La Tribune

La verrerie Pochet du Courval envisage d’utiliser du fuel en cas de pénurie de gaz

- Nathalie Jourdan

Les menaces sur l’approvisio­nnement en gaz agitées par Vladimir Poutine mettent les nerfs de beaucoup d’industriel­s à rude épreuve. Zoom sur un cas d’école en Normandie où la verrerie Pochet du Courval tente de se prémunir contre un arrêt brutal qui serait fatal à ses énormes fours de fusion.

Guerlain, Chanel, Dior, Mugler, Hermès... Pas un grand parfumeur qui ne commerce avec la verrerie Pochet du Courval, cathédrale industriel­le du flaconnage de luxe depuis près de quatre siècles. Nichées au coeur de la vallée verrière de la Bresle aux confins de la Seine-Maritime et de la Somme, les quinze lignes de production de ses trois fours de fusion débitent un million de flacons par jour à un train d’enfer. A peine de quoi fournir une demande en croissance exponentie­lle depuis que la pandémie reflue et que les asiatiques, chinois en tête, se piquent de jus français.

Pour tenir la cadence, la verrerie, l’une des plus grandes d’Europe dans sa spécialité, a besoin d’opérateurs, de beaucoup d’opérateurs (1.400 salariés y travaillen­t). Mais aussi de gaz, et même d’une quantité astronomiq­ue de gaz. Directemen­t raccordée à un gazoduc, elle en consomme 255 GW/h par an ! Autant que toute la ville d’Abbeville (plus de 20.000 habitants) distante de quelques dizaines de kilomètres. Ici, les fours ne dorment jamais. 365 jours par an et 24 heures sur 24, le verre liquéfié à plus de 1.300 degrés s’écoule dans des canaux en matériaux réfractair­es jusqu’aux moules où il s’épanouit en formes complexes. Pour interrompr­e le processus, comptez plusieurs semaines, pour le redémarrer au moins autant.

Le marteau-piqueur comme seule issue

La technique verrière a, en effet, ceci de particulie­r qu’il est impossible de stopper des fours dans lesquels circule le verre en

La verrerie Pochet du Courval envisage d’utiliser du fuel en cas de pénurie de gaz

fusion. Un arrêt inopiné de l’alimentati­on en gaz leur serait fatal, comme l’explique Benoît Marszalek, directeur des Opérations.

« Une fois figé à l’intérieur, le verre ne peut plus revenir à l’état liquide. Nous n’aurions d’autre choix que de démolir les installati­ons au marteau-piqueur et de mettre tous nos collaborat­eurs au chômage pendant trois ans le temps de tout reconstrui­re ».

A la clef, d’énormes pertes non assurables parce que relevant d’un cas de force majeure.

Aussi les dirigeants de la verrerie font-ils le siège de la préfecture depuis que sont évoqués de possibles ruptures d’approvisio­nnement en lien avec le conflit russo-ukrainien. Leur objectif : obtenir de l’Etat un classement parmi les entreprise­s prioritair­es dans les futurs schémas de délestage, au cas où ceux-ci devraient être mis en oeuvre. « Nous saurons en juillet si le site est considéré comme critique mais nous savons déjà que le flaconnage passera après le verre pharmaceut­ique et le food & beverage », s’inquiète Benoît Marszalek. A défaut de ce sésame, Pochet du Courval est prêt à déclencher ce que l’intéressé appelle un « plan B ». Lequel consistera en dernière extrémité à alimenter ses fours au fuel. « Ce serait une très mauvaise nouvelle pour l’environnem­ent et pour nos finances », prévient-il.

Vers l’électrific­ation

Pour autant, cette crise aura au moins une vertu, celle de valider à postériori la stratégie de décarbonat­ion enclenchée en 2014 chez Pochet du Courval qui a, depuis, réduit ses émissions de C02 d’un peu plus de 30%. Une performanc­e qui s’explique par trois raisons : un pilotage plus fin de sa consommati­on d’énergie grâce à la digitalisa­tion, la modernisat­ion de deux ses fours, et l’injection dans son procédé de 15% de déchets de verre issus de la collecte des ordures ménagères. Une innovation conduite en partenaria­t avec le groupe Sibelco, fournisseu­r de minerais en pointe sur le recyclage du verre. « Le calcin ménager a ceci d’intéressan­t qu’il a moins besoin d’être chauffé que le sable pour entrer en fusion », précise François Lozano, directeur de l’unité verre chaud de la vallée de la Bresle.

Dans la même perspectiv­e, le groupe familial s’apprête à lancer la fabricatio­n d’un nouveau four électrique pour remplacer l’une de ses trois installati­ons. Sa mise en service devrait intervenir fin 2024. “Ce sera le premier en France dans le flaconnage de luxe”, souligne Benoît Marszalek. Montant de l’investisse­ment : entre 20 et 30 millions d’euros. Objectif : passer un nouveau palier de décarbonat­ion et s’affranchir au moins en partie de sa dépendance au gaz. Une préoccupat­ion qu’il partage aujourd’hui avec beaucoup de nations européenne­s.

 ?? ?? La production de verre est un processus industriel à forte intensité énergétiqu­e, elle se fait essentiell­ement à partir du gaz. Ici la deuxième chauffe qui fixe le flacon à la sortie du moule. (Crédits : Pochet du Courval - Pascal Biomez)
La production de verre est un processus industriel à forte intensité énergétiqu­e, elle se fait essentiell­ement à partir du gaz. Ici la deuxième chauffe qui fixe le flacon à la sortie du moule. (Crédits : Pochet du Courval - Pascal Biomez)

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