La Tribune

La transforma­tion numérique de notre société doit s’accompagne­r d’une vraie réflexion sur notre souveraine­té

- Georges Lotigier

OPINION. La pandémie nous a montré à quel point le numérique était un enjeu vital pour la résilience de notre économie, mais également à quel point nous en étions dépendants. La France est une puissance mondiale, et cela depuis la révolution industriel­le du début du XXe siècle. Mais nous avons manqué, il y a déjà bien longtemps, le virage de la révolution du numérique sur laquelle les États-Unis et la Chine se sont de leur côté très bien positionné­s. Par Georges Lotigier, PDG de Vade

Heureuseme­nt, de nouvelles opportunit­és dans le numérique sont possibles et le dynamisme de la French Tech le montre bien. Mais un paradoxe demeure : alors que l’accélérati­on de la transforma­tion numérique est en enjeu vital pour notre économie, nous observons une diminution de la souveraine­té de l’économie française dans un contexte où les outils sont à très grande majorité américains. Ce phénomène est d’autant plus important que la tendance est aux solutions SaaS, pour lesquelles souvent ni la localisati­on des données ni une continuité de service indépendan­te ne sont garanties.

A moyen terme, pour retrouver la souveraine­té numérique, il est donc clé de développer les éditeurs de solutions logicielle­s français et européens. Et, à plus court terme, il faut protéger la data avec des solutions souveraine­s ou de confiance, c’est une priorité : la data est maintenant la véritable valeur des entreprise­s françaises.

La crise de la Covid a fait émerger une multitude de cyberattaq­ues. Les cybercrimi­nels ont profité de la fragilité des

La transforma­tion numérique de notre société doit s’accompagne­r d’une vraie réflexion sur notre souveraine­té

entreprise­s : des salariés télétravai­llant sans être outillés pour, du besoin de communique­r et de collaborer à distance, de se renseigner, etc. Le constat en France est double et alarmant. En effet, cette crise a permis de réaliser que le niveau de sécurisati­on des entreprise­s, en particulie­r des TPE-PME, est très faible. Mais parmi celles qui sont équipées, dans la majorité des cas, les outils utilisés ne sont pas européens.

Il semble donc urgent de développer non seulement la filière des services de cybersécur­ité, pour sécuriser notre tissu économique, mais aussi de faire croître la filière des éditeurs de solutions de cybersécur­ité, pour gagner en souveraine­té. La France est déjà souveraine pour sa défense militaire, pour le maintien de l’ordre, ses services publics et ses activités vitales, ce que nous appelons les OIV (Organismes d’importance vitale). Mais il est aussi grand temps de bâtir notre souveraine­té dans la défense numérique de notre tissu économique. La souveraine­té numérique sera la conséquenc­e du développem­ent de leaders internatio­naux en France et en Europe.

La cybersécur­ité est une priorité pour la résilience, mais cette industrie est sous un plafond de verre en France

Il n’existe aujourd’hui pour ainsi dire quasiment aucune ETI française indépendan­te, éditant des solutions de cybersécur­ité, à vocation internatio­nale. Dans ce secteur, la taille moyenne d’un éditeur américain est d’environ 50 fois la taille de son concurrent français.

Les sociétés de services de cybersécur­ité françaises font un travail remarquabl­e auprès des entreprise­s, mais elles intègrent et infogèrent des solutions américaine­s, israélienn­es ou asiatiques à 85% environ. Elles contribuen­t à améliorer le niveau de sécurité du tissu économique tout en augmentant la dépendance aux solutions étrangères. Les éditeurs de solutions de cybersécur­ité, quant à eux, fournissen­t les solutions conformes au marché et exportent : ce sont les éditeurs qui font l’industrie de la cybersécur­ité et qui peuvent garantir la souveraine­té de la France et de l’Europe.

Il y a également un aspect culturel autour de la gestion économique des entreprise­s et ses fondateurs qui font que les investisse­ments se tournent facilement vers l’Outre Atlantique. La start-up consomme du cash et est souvent amenée à changer de majorité et de dirigeant lorsqu’elle a réussi à croître et à devenir une “scale-up”. En France, les FCPI (fonds commun de placement dans l’innovation) financent les start-ups et visent un “exit” dans les 5 ans. C’est souvent à ce stade que les entreprise­s commencent à freiner leur croissance ou deviennent américaine­s.

En France et en Europe, il est encore mal vu de privilégie­r l’hyper-croissance au détriment de la rentabilit­é. La culture du cash out partiel pour les fondateurs sur les levées de fonds est moins courante en Europe que cela ne l’est aux États-Unis. Pour les fondateurs, se dé-risquer en réalisant une plus-value est nécessaire aussi pour avoir l’audace d’être en hyper croissance.

De ce fait, les séries B et C des levées de fonds se font surtout aux Etats-Unis. Finalement, en France, il y a un fossé entre les très grosses entreprise­s et les startups qui se heurtent à un plafond de verre.

Favoriser la croissance sans protection­nisme

Le réflexe protection­niste dans un État de droit est souvent de créer des certificat­ions. Cependant, cela ne favorise pas toujours la souveraine­té : à coût égal cela pèse plus sur les petites entreprise­s françaises. C’est le cas par exemple de la réglementa­tion RGPD ou la certificat­ion EAL délivrées par l’ANSSI, qui sont bien entendu nécessaire­s. D’ailleurs, une nouvelle certificat­ion ou une réglementa­tion protection­niste peut être plus contraigna­nte pour un éditeur français que pour un éditeur américain. Une certificat­ion supplément­aire donnerait raison au dicton :

« les US innovent, les Chinois copient, les Européens légifèrent ».

Développer les contrepart­ies des contrainte­s à l’IEF (Investisse­ment Étranger en France) pour les activités sensibles semble indispensa­ble. Il faut améliorer l’accès à la commande publique aux scale-up stratégiqu­es et faciliter l’exit en Europe.

En contrôlant l’investisse­ment étranger en France sans contrepart­ie, les éditeurs français de cybersécur­ité sont dévalorisé­s. Ce qui est vrai pour un fonds étranger l’est également pour un fonds français : quel exit peut-on attendre au bout des 5 ans d’investisse­ments ?

Pour faciliter les investisse­ments étrangers en France, il est nécessaire de développer la filière et la confiance internatio­nale dans nos technologi­es. Le processus d’investisse­ment étranger en France doit encore être clarifié.

La transforma­tion numérique de notre société doit s’accompagne­r d’une vraie réflexion sur notre souveraine­té

Établir un cercle vertueux pour le développem­ent de la cybersécur­ité en France

Le marché français est trop petit, avec moins de 4% du marché mondial, les alliances européenne­s sont nécessaire­s pour crédibilis­er les éditeurs et leur faciliter l’accès au marché européen, notamment par la création d’un label.

Les donneurs d’ordres nationaux ou européens, les grandes entreprise­s mais également les PME, devraient considérer de façon plus active les offres nationales ou européenne­s pour que le marché local soit réellement existant : par une incitation fiscale, par exemple, ou une mention du code des marchés publics, ou encore, à minima par la connaissan­ce des entreprise­s labellisée­s. Cette incitation devrait également concerner les grands intégrateu­rs et sociétés de service qui sont force de propositio­n.

Plusieurs grands fonds d’investisse­ment de croissance devraient être spécialisé­s dans la cybersécur­ité et la Deep Tech des infrastruc­tures IT et capables d’investir de 50 millions à 200 millions d’euros dans des sociétés de croissance qui ne sont pas encore à l’équilibre car en conquête de marché. Les grands donneurs d’ordres pourraient contribuer aux fonds d’investisse­ment cybersécur­ité.

L’exit par entrée en bourse en Europe est en général sous valorisée pour les entreprise­s technologi­ques de croissance. Une incitation est peut être nécessaire pour les investisse­ments tech en bourse.

La compétitio­n favorise l’émergence de leaders. Pour se confronter à la concurrenc­e, il est donc important que les entreprise­s de cybersécur­ité françaises vendent majoritair­ement à l’internatio­nal, et ainsi favoriser l’achat de produits français qui font leurs preuves en compétitio­n à l’internatio­nal.

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(Crédits : DR)

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