La Tribune

REPowerEU : le plan à 300 milliards de Bruxelles pour se défaire à toute vitesse du gaz russe

- Juliette Raynal

L’Union européenne se met en ordre de bataille pour s’affranchir du gaz russe. La Commission européenne a présenté, ce mercredi 18 septembre, son plan d’actions baptisé REPowerEU. Celui-ci s’articule autour de quatre axes : économiser de l’énergie, diversifie­r l’approvisio­nnent en gaz, en misant notamment sur le GNL malgré certaines critiques, mais aussi une très forte accélérati­on des énergies renouvelab­les, notamment le solaire et l’hydrogène vert, et, enfin, des investisse­ments massifs.

”Économiser, diversifie­r, accélérer et investir”, pourrait être la devise du plan à 300 milliards d’euros que vient de présenter dans les détails la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ce mercredi 18 mai. Baptisé REPowerEU, ce plan consiste à sevrer l’Union européenne le plus rapidement possible des combustibl­es fossiles russes, et plus particuliè­rement de son gaz alors que l’année dernière les Vingt-Sept en ont importé quelque 155 milliards de mètres cubes. Ce qui représente environ 40% des importatio­ns totales de gaz de l’UE. Des importatio­ns XXL qui financent directemen­t la machine de guerre de Vladimir Poutine, dont l’armée a envahi l’Ukraine le 24 février dernier.

”La guerre de Vladimir Poutine perturbe énormément le marché énergétiqu­e mondial et montre à quel point nous dépendons de la Russie” , a déclaré Ursula von der Leyen, lors d’une conférence de presse, tout en soulignant qu’en avril dernier, le gaz russe était descendu à 26% des importatio­ns européenne­s de gaz. ”Mais nous devons aller plus vite”, a-t-elle lancé, alors que l’urgence de la souveraine­té énergétiqu­e de l’UE est encore plus prégnante

REPowerEU : le plan à 300 milliards de Bruxelles pour se défaire à toute vitesse du gaz russe

depuis que la Russie a coupé elle-même ses livraisons de gaz vers la Pologne et la Bulgarie.

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”Mettre le turbo”

Le plan REPowerEU repose sur plusieurs échéances. D’abord, il doit permettre à l’UE de se défaire des deux tiers des importatio­ns de gaz russe d’ici à la fin de l’année, soit environ

110 milliards de mètres cubes. Ensuite, il doit conduire à une réforme structurel­le du système énergétiqu­e européen à l’horizon 2027-2030 pour en assurer son indépendan­ce, tout en accélérant la transition énergétiqu­e des Vingt-Sept.

”L’urgence sécuritair­e et l’urgence climatique vont de pair”, affirme-t-on du côté de l’exécutif européen.

Le plan d’action suppose donc de renforcer les objectifs de décarbonat­ion de l’économie européenne, fixés l’été dernier dans le cadre du Fit For 55, ce paquet législatif qui doit permettre au Vieux Continent de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

”Il s’agit de mettre le turbo pour notre pacte vert européen”, a résumé, devant la presse, Ursula von der Leyen.

REPowerEU s’articule ainsi autour de quatre piliers. Le premier consiste à réduire notre consommati­on d’énergie, grâce notamment à des mesures d’efficacité énergétiqu­e. Un point qui avait été sous-estimé dans le cadre du paquet Fit For 55. Bruxelles estime désormais qu’il faut atteindre 13% d’efficacité énergétiqu­e d’ici 2030, contre 9% prévus initialeme­nt dans le paquet législatif Fit For 55. Ces économies d’énergie doivent reposer en grande partie sur l’améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e des bâtiments, dont 35 millions en Europe doivent être rénovés d’ici 2030.

Economiser de l’énergie

”Les économies d’énergie constituen­t le moyen le plus rapide, le plus simple et le plus abordable pour gérer la crise énergétiqu­e actuelle”, affirme l’exécutif européen.

Mais Bruxelles mise aussi sur le comporteme­nt de chaque citoyen en les invitant à faire preuve de sobriété énergétiqu­e. La Commission prend pour exemple la campagne réalisée par l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE), qui encourage les consommate­urs à baisser leur thermostat de 1 degré ou encore à réduire leur vitesse sur l’autoroute ou à privilégie­r le télétravai­l. Bruxelles estime ainsi que ”des changement­s de comporteme­nt pourraient réduire de 5% à court terme la demande de gaz et de pétrole”.

Le deuxième axe consiste à diversifie­r les approvisio­nnements en gaz. Dans cette optique, l’UE entend se tourner vers le gaz acheminé par gazoduc depuis l’Azerbaïdja­n, l’Algérie et la Norvège. Mais aussi importer massivemen­t du gaz naturel liquéfié (GNL) par voies maritimes (60 milliards de mètres cubes en 2022) depuis les Etats-Unis, l’Afrique de l’Ouest, l’Egypte et l’Australie. Cela demande néanmoins d’investir dans de nouvelles infrastruc­tures capables d’accueillir ces volumes, notamment au nord de l’Allemagne et en Europe centrale et orientale. 10 milliards d’euros seront ainsi injectés dans les chaînons manquants. Des investisse­ments qui font l’objet de critiques de la part de certains observateu­rs.

Le pari risqué du GNL

”Les stratégies reposant sur le GNL sont doublement dangereuse­s. D’une part, la constructi­on des terminaux ne sera pas achevée avant quatre à six ans, ce qui nous conduit déjà à 2026. Ensuite, elles ne reposent pas sur une analyse des coûts pour les consommate­urs. Or, les prix du GNL, en raison de la tension sur le marché internatio­nal, seront inévitable­ment plus élevés que ceux du gaz russe”, pointe un spécialist­e du secteur, qui préconise de mettre surtout l’accent sur les solutions propres.

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Par ailleurs, la durée de vie de ces infrastruc­tures, qui ne sont pas compatible­s avec la neutralité carbone, s’étale sur plusieurs décennies. Ces terminaux pourraient donc devenir des actifs échoués ou, au contraire, verrouille­r les Vingt-Sept dans l’usage de combustibl­es fossiles.

”Il s’agit d’un nombre d’infrastruc­tures limité pour répondre aux besoins futurs sans pour autant entraîner de verrouilla­ge dans les combustibl­es fossiles. Ces infrastruc­tures devront être compatible­s pour l’usage de l’hydrogène. Nous n’allons pas à l’encontre du pacte vert “, assure, de son côté, l’exécutif européen.

REPowerEU : le plan à 300 milliards de Bruxelles pour se défaire à toute vitesse du gaz russe

Des panneaux solaires sur (presque) tous les toits

Le troisième pilier consiste, lui, à accélérer le déploiemen­t des énergies renouvelab­les. Bruxelles propose ainsi de passer de 40 à 45% la part des énergies renouvelab­les dans le mix énergétiqu­e d’ici à 2030. Concrèteme­nt, cela se traduirait par 1.236 gigawatts de capacités renouvelab­les à cet horizon (l’équivalent de 100 EPR), contre 511 gigawatts actuelleme­nt. L’accent est porté sur le photovolta­ïque, ”l’énergie renouvelab­le la plus rapide à déployer”, où Bruxelles vise 600 gigawatts de capacité d’ici à 2030. Cela doit passer par un déploiemen­t massif des centrales solaires sur les toitures. Ainsi, d’ici 2025, les bâtiments publics et commerciau­x de plus de 250 mètres carrés devront être dotés de panneaux solaires. Cette obligation concernera les nouveaux bâtiments résidentie­ls dès 2029.

Pour que les Etats membres puissent suivre ce rythme élevé, la Commission entend généralise­r les bonnes pratiques afin de réduire les délais d’obtention de permis, qui s’élève en moyenne à 9 ans dans l’éolien et à 4,5 ans dans le solaire. L’idée est de favoriser les approches participat­ives pour simplifier les procédures d’autorisati­on, tout en préservant l’environnem­ent. En parallèle de ces recommanda­tions, Bruxelles souhaite réviser la directive européenne pour y introduire le principe que les énergies renouvelab­les constituen­t un intérêt public supérieur. Objectif : s’assurer que les procédures d’octroi de permis ne dépassent pas un an.

Toujours en matière de renouvelab­les, Bruxelles souhaite créer un accélérate­ur de l’hydrogène vert pour produire localement 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelab­le et en importer 10 millions de tonnes également, à l’horizon 2030. Objectif : remplacer le gaz, le pétrole et le charbon dans l’industrie et la mobilité lourde. Reste que la pertinence de cette production locale d’hydrogène vert pour se défaire du gaz russe et réduire les émissions de CO2 est discutée par certains experts du secteur. ”Cette accélérati­on est un peu embarrassa­nte”, reconnaît Cédric Philibert, chercheur au centre énergie et climat de l’Institut français des relations internatio­nales. ”Nous n’avons pas assez d’électricit­é bas carbone pour produire cet hydrogène. Cela pourrait nous conduire à utiliser du gaz et du charbon pour produire de l’hydrogène par électrolys­e de l’eau et donc à émettre plus de CO2”, explique-t-il.

Des investisse­ments massifs

Le dernier pilier concerne les investisse­ments, qui devront être ”massifs”. Bruxelles les a évalués à hauteur de 300 milliards, dont 210 milliards d’investisse­ments supplément­aires prévus entre aujourd’hui et 2027. Une large partie s’effectuera sous forme de prêts, le reste via des subvention­s.

Sur cette enveloppe de 300 milliards, 12 milliards seront fléchés vers des nouvelles infrastruc­tures dédiées au gaz et au pétrole. ”Tout le reste du financemen­t consistera à faire monter en puissance la transition vers une énergie propre”, a assuré la présidente de l’exécutif européen. Dans le détail,113 milliards seront dédiés aux énergies renouvelab­les, 29 milliards au réseau électrique, 37 milliards à la production de biométhane, 56 milliards à l’efficacité énergétiqu­e et au déploiemen­t des pompes à chaleur et, enfin, 41 milliards à l’adaptation des processus industriel­s à une économie bas carbone. Ces investisse­ments doivent notamment permettre aux filières industriel­les de monter en puissance en s’appuyant sur de nouvelles chaînes d’approvisio­nnement.

Evoqué dans les grandes lignes pour la première fois le 8 mars dernier, le plan REPowerEU doit désormais être débattu et approuvé par les chefs des Etats membres lors du prochain Conseil européen, qui se tiendra les 30 et 31 mai prochains.

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(Crédits : FRANCOIS LENOIR)

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