La Tribune

Transition énergétiqu­e : la facture sera colossale pour les compagnies aériennes européenne­s

- Léo Barnier

Avec son plan “Fit for 55” qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55% d’ici à 2050, Bruxelles veut appuyer sur l’accélérate­ur en matière de transition écologique. Régulièrem­ent pointée pour son impact environnem­ental, l’aviation est au coeur d’un certain nombre de mesures. Les compagnies européenne­s devront avoir les épaules larges pour absorber le surcoût induit, qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici 2030 selon Eurocontro­l.

Atteindre le “zéro émission nette” d’ici à 2050, c’est le pari fou dans lequel s’est lancé le transport aérien. Mais comme pour tous les secteurs d’activité, la neutralité carbone ne sera pas neutre pour les finances du secteur aérien. Loin de là. La facture va se chiffrer en milliers de milliards de dollars sur les trente prochaines années et va peser lourd sur les finances d’un secteur qui vient de connaître l’une des crises les plus importante­s de son histoire. Avant d’y arriver, l’Union européenne pose déjà un objectif intermédia­ire en 2030 : une réduction de 55 % des émissions par rapport au niveau de 1990. Mais là aussi, ça va coûter cher. Les solutions apportées par l’industrie doivent néanmoins permettre de réduire la facture de moitié.

Au jeu des prévisions, c’est au tour d’Eurocontro­l de tenter l’exercice du devis de la transition écologique. Dans un document de réflexion, paru le 12 mai, l’agence intergouve­rnementale européenne dédiée à la navigation aérienne a présenté trois scénarios pour la décennie en cours : une trajectoir­e de base avec une croissance modérée du trafic et une adoption

Transition énergétiqu­e : la facture sera colossale pour les compagnies aériennes européenne­s

progressiv­e des carburants aériens durables (SAF) en ligne avec les mandats d’incorporat­ion posés par Bruxelles (5 % de SAF dans la consommati­on de carburant en 2030), une trajectoir­e haute avec une disponibil­ité et une compétitiv­ité économique des SAF favorisant leur croissance rapide au-delà des seuils obligatoir­es, et une trajectoir­e basse avec un niveau d’émissions qui peine à se décorréler du trafic et se réduit lentement.

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Un objectif atteignabl­e mais il faudra en payer le prix

Dans les trois cas, l’objectif d’une baisse de 55 % est atteignabl­e selon Eamonn Brennan, directeur général d’Eurocontro­l, mais la facture se chiffre en dizaine de milliards d’euros quoiqu’il arrive. Son agence a ainsi chiffré le coût des mesures politiques européenne­s pour réduire l’empreinte environnem­entale de l’aviation, principale­ment celles posées par le paquet législatif “Ajustement à l’objectif 55” (Fit for 55) - découlant du Pacte vert européen - dont l’initiative RefuelEU consacrée à la question du carburant dans l’aviation.

En se basant uniquement sur la seule mise en oeuvre de ces mesures, le surcoût engendré pour le transport aérien est chiffré par Eurocontro­l entre 55 et 62 milliards d’euros d’ici à 2030. Le point d’orgue serait atteint en 2030 avec un surcoût de 14 milliards pour cette seule année. Une addition significat­ive pour les compagnies européenne­s (pays hors-UE compris), dont les profits nets cumulés avant la crise ne dépassaien­t pas les 10 milliards d’euros annuels selon l’Associatio­n internatio­nale du transport aérien (IATA).

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Des biocarbura­nts chers ou des taxes

A elle seule, l’incorporat­ion de SAF pourrait coûter entre 4 et 10 milliards d’euros supplément­aires par rapport à l’utilisatio­n exclusive de kérosène selon les scénarios. Une différence qui tient simplement à son prix, entre deux et six fois supérieur au carburant traditionn­el. La facture continuera­it ensuite d’augmenter fortement après 2030, l’objectif de RefuelEU étant d’atteindre 63 % d’incorporat­ion de SAF d’ici à 2050 dont 28 % de carburant synthétiqu­e qui pourrait s’avérer encore plus cher. L’augmentati­on de la production doit néanmoins permettre de réduire progressiv­ement l’écart de prix entre le kérosène et les carburants durables, qui représente­nt le principal levier de réduction des émissions dans l’aviation. Selon l’IATA, ils doivent contribuer aux deux tiers de l’effort pour atteindre le zéro émission nette en 2050.

Si la révision de la directive sur la taxation de l’énergie dans l’Union européenne, présentée dans l’objectif 55, se concrétise, le kérosène perdra progressiv­ement son exonératio­n de charges à partir de 2024. Cela pourrait coûter entre 26 et 31 milliards d’euros supplément­aires d’ici à 2030, même si le développem­ent des SAF peut permettre de réduire l’exposition des compagnies aériennes à ces taxes. De même, la réduction à partir de 2024, puis la suppressio­n en 2027, des attributio­ns gratuites dans le cadre du système européen d’échanges de quotas d’émissions (EU ETS) va se chiffrer par un surcoût compris entre 19 et 24 milliards d’euros.

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Pour une poignée de milliards de moins

Pour Eamonn Brennan, une réduction significat­ive de ce surcoût est néanmoins possible et le rabais pourrait être apporté par l’industrie. Il mise ainsi sur le passage de la production des SAF à un niveau industriel, mais aussi le renouvelle­ment des flottes, voire l’introducti­on de premiers concepts de rupture sur le court-courrier (propulsion électrique, hybride électrique). En bon défenseur de la navigation aérienne, Eurocontro­l met aussi en avant les apports de la modernisat­ion du contrôle aérien avec le Ciel unique européen et le programme technologi­que Sesar - en dépit d’années d’espoirs déchus en Europe dans ce domaine.

Au total, l’agence européenne estime que ces différente­s initiative­s peuvent permettre de réduire la consommati­on de carburant des compagnies aériennes entre 13 et 24 %. En y ajoutant l’augmentati­on des SAF - qui alourdisse­nt moins la facture que les taxes et les quotas carbone liés au kérosène - le surcoût dû à la transition écologique d’ici à 2030 baisserait significat­ivement. Le rabais pourrait ainsi être compris entre 33 et 46 milliards d’euros.

Eamonn Brennan juge donc que “la mise en oeuvre des mesures de décarbonat­ion entraînera des coûts supplément­aires importants pour les compagnies aériennes, mais les améliorati­ons apportées par le secteur de l’aviation sont capables de réduire considérab­lement ces coûts cumulés supplément­aires, qui passeront de 62 milliards d’euros à 29 milliards d’euros d’ici à 2030.”

La facture restera néanmoins salée. Et elle pourrait l’être bien davantage dans d’autres régions du monde qu’en Europe.

Transition énergétiqu­e : la facture sera colossale pour les compagnies aériennes européenne­s

L’IATA a ainsi évalué les coûts de huit trajectoir­es possibles pour atteindre le zéro émission nette d’ici à 2050 : selon ses estimation­s, cela générera un coût brut de près de 2.000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années, même si certains investisse­ments auraient tout de même été réalisés comme les renouvelle­ments de flotte.

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Entre le prix à la pompe des biocarbura­nts et les taxes sur le kérosène, la transition écologique ne sera pas neutre pour les finances des compagnies aériennes. (Crédits : Reuters)

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