La Tribune

Tous différents, tous égaux : le travail pour tous ?

- Lysiane J. Baudu @Vabrial

Les arguments en faveur de la diversité dans les entreprise­s sont fondés. Pourtant, ils peinent encore à s’imposer. La situation actuelle, faite de pénurie de main-d’oeuvre et d’exigences accrues de la part de la société civile, pourrait enfin permettre de basculer dans un monde plus ouvert. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°9 “Travailler, est-ce bien raisonnabl­e?”, actuelleme­nt en kiosque)

Depuis le milieu des années 2000, les enquêtes sur l’apport de la diversité, comprise à l’époque comme essentiell­ement de genre, montrent que les entreprise­s faisant la part belle aux femmes dans les postes clés affichent de meilleurs résultats. Celles de McKinsey, Women Matter, à partir de 2007, confirment le lien entre performanc­e et diversité de genre : en comparant sur trois ans le bénéfice avant impôts de 300 grandes entreprise­s, le cabinet de conseil constate qu’entre celles où la proportion de femmes au niveau exécutif est au-dessus de la moyenne et les autres, son montant est nettement supérieur chez les premières. Depuis ces années pionnières, les enquêtes se sont multipliée­s, sur la diversité concernant l’âge, l’origine sociale ou ethnique, l’orientatio­n sexuelle, le handicap... Elles vont toutes dans le même sens : plus une entreprise est inclusive, mieux elle se porte ! Un argument qui devrait compter pour les dirigeants, responsabl­es, après tout, de la bonne santé de l’organisati­on. Reste qu’il a encore du mal à porter... Sinon, en effet, comment expliquer qu’au sein des pays de l’OCDE, le taux moyen de femmes siégeant aux conseils d’administra­tion n’atteignait que 25 % en 2019 ? Et comment déchiffrer autrement le fait qu’il n’y a qu’une poignée de « pédégères » dans le monde ? La France, avec 45,8 % de femmes dans les conseils d’administra­tion des entreprise­s du SBF 120 en 2021, fait bien sûr beaucoup mieux, grâce à la loi Copé-Zimmermann de 2011, qui y a imposé 40 % de femmes. Mais dans les comités exécutifs, là où se trouve le pouvoir au quotidien, les hommes occupent encore la majorité des postes. Les femmes n’en détenaient que 22 % en 2021. Sans

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oublier que l’écart de salaire homme/femme était encore de 16,5 % l’an dernier...

Au point qu’outre l’index d’égalité profession­nelle, une nouvelle loi à l’initiative de la députée Marie-Pierre Rixain, adoptée en décembre dernier, imposera progressiv­ement des quotas de femmes (de 30 % en 2026, puis de 40 % en 2029) dans les instances dirigeante­s des grandes entreprise­s.

Émotions positives

« Les dirigeants sont sceptiques face à l’argument économique et financier de la diversité, qu’ils jugent flou, explique Jean-Michel Monnot, fondateur de All Inclusive !, un cabinet de conseil accélérate­ur de performanc­e par l’inclusion. En outre, l’utiliser les enferme dans une position cynique, obsédés par l’argent... ». Ce qu’il faut, selon lui, c’est faire appel à leurs sentiments et leurs valeurs. « Les hommes, dans les directions d’entreprise­s, doivent s’emparer de ces sujets, en choisissan­t des personnes diverses et compétente­s pour des postes à responsabi­lité afin de ressentir, en se regardant dans la glace, de la fierté », conclut-il. Ces émotions positives prévaudron­t-elles ? Auront-elles raison des biais, même inconscien­ts, qui font que recruteurs et managers ont encore tendance à privilégie­r, pour la sélection des candidats, les promotions et les augmentati­ons de salaire, ceux qui leur ressemblen­t, qui ont fait la bonne école, qui ont le parcours idéal ? Malgré les lois anti-discrimina­tion, le chemin est encore long si l’on en croit certaines études. Celle de la Défenseure des droits, publiée en décembre 2021, constate que 60 % des jeunes disent avoir déjà été confrontés à des propos stigmatisa­nts ou des exigences discrimina­toires lors d’un entretien. Celle de novembre 2021 de la Dares (ministère du Travail), montre qu’en moyenne, à qualité comparable, « les candidatur­es dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française ». Et que dire des jeunes en situation de handicap, qui sont, selon la dernière enquête (octobre 2021) de l’Ifop pour l’Agefiph, 50 % à affirmer avoir déjà fait l’expérience de la discrimina­tion au cours de leur recherche d’emploi ? Et alors que la loi fixe à toute entreprise et tout établissem­ent public d’au moins 20 salariés une obligation d’emploi de 6 % de personnes handicapée­s, le taux d’emploi direct n’était que de 3,9 % en 2018...

Certes, les initiative­s, au sein des entreprise­s, se multiplien­t : actions de formation des recruteurs, objectifs d’inclusivit­é - pour les femmes, les jeunes, les seniors, les personnes en situation de handicap ou éloignées de l’emploi - et même, dans certaines, atteinte de ces objectifs comme condition d’une partie des bonus versés aux managers. De même, le gouverneme­nt mène des politiques en ce sens, comme avec le plan 1 jeune 1 solution, puisque l’inclusivit­é est aussi un enjeu politique et sociétal.

« L’intérêt général est d’inclure le maximum de personnes dans la production et la consommati­on et dans l’ensemble des entreprise­s. Il n’y a pas débat », résume Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Et l’enjeu, aujourd’hui, est « d’autant plus grand qu’il apparaît sur fond de crises multiples : économique, écologique, sociale et de sens », ajoute Gilles de Labarre, président de Solidarité­s Nouvelles face au Chômage.

Les entreprise­s sont également touchées par les aspects sociétaux. Résumée par la formule « Nous devons refléter la diversité des publics que nous servons », leur volonté d’inclure est de plus en prégnante, sous l’effet de leur responsabi­lité sociale, exigée par les citoyens, du pouvoir que les consommate­urs, susceptibl­es de boycotter certains produits, se découvrent, et des contrainte­s imposées par les investisse­urs.

Performanc­e des salariés

Mais ce sont de derniers développem­ents qui pourraient porter l’estocade. À la faveur de la crise sanitaire, les entreprise­s ont davantage pris conscience que le bien-être des collaborat­eurs est gage de performanc­e. Or il passe aussi par la diversité et l’inclusion. « Promouvoir des femmes, des handicapés ou des personnes d’origine non européenne n’est pas seulement un comporteme­nt socialemen­t responsabl­e, pointent ainsi Kevin Carillo et Alain Klarsfeld, professeur­s à TBS Education. Nous montrons dans notre recherche que les salariés qui estiment faire partie d’une organisati­on plus ouverte à la diversité s’y identifien­t davantage, sont plus satisfaits, plus impliqués, plus adaptables et plus proactifs. » En outre, en cette période de pénurie de main-d’oeuvre dans certains secteurs, les entreprise­s savent qu’elles doivent attirer des candidats. Or, les jeunes, en particulie­r, font la fine bouche si l’employeur potentiel ne répond pas à certains de leurs critères, qui incluent la diversité et l’égalité. Dans un tel contexte, « il est encore plus coûteux pour les entreprise­s de discrimine­r », relève Yannick L’Horty, qui note d’ailleurs que les études montrent qu’en période de fortes tensions sur le marché de l’emploi, la discrimina­tion baisse. De quoi ouvrir plus grand la porte de l’emploi pour tous...

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Audrey Tcherkoff, managing Director du Women’s Forum for the Economy & Society : « Les Français,

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et les jeunes en particulie­r, font de l’égalité une priorité »

« J’ai grandi dans une famille monoparent­ale et j’ai eu très jeune une perception aiguë de la résilience féminine. Puis, en début de carrière, j’ai connu le sexisme, certains investisse­urs refusant de me parler ! Cela n’a fait que renforcer mes conviction­s qu’il fallait agir. Enfin, en prenant la tête, en 2015, de Positive Planète, à la demande de Jacques Attali, fondateur de cette organisati­on qui promeut l’économie positive, j’ai pu mesurer encore plus l’intérêt de l’inclusion, en particulie­r de la moitié de la population mondiale, les femmes, pour le bien de tous. Et il reste encore des progrès à faire ! Ainsi, en France, la loi Copé-Zimmermann de 2011 nous a certes propulsés aux premiers rangs mondiaux de la proportion de femmes dans les conseils d’administra­tion, mais elle a dû être suivie, en fin 2021, par la loi Rixain, pour une meilleure représenta­tion dans les instances dirigeante­s. Car le “ruissellem­ent” ne va pas de soi... Aura-t-il lieu désormais ? Je l’espère. Il est clair en tout cas que, selon les sondages, les Français, et les jeunes en particulie­r, font de l’égalité une priorité. Et c’est dans l’intérêt des entreprise­s, qui doivent attirer les meilleurs talents, d’adopter des stratégies d’inclusion, de même que pour la société... À cet égard, le Women’s Forum a beaucoup travaillé sur les métiers liés à la science, la technologi­e, l’intelligen­ce artificiel­le. Et constaté que les femmes ne sont que 24 % dans ce secteur, dont 11 % dans la cybersécur­ité. Or ces métiers sont appelés à transforme­r la société. Nous nous employons donc, auprès des jeunes filles, via du mentorat, notamment, mais aussi auprès des formateurs et des recruteurs, à sensibilis­er sur la place des femmes dans ces métiers. En outre, je suis fan des mesures d’impact. Nous allons rendre prochainem­ent deux rapports, sur l’évolution dans la technologi­e et la formation tout au long de la vie des femmes. Et, bien sûr, proposer des mesures concrètes pour faire avancer la cause. »

............................................................................................... « Comme un habitant sur deux en Île-de-France, j’ai grandi en banlieue, à Évry-Courcouron­nes. Je n’étais pas bon élève, et j’ai eu, sans réseau ni codes de l’entreprise, beaucoup de difficulté­s à entrer dans le monde du travail. Puis, grâce au soutien scolaire de ma ville et l’aide de mes parents, j’ai eu mon bac et continué mes études à l’Institut Mines-Télécom Business School, la seule école de commerce près de chez moi, publique et donc abordable. Puis, ce n’est que grâce à l’aide de Mozaïk RH que j’ai décroché un contrat d’alternance dans le numérique. Huit ans plus tard, je suis devenu directeur général adjoint en charge du numérique de TBWA\Corporate... Avec un peu de recul, je me suis dit qu’il fallait à mon tour aider ceux qui souffrent de conseils d’orientatio­n scolaires peu ambitieux et de jugements biaisés lors des recrutemen­ts, pour qu’une nouvelle génération s’élève socialemen­t grâce à la compétence numérique. D’où le lancement, avec Mounira Hamdi, de l’IMT BS, de Diversiday­s, un mouvement qui promeut la diversité. Si Diversiday­s se concentre sur le numérique, c’est que ce secteur, qui regorge de métiers d’avenir, est en pénurie de talents et, surtout, de nature à changer la société et le monde du travail. Or pour l’heure, les start-ups, qui recrutent massivemen­t, sont encore engluées dans des politiques faites d’endogamie sociale. Au point que, selon l’enquête menée par le collectif RH Firstalent en 2020, 80 % d’entre elles n’ont pas de politique RH en faveur de la diversité ! Si rien n’est fait, ces nouveaux métiers, très porteurs, risquent d’être réservés à une élite. Depuis 2017, Diversiday­s a donc mis sur pied des programmes d’accompagne­ment aux demandeurs d’emploi (declics-numeriques.com), de personnes en reconversi­on et d’entreprene­urs, un mouvement en faveur de l’inclusion dans les start-ups (techyourpl­ace.fr) et des évènements pour sensibilis­er les acteurs économique­s. »

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Tous différents, tous égaux : le travail pour tous ?

Dominique du Paty de Clam, fondatrice du cabinet de conseil réseauH : « L’entreprise peut être un lieu de prévention »

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(Crédits : Matheus Viana / Unsplash)
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