise en place de programme d’éducation populaire et d’expériment­ations de divers outils d’apprentiss­age vers la transition écologique (réduction des déchets, réduction de la consommati­on énergétiqu­e, nouvelles formes de mobilité...)

●●La volonté d’innover, tant du point de vue technologi­que que social, pour aboutir à des résultats ambitieux perçus comme utiles et justes

●●La volonté d’évaluer les résultats obtenus et de les diffuser à toutes les parties prenantes, pour apprendre des succès, mais aussi des échecs et tirer les leçons des méthodes locales

●●La capacité de dédier du temps et des ressources à la co-constructi­on pour fédérer l’ensemble de parties prenantes, quitte à retarder à court terme les programmes en place

●●La décentrali­sation des moyens et des ressources pour que les acteurs territoria­ux s’approprien­t la question de la mise en oeuvre de la planificat­ion environnem­entale en fonction des spécificit­és et contrainte­s locales

●●La capacité de mesurer les bénéfices en matière de bien-être, d’inégalités et de réduction de gaz à effet de serre pour chaque programme engagé

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En conclusion, pour que la planificat­ion écologique puisse être perçue comme juste et utile, il faut changer la donne des pratiques en cours, ne pas chercher l’efficacité à tout prix, mais voir la portée des programmes sur le long terme et se donner le temps de la concertati­on collective.

C’est à ce prix que la programmat­ion environnem­entale pourra offrir toutes les opportunit­és pour les citoyens, et fédérera le plus grand nombre autour de l’objectif fondamenta­l : la réduction de notre empreinte carbone et l’héritage du bien commun aux génération­s à venir.

La tâche est ambitieuse, mais c’est à ce prix que la transition écologique et sa mise en oeuvre pourront embarquer le plus grand monde de citoyens, et toucher leur cible initiale.

Par Nathalie Lazaric, Directrice de recherche en innovation et apprentiss­age, Université Côte d’Azur.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Reuters)

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