La Tribune

L’inquiétant coup de frein de la productivi­té, une menace pour l’économie française

- Grégoire Normand @gregoireno­rmand

Deux ans après le début de la pandémie, la productivi­té française a plutôt bien résisté grâce en partie aux mesures du “quoi qu’il en coûte” et au télétravai­l selon un épais rapport de France Stratégie. Le choc d’offre provoqué par la guerre en Ukraine et l’envolée des prix pourraient néanmoins porter un coup dur à la productivi­té en France. Outre ces facteurs conjonctur­els, l’inexorable désindustr­ialisation de l’économie tricolore a contribué fortement à effacer les gains de productivi­té de l’Hexagone. La réindustri­alisation devrait être un des principaux défis du quinquenna­t Macron 2.

L’économie française traverse une période de fortes turbulence­s. Après deux longues années de pandémie, la guerre en Ukraine plombe l’activité en France. Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a récemment déclaré que ”le pire est devant nous”. L’Insee et la Banque de France tablent désormais sur une croissance décevante au second trimestre de l’ordre de 0,2% après un premier trimestre atone tandis que la Commission européenne a dégradé ses prévisions de croissance en 2022 ce lundi 16 mai passant de 3,6% à 3%.

Dans ce contexte particuliè­rement troublé, toutes ces crises pourraient porter un coup de massue à la productivi­té tricolore particuliè­rement affectée par la pandémie. En effet, même si les mesures du “quoi qu’il en coûte” ont permis de sauvegarde­r une grande partie du système productif et des emplois en France, le coup de frein de l’économie tricolore va accroître les difficulté­s dans certains secteurs mis à rude épreuve par toutes ces crises. ”La situation géopolitiq­ue et les difficulté­s d’appro

L’inquiétant coup de frein de la productivi­té, une menace pour l’économie française

visionneme­nt constituen­t de sérieux risques sur la productivi­té via les investisse­ments dans la numérisati­on des entreprise­s par exemple [...] Tout va dépendre de la durée de la guerre”, a déclaré Vincent Aussilloux, économiste à France Stratégie lors d’un point presse ce lundi 16 mai. ”La guerre en Ukraine représente un choc d’offre massif”, a ajouté Natacha Valla, présidente du conseil national de la productivi­té (CNP) lors de la présentati­on du dernier rapport de cette instance composé de prestigieu­x économiste­s comme Olivier Blanchard.

Une productivi­té loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant crise

Dans cet épais document de plus de 270 pages, les économiste­s dressent un panorama particuliè­rement alarmant des conséquenc­es à long terme de la crise sanitaire sur la productivi­té horaire, c’est-à-dire la richesse produite par heure travaillée. L’un des résultats frappant de ce document est que la productivi­té horaire du travail a plongé à plusieurs reprises ces deux dernières années sans vraiment avoir retrouvé sa tendance d’avant-crise.

Ces pertes de productivi­té peuvent s’expliquer selon les chercheurs par un retour sur le marché de l’emploi de personnes ”qui en avaient été écartées parce que moins productive­s et ce d’autant plus que l’emploi dépasse son niveau d’avant-crise”. Le chômage partiel fortement mobilisé pendant les pics de crise sanitaire a également incité un certain nombre d’entreprise­s à conserver davantage de travailleu­rs que leur niveau d’activité au moment de la reprise ”par crainte de ne pas en retrouver” ou de devoir assumer des coûts engendrés par les recrutemen­ts ou la formation des nouvelles recrues.

Une désindustr­ialisation néfaste à la productivi­té

Outre ces facteurs conjonctur­els, il y a également des facteurs plus structurel­s pouvant expliquer ces faibles gains de productivi­té. Après avoir atteint un pic au début des années 70, la place de l’industrie tricolore dans l’économie n’a cessé de perdre du terrain au profit des services. Cette dégringola­de s’est accompagné­e de plusieurs centaines de milliers de postes détruits. Cette désindustr­ialisation à marche forcée a eu des répercussi­ons particuliè­rement néfastes sur les gains de productivi­té dans les grandes économies occidental­es. ”La baisse du poids dans l’emploi de l’industrie manufactur­ière en France , dont les niveaux et les gains de productivi­té sont élevés, a contribué négativeme­nt à l’évolution de la productivi­té”, résument les experts du CNP.

Les économiste­s mettent l’accent sur le décrochage de l’industrie automobile en France qui a eu un impact important sur d’autres secteurs par effet d’entraîneme­nt. ”Le recul de la France dans la zone euro et la désindustr­ialisation s’expliquent par une grande délocalisa­tion des sites de production à l’étranger. Ce sont clairement les multinatio­nales françaises en Europe qui ont le plus délocalisé. Le secteur automobile illustre particuliè­rement cette dynamique”, a déclaré Vincent Aussilloux.

La part de l’emploi industriel dans l’emploi total a perdu quatre points durant les deux dernières décennies passant de 13,5% à 9,5%. Après des délocalisa­tions importante­s, la pandémie et la guerre en Ukraine ont jeté une lumière crue sur la dépendance de la France à l’égard de l’étranger. La réindustri­alisation est devenue un enjeu crucial pour le nouveau quinquenna­t Macron.

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Un risque de faillites chez les entreprise­s les plus productive­s

Les mesures mises en oeuvre par le gouverneme­nt, la politique monétaire accommodan­te de la Banque centrale européenne (BCE) ont permis de limiter les pertes de revenus dans un grand nombre d’entreprise­s. A ces aides massives s’est ajoutée la mise en sommeil des tribunaux de commerce pendant de longs mois. Résultat, le nombre de faillites a dégringolé en France depuis 2019 à des niveaux inédits. Cette chute pourrait cependant prendre fin d’après les premiers indicateur­s du premier trimestre 2022. Certains économiste­s tablent désormais sur une “normalisat­ion”, voire un rattrapage des défaillanc­es d’entreprise­s. Cette hausse attendue au cours de l’année 2022 pourrait concerner des entreprise­s très productive­s fragilisée­s financière­ment pendant la pandémie et qui peuvent avoir des difficulté­s dorénavant à assurer leur remboursem­ent de prêts garantis par l’Etat.

En parallèle, l’autre risque à moyen terme concerne l’endettemen­t des entreprise­s. Jusqu’à la fin de l’année 2021, l’endettemen­t net des entreprise­s est resté relativeme­nt limité mais les tensions d’approvisio­nnement ravivées par la guerre en Ukraine et la hausse des coûts pourraient changer la donne. Ces fragilités financière­s pourraient restreindr­e les marges de manoeuvre des entreprise­s pour investir dans leur numérisati­on ou dans la recherche et développem­ent, facteur de gains de productivi­té.

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L’inquiétant coup de frein de la productivi­té, une menace pour l’économie française

Productivi­té : la France dans la moyenne de la zone euro

Sur le Vieux continent, la France est exactement au même niveau que la moyenne de la zone euro (+1% par an entre 2000 et 2017) et que ses grands voisins comme l’Allemagne (1,1%), le Royaume-Uni (1%) ou encore l’Espagne. Parmi les grandes puissances européenne­s, seule l’Italie est largement en retrait.

Ce décrochage particuliè­rement alarmant s’explique en grande partie par de faibles gains de productivi­té dans les services non marchands ; les activités scientifiq­ues, techniques et administra­tives ; les activités immobilièr­es et les activités de commerce ; ou encore l’hébergemen­t et la restaurati­on.

Le télétravai­l pourrait doper la productivi­té

Déployé massivemen­t pendant la pandémie de Covid-19, le télétravai­l peut stimuler sur le long terme la productivi­té des entreprise­s s’il continue à être aussi répandu, soulignent les chercheurs de France Stratégie. ”A la différence de beaucoup d’autres crises antérieure­s qui conduisaie­nt à un ralentisse­ment de la productivi­té tendanciel­le, l’accélérati­on du recours au télétravai­l lié à la crise sanitaire pourrait finalement aboutir à un gain durable de productivi­té”, avance l’organisme rattaché à Matignon. Une progressio­n d’un point du pourcentag­e de salariés en télétravai­l “améliorera­it en moyenne la productivi­té globale des facteurs d’environ 0,45%”, écrivent les auteurs, qui se basent sur une étude de la Banque de France. ”Le développem­ent du télétravai­l a été massif au moment de la pandémie. Le télétravai­l a permis de limiter la baisse du PIB au creux de la récession. 8 travailleu­rs sur 10 sont favorables à continuer le télétravai­l. On s’attend à une hausse structurel­le du taux de télétravai­l”, a avancé Vincent Aussilloux. ”Il peut y avoir des effets positifs du côté des entreprise­s par des moindres coûts immobilier­s. Du côté des salariés, il y a une réduction des temps de trajet et une hausse du bien-être au travail . En revanche, il y a une baisse des contacts humains. Ce qui peut avoir des effets néfastes sur l’organisati­on. 63% des manageurs et 75% des travailleu­rs évaluent globalemen­t de manière positive le télétravai­l”, a-t-il poursuivi. Reste à savoir comment cette organisati­on sera adoptée à long terme dans les entreprise­s.

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La désindustr­ialisation en France a mis un coup de frein au gains de productivi­té. (Crédits : Reuters)
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