La Tribune

Emploi des seniors : au Royaume-Uni, les plus de 50 ans démissionn­ent en masse

- Carlos Carrillo-Tudela, Alex Clymo et David Zentler-Munro

COMPARAISO­N. Quelque 300 000 travailleu­rs britanniqu­es parmi les plus âgés sont désormais « économique­ment inactifs », ce qui représente un défi majeur pour le gouverneme­nt. Par Carlos Carrillo-Tudela, University of Essex; Alex Clymo, University of Essex et David Zentler-Munro, University of Essex

L’économie britanniqu­e semble rencontrer un problème avec ses plus de 50 ans : à la suite de la pandémie de Covid-19, ils ont quitté la population active en masse, au grand dam des entreprise­s et au gouverneme­nt. Environ 300 000 travailleu­rs âgés de 50 à 65 ans de plus qu’avant la pandémie ont désormais rejoint la catégorie des « économique­ment inactifs », ce qui a conduit un tabloïd à qualifier le problème d’« exode des seniors ».

« Économique­ment inactif » signifie que ces travailleu­rs âgés ne sont ni employés ni à la recherche d’un emploi. Bien sûr, il se peut simplement que les travailleu­rs aient épargné davantage pendant la pandémie et qu’ils puissent maintenant se permettre de prendre une retraite confortabl­e plus tôt que prévu.

Mais si les travailleu­rs âgés ont été mis au chômage en raison de risques pour la santé ou d’un manque d’opportunit­és, cela signifie que l’économie reste privée de travailleu­rs potentiell­ement productifs - ce qui pourrait coûter cher à l’État de diverses manières. Que se passe-t-il donc ?

Un exode moindre chez les plus qualifiés

Dans notre récente étude, nous nous sommes penchés sur l’inactivité économique croissante des plus de 50 ans et sur ses conséquenc­es pour l’économie, en utilisant les dernières données de l’enquête du UK Labour Force Survey (LFS).

Nous avons d’abord pu constater que l’exode des seniors ne se concentre pas dans les segments les plus riches de la population, même si l’on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient les

Emploi des seniors : au Royaume-Uni, les plus de 50 ans démissionn­ent en masse

plus aptes à prendre leur retraite. Au contraire, il s’agit plutôt d’un phénomène qui touche principale­ment les revenus moyens et moyens inférieurs.

Comme le montrent les graphiques ci-dessous, la plus forte hausse de l’inactivité post-Covid s’observe chez les travailleu­rs appartenan­t à la catégorie des revenus moyens inférieurs. Ces derniers gagnaient environ 18 000 à 25 000 livres sterling par an (21000-29200 euros) dans leur emploi le plus récent. Dans chaque graphique, la ligne indique le pourcentag­e de travailleu­rs occupés âgés de 50 à 65 ans qui sont devenus économique­ment inactifs un an plus tard.

Travailleu­rs devenant inactifs (%) par quartile de revenu

. .

Les données proviennen­t de l’enquête longitudin­ale sur les forces de travail de cinq trimestres pour les individus âgés de 50 à 65 ans. Chaque graphique présente un quartile différent de la distributi­on des salaires (0-25 , 25-50 , 50-75 et de 75-100 ). Par exemple, le dernier point de données du panel pour les salaires moyens inférieurs montre que 12,8 % des travailleu­rs qui étaient employés au quatrième trimestre de 2020 avec un salaire situé dans le 25 -50 percentile étaient économique­ment inactifs au quatrième trimestre de 2021. Author provided

D’autres éléments viennent également étayer l’idée que l’augmentati­on de l’inactivité reste concentrée dans la partie moyenne inférieure de la distributi­on des revenus. Par exemple, l’augmentati­on de l’inactivité a été plus importante chez les personnes qui louent leur logement plutôt que chez les propriétai­res, et chez celles qui travaillen­t dans des secteurs et des profession­s moins rémunérées. L’augmentati­on de l’inactivité a également été moindre chez les travailleu­rs hautement qualifiés.

Les secteurs où l’inactivité des plus de 50 ans a le plus augmenté sont le commerce de gros et de détail (+ 40 %), le transport et l’entreposag­e (+ 30 %) et l’industrie manufactur­ière (+ 25 %). Parallèlem­ent, les profession­s qui enregistre­nt les plus fortes hausses en pourcentag­e sont les opérateurs d’installati­ons et de machines de traitement (+50 %) et les vendeurs et les services à la clientèle (+40 %). Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, le pourcentag­e d’augmentati­on comparable pour les plus de 50 ans dans l’ensemble de l’économie est de 12 %.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différence­s. D’abord, les secteurs en question connaissai­ent déjà des difficulté­s économique­s avant la pandémie et ils ont été durement touchés ces deux dernières années. Les travailleu­rs ont ainsi pu considérer qu’il était peu probable qu’ils retrouvent leur emploi dans un secteur en déclin, et ont pu choisir de prendre leur retraite plutôt que de chercher un autre emploi ou de se reconverti­r. Il s’agit également de secteurs où les contacts sociaux sont nombreux et où il n’est pas possible de travailler à domicile. Certains travailleu­rs âgés ont donc peut-être choisi de démissionn­er par crainte pour leur santé.

Dans l’ensemble, l’augmentati­on de l’inactivité s’explique par le fait que les travailleu­rs âgés perçoivent une baisse du rendement de leur travail : en effet, pourquoi continuer à occuper un emploi mal rémunéré dans un secteur en déclin et touché par une pandémie ?

Reviendron­t-ils au travail ?

Il n’est pas rare que des travailleu­rs deviennent économique­ment inactifs après une récession, car il devient plus difficile de trouver un emploi et les candidats peuvent décourager. C’est notamment ce qui s’est produit après la crise financière mondiale de 2007-2009 - à la suite de laquelle la hausse de l’inactivité chez les plus de 50 ans restait néanmoins trois fois moins élevée qu’actuelleme­nt.

Certes, les travailleu­rs aujourd’hui en « exode » pourraient se remettre à chercher un emploi si la situation économique s’améliore, mais les perspectiv­es restent peu encouragea­ntes.

Emploi des seniors : au Royaume-Uni, les plus de 50 ans démissionn­ent en masse

Plusieurs faits suggèrent également que ces personnes n’ont vraiment pas envie de revenir au travail. La totalité de la hausse de l’inactivité provient de travailleu­rs qui disent ne pas vouloir de travail et pensent qu’ils ne travailler­ont « certaineme­nt » plus jamais. Des « raisons de santé » de santé peuvent être évoquées (même si la hausse de l’inactivité liée à la santé avait commencé au moins deux ans avant la pandémie et n’a pas été beaucoup affectée par crise sanitaire elle-même), mais le désir de prendre sa retraite constitue bien la principale raison de l’augmentati­on de l’inactivité.

Il convient de souligner qu’avant la pandémie, le nombre de retraités était en baisse, les travailleu­rs prenant leur retraite plus tard. Ce phénomène était dû à l’augmentati­on de l’âge légal pour obtenir la pension de l’État, qui est passé de 65 à 66 ans à partir de 2019-20. La hausse des départs à la retraite que nous avons observée pendant et après la pandémie est donc aussi en partie l’émergence d’une tendance sous-jacente liée à cette mesure.

Cette hausse sans précédent de l’inactivité chez les plus de 50 ans pose désormais des défis importants pour l’économie britanniqu­e. Elle intervient à un moment où le gouverneme­nt doit faire face à l’augmentati­on des démissions dans d’autres groupes d’âge, aux pénuries de main-d’oeuvre, à l’augmentati­on du coût de la vie ou encore aux effets du Brexit. Compte tenu de leurs revenus relativeme­nt faibles, ces retraités pourraient aussi potentiell­ement rencontrer des difficulté­s financière­s plus tard dans leur retraite et ajouter de la pression sur les dépenses publiques. Que peut-on donc faire pour stopper, voire inverser, l’exode des seniors ?

L’augmentati­on de l’inactivité ne se situe pas dans les couches de la société aux revenus les plus faibles, où le gouverneme­nt concentre aujourd’hui ses efforts pour inciter au travail par le biais du système de prestation­s. Le gouverneme­nt pourrait donc envisager d’étendre ces incitation­s aux personnes de la classe moyenne inférieure pour tenter de les encourager à reprendre le travail.

Peut-être la crise du coût de la vie obligera-t-elle les plus de 50 ans à reprendre le travail, ce qui résoudra en partie la pénurie de main-d’oeuvre au Royaume-Uni. Mais résoudre un problème par un autre n’est pas de nature à rendre qui que ce soit - travailleu­rs, entreprise­s ou gouverneme­nt - plus heureux. Des jours difficiles semblent donc nous attendre.

_____

Et en France ?

En France, le projet de réforme des retraites du président réélu Emmanuel Macron prévoit un report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Un objectif qui implique, en parallèle, un effort pour maintenir les seniors en emploi un an de plus. Depuis le début des années 1990, les quatre réformes des retraites (1993, 2003, 2010 et 2014) ont déjà contribué à accroître le taux d’emploi des seniors : celui-ci a notamment augmenté de près de 20 points entre 2003 et 2021, selon une étude de la Dares.

Cependant, la France accuse toujours un retard de près de 6 points chez les 55-64 ans par rapport à ses voisins européens. Or, combler cet écart ne s’annonce pas simple, surtout si les tendances observées par les chercheurs britanniqu­es Carlos Carrillo-Tudela, Alex Clymo et David Zentler-Munro (University of Essex), qui font l’objet d’un article pour The Conversati­on UK dont nous vous proposons la traduction, venaient également à se confirmer en France.

Par Carlos Carrillo-Tudela, Professor of Economics, University of Essex ; Alex Clymo, Assistant Professor of Economics, University of Essex et David Zentler-Munro, Assistant Professor in Economics, University of Essex.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

 ?? ?? Le désir de prendre sa retraite, principale raison de l’augmentati­on de l’inactivité. (Crédits : DR)
Le désir de prendre sa retraite, principale raison de l’augmentati­on de l’inactivité. (Crédits : DR)
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France