La Tribune

La participat­ion des salariés améliore le pouvoir d’achat… et limite la financiari­sation des entreprise­s

- Xavier Hollandts et Cécile Cézanne

ANALYSE. Un travail de recherche confirme qu’un partage plus équitable de la valeur entre les actionnair­es et les salariés freine les pratiques de versements de dividendes et de rachats d’actions. Par Xavier Hollandts, Kedge Business School et Cécile Cézanne, Université Côte d’Azur

Pendant la dernière campagne présidenti­elle, le président candidat Emmanuel Macron, réélu depuis, avait souligné qu l’une des façons de soutenir le pouvoir d’achat, l’une des préoccupat­ions majeures des Français, serait de revoir ou de repenser le partage de la valeur des entreprise­s ou plus prosaïquem­ent comment les profits sont répartis et distribués entre les parties prenantes essentiell­es (actionnair­es, salariés, entreprise).

Historique­ment, il s’agit d’un combat politique incarné et porté par une partie du courant gaulliste. Le général de Gaulle a notamment été un ardent défenseur, depuis son discours de Saint-Étienne en 1948, de la participat­ion en entreprise, qui dans son idée ne pouvait être conçue que de façon exhaustive et systémique.

Il s’agit bien évidemment de la participat­ion des salariés aux profits, aux décisions et à la gouvernanc­e. Dans l’approche gaulliste, l’objectif était de réduire la conflictua­lité en entreprise par le biais de la promotion d’une entreprise plus harmonieus­e. Notons, que d’un point de vue historique, cette vision ne peut être seulement rattachée au courant gaulliste mais bien à un ensemble d’acteurs variés, allant des syndicats aux patrons progressis­tes en passant par les catholique­s sociaux, ce que certains ont regroupés sous la bannière des partisans de

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la « réforme de l’entreprise » (Bacon, Bloch-Lainé, Sudreau, etc.).

« Mieux gouverner le capitalism­e »

La période actuelle remet sur le devant de la scène la question du partage des profits, en lien notamment avec ce que l’on appelle la financiari­sation des entreprise­s. Pour faire simple, il s’agit de normes comme de pratiques qui tendent à privilégie­r les intérêts des actionnair­es dans les objectifs des entreprise­s comme dans la répartitio­n des profits : on a tantôt annoncé « le retour de l’actionnair­e », évoqué « la République des actionnair­es », constaté les « dérives du capitalism­e financier », en lien avec le nouvel « esprit du capitalism­e », tout en regrettant les conséquenc­es humaines délétères sur le travail alors que certains, à l’instar de la sociologue belge Isabelle Ferreras, appellent à mieux « gouverner le capitalism­e » afin de pouvoir « démocratis­er, démarchand­iser et dépolluer ».

Tous les gouverneme­nts récents comme les divers mouvements politiques se sont donc intéressés à ce sujet sensible. Le président Nicolas Sarkozy avait par exemple commandé un rapport en 2009 à ce sujet qui faisait le constat sans ambiguïté de cette répartitio­n déséquilib­rée et préconisai­t une répartitio­n équitable dite des « trois tiers » : un tiers pour les actionnair­es, un tiers pour les salariés et un tiers pour l’entreprise (autofinanc­ement).

La loi Pacte (loi relative à la croissance et la transforma­tion des entreprise­s, adoptée en 2019), censée d’après les propos du président de la République Emmanuel Macron « réformer profondéme­nt la philosophi­e de ce qu’est l’entreprise », a avancé dans la direction d’une répartitio­n plus équilibrée des profits, en favorisant l’épargne salariale et la participat­ion des salariés à la gouvernanc­e afin qu’ils pèsent plus dans les décisions stratégiqu­es.

La campagne présidenti­elle a donc donné lieu à de multiples propositio­ns visant à mieux associer les salariés aux profits et/ ou à améliorer leur pouvoir d’achat.

On peut remarquer une double perspectiv­e relativeme­nt consensuel­le : favoriser ou généralise­r la participat­ion des salariés, notamment chez les candidats se réclamant du gaullisme ou de la droite de l’échiquier politique ; ou conditionn­er les dividendes versés aux actionnair­es à une rémunérati­on ou un dividende en faveur des salariés (« dividende salarié » repris par E. Macron) ou interdire le versement des dividendes en l’absence de participat­ion des salariés.

Ces propositio­ns vont globalemen­t dans le sens d’une réduction de l’inégalité de traitement entre les parties essentiell­es de la vie des entreprise­s : actionnair­es, salariés et l’entreprise elle-même. Elles alimentent ainsi l’idée qu’il faut rééquilibr­er la répartitio­n des profits afin d’aboutir à une solution plus « coopérativ­e » et plus durable.

Des salariés « récompensé­s »

Dans le cadre d’un article de recherche récemment publié, nous sommes partis de ce contexte afin d’examiner une situation de plus en plus fréquente. Nous nous sommes notamment focalisés sur le cas des entreprise­s ayant développé des mécanismes d’épargne salariale et d’actionnari­at salarié... qui sont justement alimentés par la participat­ion des salariés et l’intéressem­ent.

Il s’agissait de comprendre, dans une logique de rapport potentiell­ement conflictue­l, si la présence des salariés au capital comme à la gouvernanc­e était susceptibl­e d’avoir un effet sur la distributi­on des profits aux actionnair­es. Nous avons ainsi analysé une période courant de 2000 à 2014, qui représente une période relativeme­nt neutre par rapport aux dernières années qui ont vu fleurir des dispositio­ns en faveur des salariés.

Nos résultats montrent deux éléments intéressan­ts et qui mettent en perspectiv­e les débats actuels. Premier élément intéressan­t : la participat­ion des salariés au capital a bien un effet positif sur la performanc­e. Et donc, en soi, il est toujours plus intéressan­t d’avoir des salariés présents au capital que l’inverse, notamment parce qu’ils sont plus motivés et performant­s en étant « récompensé­s » de leurs efforts et de leur travail.

Néanmoins, le résultat le plus novateur a été de constater que la participat­ion des salariés permet de freiner leurs pratiques de versements de dividendes et de rachats d’actions, qui sont régulièrem­ent analysés comme des pratiques ne bénéfician­t qu’aux seuls actionnair­es. De plus, la participat­ion des salariés au conseil d’administra­tion (ou de surveillan­ce) modère les versements de dividendes aux actionnair­es, ce qui souligne l’influence positive (dans une perspectiv­e d’équilibre) des salariés dans la répartitio­n des profits.

Nos résultats, comme ceux obtenus par d’autres collègues (N. Aubert, M. Nekhili, A. Reberioux), soulignent donc l’intérêt de développer et de soutenir la participat­ion des salariés dans toutes ses acceptions (au capital, à la gouvernanc­e, aux décisions). Ils apportent une preuve empirique des intuitions ou des « combats » portés par d’illustres représenta­nts du courant de la réforme de l’entreprise, qui oeuvraient pour une entreprise

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moins conflictue­lle car plus équitable dans la répartitio­n des profits et du pouvoir.

Une réflexion sur un éventuel texte qui succéderai­t à la loi Pacte pourrait ainsi constituer une occasion d’inscrire le capitalism­e français dans une double perspectiv­e assez unique : permettre aux salariés de constituer une composante qui équilibre les tentations opportunis­tes et les dérives d’un capitalism­e trop financiari­sé.

Par Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entreprene­uriat, Kedge Business School et Cécile Cézanne, Maître de conférence­s-HDR en Economie, Université Côte d’Azur.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Dado Ruvic)

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