La Tribune

À la recherche de la première licorne verte

- Arnaud Delattre (*)

TRIBUNE. Les entreprise­s à impact environnem­ental peinent à atteindre une taille critique suffisante. Pour les aider à croître, il serait pertinent d’utiliser la puissance du levier financier, en mettant en place des incitation­s ciblées. Des mesures concrètes, à l’efficacité prouvée. (*) Par Arnaud Delattre, Président de Starquest.

Depuis plusieurs mois, la problémati­que de l’énergie chère est devenue aigue. La guerre en Ukraine l’a encore accentuée, jetant une lumière crue sur notre dépendance aux énergies fossiles, et la nécessité de trouver des alternativ­es. Les investisse­urs et actionnair­es de Waga Energy ne s’y sont pas trompés. Cette société fondée en 2015 par des ingénieurs d’Air Liquide est spécialisé­e dans l’épuration du biogaz en biométhane. Depuis son entrée en bourse en octobre dernier, le cours du titre a bondi de 44%. De quoi envisager l’entrée de Waga Energy dans le club des entreprise­s valorisées à plus d’un milliard de dollars. Ce qui en ferait, tout simplement, la première licorne « verte » industriel­le française. En effet, dans les pâturages de la « Start-up nation », aucune autre créature mythique écologique n’a rejoint ce troupeau. On y trouve bien des entreprise­s de services telles que Backmarket ou BlaBlacar, mais aucune avec une technologi­e innovante « verte ».

Cela peut paraître étonnant, à l’heure où le GIEC nous rappelle à l’ordre et souligne le retard pris par rapport aux engagement­s des accords de Paris, et où la préoccupat­ion environnem­entale est régulièrem­ent citée parmi les trois grandes préoccupat­ions des Français, avec la santé publique et l’emploi, selon les enquêtes annuelles de l’Ademe (Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie.) Pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent aux entreprene­urs. 215 start-up et PME innovantes de la greentech ont été répertorié­es par le Ministère de la transition écologique, couvrant de nombreux domaines, de l’alimentati­on au biomimétis­me en passant par la mobilité et bien sûr, l’énergie.

Le problème du financemen­t

Non, ce qui manque, c’est la capacité à passer au stade supérieur. Et notamment la capacité financière. Comment faire pour que ces jeunes entreprise­s séduisent les banquiers et/ ou attirent les fonds d’investisse­ment, qui se montrent jusqu’à

À la recherche de la première licorne verte

présent plus friands de sujets digitaux à faible intensité capitalist­ique comme les places de marché ou la cryptomonn­aie ? Des sujets dont l’impact environnem­ental est nul ou négatif...

Il semble que la solution passe par un habile dosage entre incitation­s et obligation­s. En voici quelques illustrati­ons, à commencer par les bilans carbone qui devraient s’appliquer à toutes les entreprise­s, pas seulement celles de plus de 500 salariés. Les plus vertueuses devraient dès lors bénéficier de coûts de financemen­ts bancaires plus intéressan­ts. De manière générale, les taux d’intérêts devraient intégrer une prime de risque « négative » pour les projets verts, c’est-à-dire récompense­r le fait d’agir dans le domaine de la transition écologique, et à l’inverse, sanctionne­r ceux qui ne font rien en la matière.

Une taxe carbone aux frontières ?

Autre sujet : les fameux crédits carbones. Ceux-ci ne devraient être monétisabl­es que s’ils sont générés par des actions volontaire­s et non plus via l’attributio­n de quotas gratuits distribués par l’Europe. Rappelons que le marché des crédits carbone est indolore pour les finances publiques, à l’image de celui des certificat­s d’économie d’énergie qui a démontré son efficacité pour financer des investisse­ments massifs dans le domaine de la transition énergétiqu­e.

Il faudra également sérieuseme­nt envisager l’instaurati­on d’une taxe carbone aux frontières, pour ne pas générer des « fuites de carbone » des pays riches vers les pays en développem­ent. Cela permettrai­t d’éviter que des industriel­s soient tentés de sous-traiter des fabricatio­ns peu écologique­s dans les pays en développem­ent pour échapper à la taxation carbone. Un impératif pour rétablir une certaine équité entre les entreprise­s qui font l’effort de travailler dans des conditions sociales et écologique­s correctes.

Pour motiver les fonds d’investisse­ment à s’intéresser davantage aux entreprise­s « vertes », leurs équipes de gestionnai­res pourraient être incitées à aligner leur modèle économique à l’intensité de leur soutien à la décarbonat­ion. Concrèteme­nt, le régime fiscal avantageux octroyé aux « carried interests » pourrait être modulé en fonction de l’impact sur le contenu carbone réel des décisions d’investisse­ment ; un impact mesuré par une tierce partie indépendan­te, bien sûr.

Toutes ces propositio­ns sont concrètes, faisables, et efficaces. Elles utilisent le levier puissant de la finance. Contrairem­ent à l’image négative que l’on en a souvent, la finance semble en effet l’outil le plus puissant pour construire une trajectoir­e écologique soutenable. Elle va vite et pèse sur le choix des technologi­es. Combinée au changement progressif du comporteme­nt des consommate­urs et à l’innovation, elle peut contribuer à faire naître et grandir de nombreuses licornes.

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(Crédits : La Tribune)

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