La Tribune

Nucléaire : le scénario noir d’un défaut de corrosion généralisé est écarté

- Marine Godelier

Les réacteurs nucléaires de 900 MW, qui sont les plus anciens et les plus nombreux en France, semblent « peu voire pas » affectés par le phénomène de corrosion identifié dans des réacteurs plus récents, a indiqué mardi le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le phénomène pourrait ainsi être lié à des différence­s de conception des modèles, plutôt qu’à un vieillisse­ment du parc. Explicatio­ns.

Ce sont des minuscules fissures qui font vaciller l’électricie­n historique, au moment-même où l’exécutif lui demande de prolonger « le plus possible » son parc nucléaire. Et qui pourraient même l’amputer de près de 14 milliards d’euros en 2022, selon les dernières estimation­s d’EDF. D’autant que leur découverte s’ajoute à un contexte pour le moins tourmenté, entre un énième retard de l’EPR de Flamanvill­e, la mise à l’arrêt de la centrale de Fessenheim, l’impact du Grand Carénage et le report des contrôles à cause de la pandémie. De quoi faire chuter la production électrique du géant tricolore à un niveau historique­ment bas, à l’heure où l’Hexagone subit de plein fouet la flambée des cours de l’énergie.

Reste que toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises. Découverte­s à Civaux, Chooz et Penly, les anomalies en question ne devraient pas, a priori, concerner l’ensemble des installati­ons. Les réacteurs de 900 MW, qui sont les plus anciens et les plus nombreux (32 réacteurs) semblent en effet « peu voire pas » concernés, a fait savoir mardi le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk.

Un défaut lié au design

Identifiée­s au niveau des soudures de coudes des tuyauterie­s d’injection de sécurité (qui permettent de refroidir le réacteur en cas d’accident), ces fissuratio­ns ne trouveraie­nt donc pas leur source dans un phénomène de vieillisse­ment du parc, puisque les paliers affectés font partie des plus récents (N4 et 1300

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MW), contrairem­ent à ceux de 900 MW. A ce stade, les raisons seraient plutôt à chercher du côté de la conception des modèles, différents selon les « familles » de réacteurs, a souligné l’ASN.

« Les analyses semblent à ce stade privilégie­r une cause prépondéra­nte, qui est liée à la géométrie des lignes des tuyauterie­s. Les réacteurs les plus anciens ont été construits selon une conception directemen­t héritée du groupe américain Westinghou­se, tandis que la conception des modèles suivants a été francisée », a clarifié Bernard Doroszczuk lors d’une audition devant des parlementa­ires.

Concrèteme­nt, la géométrie des lignes sur les réacteurs de palier N4 et 1300 MW favorisera­it une différence de températur­e du fluide en haut et en bas de la tuyauterie, qui générerait des contrainte­s thermodyna­miques supplément­aires dans les zones affectées des soudures. Par conséquent, la réalisatio­n en tant que telle de ces soudures, un temps évoquée comme une cause probable, « apparaît plutôt de second ordre », a ajouté le président de l’ASN.

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Flou sur le périmètre concerné

Cependant, plusieurs zones d’ombre demeurent. Car cette piste n’exclut pas totalement, pour l’heure, un problème générique, étant donné que l’enquête débute seulement. « A ce stade, EDF a procédé à la mise à l’arrêt ou la prolongati­on de l’arrêt de douze réacteurs pour expertises approfondi­es [...] 35 soudures ont fait l’objet de découpes de tuyauterie­s, et EDF prévoit d’en expertiser 105 supplément­aires d’ici à fin juin, afin d’avoir une meilleure connaissan­ce du phénomène », a détaillé Bernard Doroszczuk. Et de préciser qu’EDF avait remis sa stratégie de contrôle sur l’ensemble du parc « vendredi dernier ».

D’autant qu’au-delà des paliers affectés, le périmètre réel des circuits concernés dans chaque réacteur n’est pas encore clair. En effet, alors que l’anomalie a jusqu’ici été repérée dans le circuit d’injection de sécurité en cas d’accident (dit RIS), « des indication­s » laissent à penser qu’il pourrait s’étendre au système de refroidiss­ement du réacteur à l’arrêt (RRA), soulignait le gendarme du nucléaire dans une note publiée jeudi 25 février. Car ce système est en fait composé du même acier que le RIS, et pourrait donc abriter lui aussi ce phénomène de fissuratio­n sous contrainte.

« A ce stade, EDF a détecté sur le RRA des indication­s, c’est-àdire des signaux issus des contrôles par ultrasons pouvant correspond­re à des défauts. Une expertise in situ ou en laboratoir­e est nécessaire pour pouvoir confirmer la nature du phénomène », expliquait fin février à La Tribune une source à l’ASN.

Une éventualit­é qui soulève la question de la sûreté des installati­ons puisque, comme son nom l’indique, le

RRA fonctionne dès lors qu’un réacteur est mis à l’arrêt. En effet, son rôle est d’évacuer la chaleur résiduelle produite par le combustibl­e dans la cuve et d’éviter l’échauffeme­nt de l’eau du circuit primaire dû à la présence de combustibl­e dans le coeur. Le RRA se trouve donc régulièrem­ent sollicité, contrairem­ent au RIS, mis à profit uniquement en cas d’accident afin d’éviter l’entrée en fusion du réacteur.

Un calendrier de réparation­s à définir

Même sur le RIS, où le problème a été formelleme­nt identifié, les parties de tuyauterie­s concernées restent directemen­t connectées au circuit primaire principal. Et ces tronçons ne sont pas isolables, a rappelé l’ASN ce mardi. « C’est l’un des points extrêmemen­t compliqués de la phase actuelle [...] Le contrôle et la réparation impliquent d’arrêter le réacteur et de porter des protection­s spécifique­s contre les rayons ionisants », a noté Bernard Doroszczuk.

Pour faciliter la procédure, EDF envisage de développer un moyen de contrôle par ultrason, mais celui-ci ne sera pas disponible avant le deuxième semestre de 2022, à partir duquel il sera déployé progressiv­ement.

Reste à savoir quelle sera l’issue de ces investigat­ions, afin d’identifier « là où le problème devra être réparé, avec un calendrier qui reste à définir », a précisé Bernard Doroszczuk. Et d’ajouter : « Est-ce que tout cela permettra de faire face aux besoins électrique­s ? Je n’ai pas de réponse. »

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(Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

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