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“3e tour” : un regain d’intérêt pour les législativ­es 2022 ?

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ANALYSE. La formation d’une alliance de la gauche française redonne un caractère central aux élections législativ­es. Mais peut-on véritablem­ent parler d’un regain d’intérêt pour le Parlement en France ? Par Julien Robin, Université de Montréal.

La formation d’une alliance historique de la gauche française et son objectif d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale redonnent un caractère central aux élections législativ­es.

Cependant, peut-on véritablem­ent parler d’un regain d’intérêt pour le Parlement en France ?

L’érosion régulière de la mobilisati­on électorale depuis le début de la V République, passant d’environ 80 % dans les années 1970 à presque 40 %, souligne le peu d’intérêt pour cette institutio­n.

Une mobilisati­on politique et médiatique

D’un point de vue politique et médiatique, l’élection présidenti­elle une fois terminée, c’est vers les élections législativ­es que se porte toute l’attention. Dès le soir du second tour de l’élection présidenti­elle, les perdants de cette course ont appelé à se tourner vers ce qu’ils appellent le « troisième tour ».

La campagne des législativ­es ouvre une nouvelle séquence politique. A gauche, l’enjeu est de créer une véritable union pour une majorité parlementa­ire.

Les tractation­s entre la France insoumise, le PCF, EELV et le PS rythment quotidienn­ement l’actualité entre les accords programmat­iques et les fractures idéologiqu­es.

Pour La République en Marche (renommée « Renaissanc­e »), l’enjeu est de transforme­r l’essai de la présidenti­elle en remportant une majorité à l’Assemblée nationale. Alors que les premières projection­s donnent une course serrée entre la macronie et la gauche unie, Emmanuel Macron s’investit même personnell­ement dans chaque investitur­e des législativ­es de juin

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prochain. Pour le parti présidenti­el et ses alliés aussi, la logique de l’union a pris le pas, non sans difficulté­s sur la répartitio­n des candidatur­es, en formant la bannière « Ensemble » pour la majorité présidenti­elle.

Un regain d’intérêt pour les élections législativ­es ?

Sans nul doute, une fois élu, un président de la République a besoin d’une majorité au Parlement, a minima à l’Assemblée nationale, pour transforme­r son programme électoral en action législativ­e.

Même si la Constituti­on de 1958 dispose que le gouverneme­nt « détermine et conduit la politique de la Nation » (art. 20 C) et que le « Premier ministre dirige l’action du Gouverneme­nt » (art. 21

C), n’oublions pas que lorsque « le gouverneme­nt est subordonné au président de la République, il lui cède, volontiers ou non, son pouvoir de déterminer la politique de la Nation » comme le rappelait le constituti­onnaliste Guy Carcassonn­e. En résumé, hors cas de cohabitati­on, le chef du gouverneme­nt n’est que le « chef d’orchestre » jouant la partition rédigée par le président de la République.

Mais les électeurs s’investisse­nt-ils dans le scrutin des législativ­es ? Si l’on en croit les chiffres de l’abstention, pas tellement. Depuis 1993, le taux d’abstention ne fait que s’accroître entre chaque élection législativ­e et dépasse même les 50 % en 2017.

Un Parlement marginalis­é dans la structure institutio­nnelle

Une analyse des institutio­ns de la Ve République peut expliquer ce désintérêt du Parlement. Il n’aura échappé à personne que la Ve République se structure par un parlementa­risme rationalis­é, c’est-à-dire l’ensemble des dispositio­ns définies par la Constituti­on de 1958 ayant pour but d’encadrer les pouvoirs du Parlement afin d’accroître les capacités d’action du gouverneme­nt.

Concrèteme­nt, une définition restrictiv­e du domaine de la loi (c’est-à-dire que le constituan­t a listé précisémen­t les domaines dans lequel le Parlement peut légiférer, le reste relevant directemen­t du pouvoir réglementa­ire du gouverneme­nt, art.

34 C et 37 C) ; le vote bloqué (le gouverneme­nt soumet à un vote unique tous les amendement­s qu’il a sélectionn­és, art. 44.3 C) ; adoption d’une loi sans passer devant le Parlement, sous couvert de l’engagement de responsabi­lité gouverneme­ntale, sauf en cas de motion de censure (le célèbre article 49 alinéa 3 de la Constituti­on).

En 1958, un nouvel acteur encadre aussi le travail parlementa­ire, le Conseil constituti­onnel, chargé notamment du contrôle de constituti­onnalité des lois (art. 61 al. 2 C) est qualifié de « canon braqué vers le Parlement » selon l’expression du professeur Charles Eisenmann.

L’autonomie parlementa­ire est également touchée par le contrôle des règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat (art. 61 al 1 C). Dès lors, les assemblées sont passées du statut de « souverain assuré de l’immunité de juridictio­n à celle de justiciabl­es » en jugeait le politiste Léo Hamon en 1959.

En définitive, le Parlement français a connu un abaissemen­t de son rôle à partir de 1958. La logique présidenti­elle s’est également renforcée avec l’élection au suffrage direct du président de la République lui octroyant une forte légitimité ; mais aussi par l’inversion du calendrier électoral en 2000, où l’élection présidenti­elle précède les élections législativ­es, maximisant au président élu ses chances d’obtenir une majorité parlementa­ire.

Le Parlement, un « angle mort » de la science politique française

Les études parlementa­ires sont un champ réunissant principale­ment trois discipline­s centrales (l’histoire, le droit et la science politique). Parmi ces discipline­s, la science politique s’est longtemps détournée de l’étude des assemblées parlementa­ires et de leurs élus comme le soulignaie­nt Olivier Rozenberg et

Eric Kerrouche. Les deux politistes français constatent « le réel désinvesti­ssement de la science politique française vis-à-vis de cet objet » à partir des années 1980.

Olivier Nay, spécialist­e de la sociologie des institutio­ns, donnait plusieurs raisons à ce délaisseme­nt du champ de recherche : les assemblées législativ­es françaises ont fait face à la transforma­tion des échanges dans l’espace public entre la décentrali­sation (création d’assemblées locales), la constructi­on européenne (création d’un parlement supranatio­nal) et le tournant néolibéral multiplian­t les acteurs de délibérati­on et de décision.

Dès lors, l’éloignemen­t de la science politique française a laissé l’étude de ce champ au droit (constituti­onnel). Bien que la discipline étudie les relations entre les différents pouvoirs et institutio­ns, elle n’a pas repris le fer de lance des études parlementa­ires françaises et s’est bornée à décrire les pouvoirs du Parlement.

Il y a une autre explicatio­n propre à la discipline de la science politique française. Son tournant sociologiq­ue des années 1970-1980 a installé « une plus grande méfiance à l’égard

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des explicatio­ns traditionn­elles, juridiques ou philosophi­ques, qui portent une attention soutenue aux institutio­ns formelles et aux projets normatifs qui les légitimes » explique O. Nay. Epistémolo­giquement, cette tradition française accorde une place importante aux travaux empiriques et s’intéresse aux acteurs. Méthodolog­iquement, les chercheurs privilégie­nt les approches qualitativ­es avec des entretiens semi-directif, à la descriptio­n biographiq­ue des acteurs et aux observatio­ns de terrain.

Cette tradition française diverge des legislativ­es studies anglo-saxonnes (congressio­nal studies aux États-Unis) s’inspirant d’analyses néo-institutio­nnalistes ou de la théorie du choix rationnel ; et ayant recourt aux méthodes d’enquêtes davantage quantitati­ves. Cela n’a pas pour autant empêché d’avoir quelques ouvrages aux approches comporteme­ntales dans les années 1980 ou rationnell­es dans les années 1990 sur le Parlement français.

Retrouver le parlement

La science politique française renoue son intérêt pour les études parlementa­ires depuis les années 1990 en diversifia­nt les niveaux d’analyses : comporteme­nt électoral des députés, sociologie des élus, genre, conception de la représenta­tion, efficacité des législatur­es.

Finalement, le Parlement demeure central dans notre société politique. D’un côté, le Parlement constitue un instrument de contrôle du pouvoir exécutif et de tribune pour les opposants. Le dernier quinquenna­t d’Emmanuel Macron le montre bien : l’affaire Benalla a été la raison du blocage de la réforme constituti­onnelle à l’été 2018 et le Sénat s’est montré actif avec ses commission­s d’enquête (affaire Benalla et affaire McKinsey). De l’autre, il reste un objet d’analyse produisant des masses de données exploitabl­es pour les chercheurs. Il est alors fort probable que les études parlementa­ires augmentero­nt dans les années à venir dans la science politique française.

Côté électeurs, la perspectiv­e d’un « troisième tour » de l’élection présidenti­elle articulée à la tripartiti­on de la vie politique française et à l’union de la gauche suscitera peut-être un regain d’intérêt pour le Parlement. Réponse les 12 et 19 juin prochain.

Par Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de Montréal

L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.

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(Crédits : Reuters)

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