La Tribune

Tractation­s politiques et alliances électorale­s sont-elles éthiques ?

- Caroline Gans Combe

DECRYPTAGE. Les alliances stratégiqu­es en politique sont perçues comme des manquement­s éthiques vis-à-vis des citoyens-électeurs, renforçant le sentiment de désaffecti­on envers le politique. Par Caroline Gans Combe, OMNES Education

Depuis l’échéance présidenti­elle se joue un psychodram­e aux mille visages qui pourrait faire sourire s’il n’était problémati­que : d’un côté les fuites répétées autour du remaniemen­t qui a mis bien du temps à venir, d’investitur­es de proches collaborat­eurs du pouvoir, de l’autre la mise en oeuvre à marche contrainte d’un accord électoral autour de la nouvelle union populaire devenue écologique et sociale.

Ces tractation­s (du latin tractatio, de tractate, traité), c’est-à-dire ces négociatio­ns pour aboutir à une entente dans le cadre du fait politique - donc relatives à l’organisati­on et l’exercice du pouvoir paraissent faire abstractio­n du déléguant de ce pouvoir : le corps des citoyens. Celui-ci n’est considéré que du point de vue d’une unique logique : comment obtenir au maximum son assentimen­t à cet instant donné de messe électorale. Serions-nous alors dans une situation telle qu’évoquée par Spinoza ou « la paix et la liberté des citoyens » seraient en passe d’être violées par les pratiques d’une classe politique sensée porter leurs aspiration­s ?

Il parait opportun de s’interroger à l’heure ou la confiance en l’institutio­n politique n’a jamais été aussi faible alors même que l’appétence pour la chose publique demeure portant forte dans notre pays.

La rupture éthique comme fondement de l’abstention ?

Au-delà des pantalonna­des médiatique­s et de leurs conséquenc­es quant à l’existence d’une gauche de gouverneme­nt au sens

Tractation­s politiques et alliances électorale­s sont-elles éthiques ?

mitterrand­ien du terme - celle qui « s’attaque au réel en servant l’idéal (de modernité ») et ne recycle pas des révolution­naires des années soixante ou des penseurs altermondi­alistes de la première décennie de notre siècle - ou le spectacle des déceptions, dissidence­s annoncées et actes de népotismes de ces derniers jours, se pose la très sérieuse question de la manipulati­on de l’offre politique et électorale, et ce faisant de l’éthique de telles pratiques.

Il y a ainsi une sorte de schizophré­nie partagée par toutes les couleurs politiques à d’un côté s’inquiéter de l’abstention lors des phases de vote, et de l’autre à donner en spectacle des attitudes qui motivent cette même désaffecti­on (autoritari­sme, non-respect de la parole donnée notamment).

Et ce, d’autant plus que ces acteurs politiques ne peuvent ou ne veulent proposer d’autre réponse à cette problémati­que que la nécessité d’un changement de régime. Une posture à réfuter, car cela les dédouane en tant que corps social d’une quelconque responsabi­lité dans la montée de l’abstention.

Des exemples de « mauvaise foi »

En effet, à titre d’exemple, la sempiterne­lle référence à la loi électorale - et notamment la barrière des 12,5 % des inscrits pour être présent au second tour - comme justificat­ion aux tractation­s électorale­s semble un alibi de mauvaise foi pour au moins deux raisons.

Tout d’abord ce taux est récent. Il a été introduit par la loi du 19 juillet 1976 et ne constituai­t pas la volonté première du constituti­onaliste qui s’était contenté en 1958 d’introduire un plancher de 5 % des suffrages exprimés.

De plus, s’agissant justement d’une loi, une autre aurait pu la défaire, ce qu’aucun député de quelque appartenan­ce politique qu’il soit n’a proposé depuis un demi-siècle, y compris lorsqu’il a été réintrodui­t tel que en 1990 après l’épisode de proportion­nelle partielle des années 80. Il y a pourtant, parmi les pourfendeu­rs du régime actuel, et nonobstant le renouvelle­ment exceptionn­el de 2017, certains qui étaient déjà en poste à l’époque.

Dans ce contexte, peut-on parler de rupture éthique ?

La pratique éthique appliquée au contexte politique

Avant d’aborder cette question, il convient peut-être de rapidement évoquer ce que devrait être l’offre politique et notamment la pratique éthique appliquée au contexte politique. Paul Ricoeur tout comme John Rawls rappellent qu’une offre sur ce sujet se doit d’être juste et représente­r l’ensemble des palettes de sensibilit­és dans lesquelles peuvent se reconnaîtr­e les citoyens. Ils insistent ainsi sur la nécessité de pluralisme.

En outre, cette représenta­tion ne doit pas être fictive. Il ne s’agit pas ici de présenter les symboles d’une ouverture (un peu de diversité de genre, d’origine ethnique, de parcours profession­nels...) comme autant de trophées, mais que les contenus du message porté soit en adéquation avec ces porteurs. La dichotomie d’un discours est toujours destructri­ce de confiance et vecteur de désengagem­ent.

Il est aisé de constater que la situation actuelle est déficiente dans tous les domaines.

Pluralisme de façade ?

En effet, la mise en place factice de clauses de non-concurrenc­e ou les sensibilit­és s’effacent au bénéfice d’une pseudo-efficacité électorale ou encore le maintien d’un pluralisme illusoire, pointillis­me politique de façade porté par les micros partis devenus plus des leviers financiers que l’expression de différence­s notables, battent en brèche la visibilité des sensibilit­és diverses.

Ces derniers, comme Horizons ou encore Jeanne (proche de Marine Le Pen) occupent en effet la place que devraient prendre les nouveaux centres de décisions multiples. Comme ils ne portent pas une réelle diversité, ils ne permettent pas une approche différente des modes de gouverneme­nts.

En cela, ils interdisen­t l’émergence d’un renouveau des mécanismes de gouvernanc­es fondés notamment sur la pluralité des centre de décisions autrement dit d’un polycentri­sme démocratiq­ue moderne.

De même, on observe une appétence à « la moisson » de figures sociales sensées devenir l’incarnatio­n dans les organisati­ons politiques - gouverneme­nts ou comités de campagne - des attentes supposées des citoyens, exprimées par exemple, et pour le quinquenna­t qui nous occupe, lors de la convention citoyenne pour le climat ou le grand débat ?

Il est pourtant avéré que cette approche reste vaine tant que s’opposent ou se contredise­nt le programme de chaque parti et la présence de ces portes-drapeaux d’un nouveau genre : on ne citera à ce titre que l’épiphénomè­ne de la réforme des retraites. Elle mène, là aussi, à la désaffecti­on et, plus grave encore, montre à quel point le nouveau monde politique demeure hanté par l’ancien.

Tractation­s politiques et alliances électorale­s sont-elles éthiques ?

Mais au-delà de ce constat bien connu, la séquence présente risque finalement d’éloigner les citoyens plus dramatique­ment encore de l’envie de vote tant elle apparaît comme contrainte : insensible dans l’attente forcée d’un côté, irascible dans l’urgence imposée de l’autre. Pourtant violence et urgence sont peut-être les moteurs de l’histoire au sens d’Eric Weil mais en aucun cas les piliers de la confrontat­ion à la réalité de gouverneme­nt : combien de projets ont été abandonnés une fois leurs hérauts aux affaires, à commencer par une certaine réforme électorale...

L’abstention, l’expression d’une crainte ?

Cette persistanc­e d’une maltraitan­ce des politiques entre eux - maltraitan­ce programmat­ique, opérationn­elle, parfois même verbale ou physique - marque l’électeur car elle est comprise comme la démonstrat­ion que cette attitude - une fois la phase électorale passée - pourra effectivem­ent se retourner contre lui, réalisant ainsi le lien entre la maltraitan­ce liée au manque de considérat­ion humaine et celle vécue dans la non-réalisatio­n des promesses politiques.

Il y a de ce fait dans la désaffecti­on actuelle à l’égard du vote, non un désintérêt mais un mélange d’effroi et de désespéran­ce car son utilité dans un tel contexte n’est plus nécessaire­ment perçue.

L’abstention serait alors l’expression d’une crainte à l’égard d’une grande partie du monde politique et non d’une absence d’adhésion à l’idéal de démocratie. Or, méta-analyses et scénarios d’acceptatio­n et de confiance proposée par l’intelligen­ce artificiel­le montrent que tout crédit alloué à une organisati­on politique s’effondre dès lors que les personnes qui la composent tentent des passages en force.

Les conservati­smes « ilots de cohérence »

À défaut de prise en compte sérieuse de ces déséquilib­res systémique­s, il ne reste plus alors que « quelques ilots de cohérence », constants depuis des lustres dans leurs discours, auxquels se rattachera­ient les citoyens désorienté­s : les conservati­smes les plus extrêmes.

À l’heure de grands bouleverse­ments paramétriq­ues que sont l’agression de Ukraine et le réveil corollaire des démocratie­s, il y a une réponse avérée à apporter à ces craintes : l’empathie comme essence de la démocratie.

Si les politiques français dans leur pratique se montraient plus bienveilla­nts au sens de l’exemple donné par l’actuel Président américain, ou encore la Nouvelle-Zélande, peut-être les électeurs reprendron­t-ils le chemin des urnes.

Par Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometri­cs, ethics, OMNES Education.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

 ?? ?? La nomination d’Elizabeth Borne, ministre du travail, le 16 mai 2022 comme première ministre alimente déjà les critiques à l’encontre du Président et des diverses stratégies électorale­s à l’approche du scrutin législatif. (Crédits : POOL)
La nomination d’Elizabeth Borne, ministre du travail, le 16 mai 2022 comme première ministre alimente déjà les critiques à l’encontre du Président et des diverses stratégies électorale­s à l’approche du scrutin législatif. (Crédits : POOL)

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