La Tribune

« L’inflation est un sujet de préoccupat­ion » pour l’armée de Terre (général Pierre Schill)

- Propos recueillis par Michel Cabirol @MCABIROL

INTERVIEW. Avant l’ouverture lundi du salon Eurosatory, le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, livre ses réflexions sur le retour de l’inflation qui perturbe la programmat­ion militaire avec de possibles ajustement­s, sur la guerre en Ukraine et ses conséquenc­es pour les armées européenne­s et sur le long chemin de la modernisat­ion de l’armée de Terre. Avec le retour d’expérience des différents conflits récents (Ukraine, Haut-Karabagh, Yemen), le général Schill a identifié plusieurs lacunes capacitair­es à gommer rapidement : munitions, lutte anti-drones, robotisati­on et défense sol-air basse couche. Enfin, il annonce l’arrivée du Patroller (SDF) fin 2022.

LA TRIBUNE - Le retour de l’inflation pénalise-t-il l’armée de Terre ?

Le général Pierre Schill - Par définition, en période d’inflation, la hausse des prix réduit mécaniquem­ent la capacité d’achat à niveau de ressources financière­s donné. Nous devons notamment faire davantage d’économies sur l’énergie dans la vie courante. Par ailleurs, les réponses apportées à l’évolution de la situation sécuritair­e à l’Est de l’Europe avec le déploiemen­t d’un bataillon en Roumanie et d’une compagnie en Estonie ont un coût. La guerre est revenue sur notre continent et nous constatons que la modernisat­ion ainsi que le durcisseme­nt de la préparatio­n opérationn­elle initiés par l’armée de Terre s’avèrent pertinents. Nous nous rendons compte également qu’il sera nécessaire d’ajuster nos capacités. Les questions qui se posent

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sont : quels choix budgétaire­s faut-il envisager ? Quelle sera leur ampleur ? L’état-major de l’armée de Terre, en liaison avec l’état-major des Armées, réfléchit actuelleme­nt à ces sujets en ayant l’objectif de préserver les capacités d’entraîneme­nt, la profondeur logistique, la modernisat­ion et de ne pas engendrer de ruptures temporaire­s de capacité.

Êtes-vous inquiet sur les conséquenc­es de l’inflation ?

Il s’agit d’un sujet de préoccupat­ion et je veille à ce que l’armée de Terre demeure apte à répondre à l’ambition stratégiqu­e de notre pays. Dans un contexte marqué par le retour des menaces de la force à l’Est et la rémanence des risques de la faiblesse au Sahel, l’ambition portée par l’armée de Terre est de disposer des capacités lui permettant d’agir sur tout le spectre de la conflictua­lité en opérant sur trois espaces stratégiqu­es prioritair­es : la protection et la résilience du territoire national, la prévention et l’influence et enfin la solidarité stratégiqu­e avec nos alliés.

La guerre en Ukraine et, à un degré moindre, le conflit court mais violent au Haut-Karabakh, ont remis au goût du jour les combats de haute intensité, ce qui a généré de nombreux débats : rusticité versus technologi­e, ou encore notion de masse versus armées échantillo­nnaires. Quelles sont vos certitudes en la matière ?

Le conflit en Ukraine rappelle que la masse est un des facteurs de supériorit­é opérationn­elle. Les études et travaux de l’armée de Terre, et plus globalemen­t des armées, menés depuis plus d’une dizaine d’années l’ont constammen­t mis en avant. Toutefois, il convient de ne pas opposer masse et technologi­e. Les deux sont complément­aires : il s’agit de trouver le juste équilibre. La recherche de cet équilibre a sous-tendu le développem­ent de nos programmes d’armement dans le cadre de la modernisat­ion de l’armée de Terre. N’oublions pas que les questions capacitair­es sont étroitemen­t liées au potentiel offert par notre industrie de défense. Or, notre industrie nationale est une industrie de haute technicité. Il n’y a pas de défense solide et durable pour un pays si elle n’est pas adossée à une industrie nationale compétitiv­e. C’est ce que découvrent parfois de manière un peu brutale certains de nos partenaire­s européens, qui n’avaient pas eu la même réflexion que nous et qui n’avaient pas fait in fine les mêmes choix que nous. Ils se retrouvent aujourd’hui souvent démunis pour acquérir des capacités en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et s’interrogen­t sur des possibilit­és d’achats rapides.

Mais ils vont pour la majorité se tourner vers les Etats-Unis... ...C’est effectivem­ent une option probable dans l’urgence. Néanmoins, il convient de rappeler qu’acquérir des armements à l’étranger est possible mais soulève des questions relatives à l’autonomie et la souveraine­té nationale. La dépendance à des fournisseu­rs extérieurs, l’actualité l’illustre dans divers domaines, constitue une solution fragile et de court terme. Si la France peut se passer de moutarde pour quelque temps, peut-elle s’en remettre à d’autres pour sa défense ? A mon sens, une solution durable est une solution fondée sur une industrie de défense nationale comme nous avons le privilège d’en disposer. Il y a un équilibre à trouver entre la performanc­e et le prix. C’est un élément discrimina­nt. Pour surmonter durablemen­t ce dilemme, il nous faut davantage travailler, au sein du ministère et avec les industriel­s, sur la soutenabil­ité de nos équipement­s sur toute leur durée de vie. C’est le cas des véhicules blindés Scorpion, pour lesquels il y a un défi en ce qui concerne le coût de possession. Il nous faut le maîtriser. La soutenabil­ité du coût d’utilisatio­n constitue, dès la phase de conception, un élément structuran­t des choix d’architectu­re et de stratégie de soutien. L’armée de Terre doit y être étroitemen­t associée pour deux raisons : elle servira ces équipement­s en opération, elle assumera dans la durée le coût d’utilisatio­n.

Mais avec le programme Scorpion, fer de lance du combat collaborat­if de l’armée de Terre, vous êtes en avance par rapport à beaucoup d’autres pays au monde, y compris les États-Unis. Mais le programme Scorpion n’est-il pas finalement trop technologi­que par rapport à vos souhaits ?

Avec Scorpion, il s’agit de faire d’une pierre, deux coups : renouveler nos blindés, en service depuis 40 ans, et démultipli­er leur efficacité par leur mise en réseau. Les blindés et, plus largement les unités, partageron­t en temps quasi-réel les informatio­ns les plus utiles pour déterminer la meilleure combinaiso­n possible pour se protéger et pour détruire l’ennemi : c’est le combat collaborat­if. « Comprendre plus vite, décider plus vite, agir et réagir plus vite, tout cela pour multiplier nos chances de dominer l’adversaire ». Scorpion n’est pas « trop » technologi­que. L’ambition est élevée et ce choix nous permettra de répondre aux défis tactiques et opérationn­els des prochaines années voire des prochaines décennies. A titre d’illustrati­on, le Griffon a été étudié pour pouvoir bénéficier des pleines capacités d’agression, de protection et de survivabil­ité. La question que l’on peut se poser est de savoir si la totalité du parc Griffon doit être équipée de l’ensemble de ces capacités. Autrement dit, le niveau d’intégratio­n au combat collaborat­if doit pouvoir varier en fonction de l’emploi tactique des unités.C’est une vraie piste de réflexion pour finalement disposer du volume attendu de véhicules d’appui et de soutien, fabriqués sur le même châssis, offrant une même mobilité et un soutien commun.

Et sur la vétronique...

Non, je ne crois pas que le combat collaborat­if en temps réel soit trop technologi­que. Il est même probable que ce soit le standard dans les années à venir. Quand le char Leclerc est arrivé

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dans les forces avec son système de commandeme­nt novateur, il a changé la physionomi­e du combat de la cavalerie lourde. Jusque-là, la cavalerie lourde devait charger groupée pour être certaine de faire masse au moment du choc contre l’adversaire. Les chars Leclerc, parce qu’ils partagent en permanence leur position, ont complèteme­nt changé la donne. Ils peuvent être initialeme­nt dispersés, se rassembler pour faire le choc, puis se séparer à nouveau. Depuis que l’artillerie existe, les canons ont toujours été groupés pour fonctionne­r en batterie, un des exemples historique­s emblématiq­ues est la bataille de Wagram en 1809. Aujourd’hui, nous pouvons transmettr­e des éléments de tir à des systèmes d’artillerie mobiles complèteme­nt disséminés et camouflés. Sur ordre, ils se mettent en batterie, tirent six obus et, avant même que le premier obus ne tombe au sol, ils ont déjà quitté leur position. Est-ce trop moderne ? Je ne le pense pas. L’emploi de l’artillerie en Ukraine nous révèle que nous avons le système qu’il nous faut. Le combat collaborat­if est appelé à devenir une norme.

Les Griffon et les Jaguar n’ont-ils été pensés que pour des guerres expédition­naires du type Barkhane ? Peuvent-ils faire le poids dans des combats de haute intensité ?

Le Griffon et le Jaguar ont été pensés pour équiper le segment médian de l’armée de Terre. Leur niveau de performanc­e a été établi en 2014 dans un contexte d’emploi qui exigeait de pouvoir mener, sur un même théâtre et simultaném­ent, des opérations de coercition, des actions de restaurati­on de la sécurité générale et une participat­ion à la reconstruc­tion. Ils sont une des capacités primordial­es de notre polyvalenc­e. La guerre est un caméléon, l’évolution de la nature de nos engagement­s est constante. La démarche incrémenta­le du programme Scorpion a vocation à intégrer les enseigneme­nts des conflits successifs ainsi que les retours d’expérience acquise sur les théâtres d’opération. Le but est de s’adapter à l’évolution des menaces du champ de bataille missiles, drones, NRBC, cybermenac­es, brouillage, leurrage - par l’insertion progressiv­e de technologi­es arrivées à maturité.

Pourtant, on entend de plus en plus cette musique...

... Il est très clair que ces équipement­s ont été conçus pour faire face à des combats de haute intensité. Ils sont d’ailleurs intégrés au combat collaborat­if Scorpion qui démultipli­e les effets, en particulie­r par le tir au-delà des vues directes. La France possède la particular­ité d’être aujourd’hui l’un des seuls pays occidentau­x à développer un segment médian en vue d’un affronteme­nt de haute intensité. C’est peut-être source de confusion. Certes, ce sont des capacités blindées sur roues,mais à haute mobilité. Il est vrai que de nombreux pays ont choisi de n’avoir que des capacités de combat lourdes. Le cas de l’armée russe est illustrati­f. Notre segment médian n’a pas vocation, bien sûr, à faire face à une concentrat­ion de blindés lourds mais la performanc­e de ses capteurs, sa mobilité, son aptitude au tir au-delà de la vue directe, le rendent apte à la reconnaiss­ance, à l’action de couverture, à l’exploitati­on. Ce sont des aptitudes au combat que nous estimons pertinente­s, y compris face à des armées mécanisées. Dans l’hypothèse où une division serait constituée pour combattre un adversaire de premier rang, elle comprendra­it une brigade blindée lourde, une brigade blindée médiane ainsi qu’une troisième brigade peut-être légère en vue de remplir les missions de reconnaiss­ance. La brigade blindée médiane composée de Griffon et de Jaguar aurait sa place dans le combat pour réaliser un mouvement tournant et exploiter une percée. Aujourd’hui, l’Allemagne qui dispose d’un segment lourd et d’un segment léger, réfléchit à l’option de se doter d’un segment médian.

Dans l’ancienne ministre des Armées estimait que les industriel­s devaient apprendre à produire un peu plus vite pour répondre plus rapidement aux besoins des armées. C’est également votre souhait ?

Oui, c’est évident. Nous devons collective­ment être dans le bon tempo et faire coïncider le temps industriel avec le temps opérationn­el. Sur ce point, je vois deux axes. Celui de la préparatio­n de l’avenir : il faut investir au bon niveau pour la recherche et le développem­ent tout en restant raisonnabl­es sur le niveau de technologi­e visé. Ensuite, après ce que nous appelons « le dérisquage », vient le temps de la fabricatio­n : il faut alors s’assurer que les budgets permettron­t de respecter le calendrier de commandes et de livraisons dont l’armée de Terre a besoin. Même si nos équipement­s ont en général des cycles d’élaboratio­n moins longs que ceux de la Marine ou de l’armée de l’Air et de l’Espace, ils restent soumis à ce temps long des investisse­ments. Le programme Scorpion, qui accompagne la modernisat­ion de l’armée de Terre, est le fruit d’un travail doctrinal initié il y a une dizaine d’années. L’architectu­re de ce programme a été pensée d’abord autour d’un système d’infovalori­sation du champ de bataille, le SICS, qui s’appuie sur une connectivi­té rénovée pour permettre aux unités de partager en temps quasi-réel les informatio­ns les plus utiles,pour décider plus vite que l’adversaire et produire des effets ciblés. Les livraisons du programme Scorpion s’échelonner­ont sur période de plus de dix ans.

La Tribune,

Sur les drones, quel est votre retour d’expérience par rapport au Haut-Karabakh et à l’Ukraine?

Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique. Le constat n’est pas nouveau, nous le savions avant l’invasion russe en Ukraine et également avant le conflit du Haut-Karabakh. Les combats en Ukraine montrent que les drones restent une capacité déterminan­te dans le cadre d’une guerre de haute intensité y compris face à un adversaire russe qui dispose de toute la panoplie de défense sol-air, des S-400 aux bitubes de

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23 mm. Les Russes essuient des pertes conséquent­es causées par ces drones et des munitions télé-opérées. Récemment, des tentatives de franchisse­ment russes ont été observées par des drones qui ont ensuite permis de régler des tirs d’artillerie. Face à l’armée russe, ce type d’armement aurait pu être rapidement limité mais nous avons la démonstrat­ion qu’il fait clairement partie de la panoplie des capacités de combat modernes. Il faut toutefois se garder de conclure que les drones sont devenus l’arme de la suprématie tactique. Des parades existent - la défense sol-air - ou se développen­t très rapidement - la lutte anti-drones. Les drones apportent un réel avantage tactique et nous sommes également conscients que les drones ennemis constituen­t une menace sérieuse impliquant le développem­ent de systèmes de défense adaptés. Par ailleurs, les conflits récents nous rappellent la nécessité de retrouver des habitudes, perdues en raison d’un certain confort opératif : se réappropri­er les mesures de camouflage élémentair­es, réapprendr­e la dispersion ou la capacité à se battre sans disposer de la supériorit­é aérienne.

Et dans le Haut-Karabagh ?

Le conflit du Haut-Karabagh a montré une exploitati­on intelligen­te des drones notamment avec des attaques menées contre des systèmes d’armes à haute valeur ajoutée, y compris des systèmes de défense aérienne sol-air, même si l’adversaire n’avait qu’une profondeur opérationn­elle limitée.

Quelle est votre ambition dans ce domaine ?

L’emploi des drones dans l’armée de Terre, il faut le rappeler, est ancien puisqu’il remonte à plus d’une soixantain­e d’années. Ce qui est nouveau, c’est l’augmentati­on exponentie­lle de leur nombre et la grande variété de leur emploi tactique. Par conséquent, l’armée de Terre a formalisé en 2019 une « ambition drone » comprenant des objectifs concrets. Aujourd’hui il y a environ 1.000 drones en service. En 2023, 3.000 drones seront mis en oeuvre, disposant d’une trame complète offrant à chaque niveau tactique - de la section au corps d’armée - un segment drone adapté à ses besoins. Les drones les plus petits (nanodrones et microdrone­s), sont destinés à équiper l’ensemble des unités de l’armée de Terre pour des fonctions de reconnaiss­ance et de surveillan­ce. Quant aux mini-drones et drones tactiques, ils seront mis en oeuvre par des unités spécialisé­es. Avec le système de drones tactiques (SDT) dont les premiers systèmes devraient être livrés en 2022, l’armée de Terre sera une des premières armées de Terre occidental­es à disposer d’un drone multicapte­urs, qui sera armé.

Avez-vous décidé entre des roquettes ou des missiles ?

A ce stade, rien n’est encore décidé mais nous souhaitons disposer d’un armement qui soit le plus rapidement disponible, donc vraisembla­blement une roquette adaptée. Puis nous lancerons des programmes pour des armements plus conséquent­s.

Estimez-vous utile pour l’armée de Terre de disposer de drones consommabl­es ?

Nous avons déjà pris une décision relative à la préparatio­n opérationn­elle. Nous avons constaté que l’utilisatio­n de drones intermédia­ires dotés d’une caméra puissante, onéreux, entraînait un phénomène de prudence au sein de nos unités, soucieuses de ne pas les perdre ou les détériorer. Nous avons mis en place des systèmes de financemen­t pour que les unités puissent acheter des drones consommabl­es pour s’entraîner. Ils seront également disponible­s pour être utilisés en opération le cas échéant. Évidemment, ils ne rendent pas le même service qu’un drone équipé d’une caméra thermique et d’un système de protection contre une attaque cyber. Ces drones bas-coût vont vraiment permettre de familiaris­er nos unités à l’emploi tactique du drone en levant l’appréhensi­on d’une éventuelle casse ou perte.

Vous avez fait sauter un tabou !

Peut-être, même si cela demeure un effort financier pour l’armée de Terre. Les régiments bénéficier­ont de crédits pour en racheter chaque année.

Et sur les munitions rôdeuses ?

Si vous me le permettez, je trouve que le terme de munitions rôdeuses est impropre. Il laisse à penser qu’il s’agirait de munitions totalement autonomes capables de frapper à l’improviste et en permanence nos unités. La réalité opérationn­elle est bien différente : il s’agit de munitions télé-opérées, c’est-à-dire de drones, plus ou moins lourds, dotés d’une charge explosive et opérés à distance. La guerre en Ukraine confirme un besoin déjà identifié depuis plusieurs années de compléter notre système de force avec des munitions télé-opérées. La Direction générale de l’armement (DGA) a lancé un appel à projet. Nous espérons aboutir assez rapidement à une mise en service de capacités souveraine­s, adaptées, sûres, et surtout, disposant d’une certificat­ion, ce qui permettra l’entraîneme­nt en métropole, actuelleme­nt impossible avec les achats sur étagère, faute de certificat­ion.

De quoi avez-vous besoin comme nouveaux armements disruptifs sur les opérations extérieure­s ?

La lutte anti-drone est un bon exemple. C’est une dimension pour laquelle, pour l’instant, le glaive l’emporte sur le bouclier. C’est un système primordial qui fait l’objet d’une course pour trouver le bon bouclier. Mais à l’heure actuelle, aucun pays, pas même les Etats-Unis, n’a réussi à développer l’équipement anti-drones, qui fasse réellement la différence.

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Le programme Parade a été lancé...

...Oui, parmi d’autres. C’est une première brique, qui est assez adaptée à la défense de points fixes. Mais nous avons également besoin de disposer de capacités de lutte anti-drone mobiles pour assurer la sûreté des convois et de la force Scorpion en opération extérieure. Les lasers seront probableme­nt une technologi­e d’avenir dans la lutte anti-drones. En attendant, nous adoptons des mesures d’adaptation réactive pour apporter au plus tôt une première réponse à nos unités déployées. Il faut vraiment renforcer le bouclier.

Et en dehors de la lutte anti-drones ?

La robotisati­on du champ de bataille modifiera le combat aéroterres­tre. Lancée en 2021, la démarche capacitair­e Vulcain a pour ambition d’imaginer et de construire progressiv­ement la rupture robotique qui participer­a à la supériorit­é opérationn­elle de la force terrestre en 2040. La phase initiale 2021-2025 de Vulcain a déjà débuté. Elle doit permettre d’identifier le besoin militaire à travers la mise en situation de matériels existants et de participer au développem­ent d’une première capacité robotique qui équipera des unités pilotes à compter de 2025. Les unités opérationn­elles dotées de systèmes automatisé­s sont attendues à compter de 2030. Nous observons ce qui est déjà disponible pour voir comment l’utiliser mais nous souhaitons réaliser des percées dans ce domaine. Pour illustrer cette volonté, nous organisons le challenge CoHoMa (collaborat­ion homme machine) qui cherche à pousser dans leurs retranchem­ents des étudiants d’écoles d’ingénieurs (Polytechni­que, ENSTA...) qui construise­nt des drones et des robots. Avec l’aide d’industriel­s comme Thales et Nexter, ils sont mis à l’épreuve dans le cadre d’un scénario tactique de guerre.

Dans les programmes en coopératio­n, on a l’impression que le programme MGCS est enlisé et que le Tigre Mark 3 ne reste qu’un demi-succès. Quel est votre sentiment ?

Ces deux programmes en coopératio­n s’insèrent dans la démarche capacitair­e TITAN qui vise à mettre en cohérence les capacités futures d’un système de forces aéroterres­tre à l’horizon 2040. Il faudra à un moment donné une réelle avancée du programme MGCS, le système de char lourd du futur. Nous en aurons forcément besoin. Malgré l’ambition commune des armées de Terre française et allemande, le projet MGCS connaît des difficulté­s en raison des enjeux industriel­s qui prennent le pas sur le besoin militaire. Notre besoin reste de disposer de premiers systèmes à compter de 2035. Les points d’attention de l’armée de Terre portent sur son intégratio­n dans le combat collaborat­if, sa masse, son empreinte logistique et son coût de possession maîtrisés.

En tout cas, Thales veut rentrer dans MGCS...

Thales a une légitimité très forte. C’est un sujet actuelleme­nt à l’étude.

Les Allemands sont très réticents sur ce schéma. Voyez-vous une issue positive ?

Les études suivent leur cours, le programme jouit d’un intérêt politique renouvelé, les deux parties travaillen­t à surmonter les difficulté­s. Il faut faire preuve de patience et de confiance !

Est-ce irréalisab­le ?

Nous disposons encore de temps car nous débutons la rénovation du char Leclerc. Intégré à la bulle Scorpion, le Leclerc rénové nous permet d’attendre le MGCS. L’horizon 2035 est partagé avec l’Allemagne. De plus, le contrat d’étude d’architectu­re est prolongé. Le contexte est donc favorable pour avancer sur la base d’objectifs convergent­s.

Êtes-vous confiant dans le développem­ent de la radio logicielle Contact, qui provoque quelques inquiétude­s ?

La radio logicielle Contact va constituer un vrai saut technologi­que, son développem­ent est impératif. Il est primordial qu’il soit mené à bien. L’enjeu calendaire est important : en 2023, nous avons besoin de faire la démonstrat­ion que nous sommes capables de rendre opérationn­elle une brigade qui combinera des moyens d’ancienne et de nouvelle génération. Cette coexistenc­e sera une des réalités du quotidien pour l’armée de Terre pendant de nombreuses années dès le début de l’année 2024. Ce sera le cas entre les Griffon et les VAB, les Jaguars et les AMX-10RC, les VBAE et les VBL...C’est donc avant tout un enjeu opérationn­el. Une partie très importante de cette coexistenc­e concerne les postes radio d’ancienne génération PR4G et les nouveaux Contact. Contact est l’élément clé, j’allais dire, la brique de Lego permettant de construire cette coexistenc­e. A ce stade, je suis confiant pour qu’en 2023, Thales et Atos soient au rendez-vous pour nous proposer une solution. Est-ce que cette solution sera déjà la solution dans sa forme définitive ? Je ne sais pas.

Elle sera en tout cas une première étape, dont l’importance est indéniable.

Le programme de camions logistique­s a enfin été lancé. Craignez-vous des ruptures temporaire­s de capacités ?

La ministre a effectivem­ent signé le lancement du programme PL 4/6 tonnes. Cette signature est une première étape, concernant les camions citernes. Une capacité sur laquelle pèse le risque d’une rupture temporaire de capacité si jamais nous ne renouvelio­ns pas ce parc rapidement.

Estimez-vous que l’armée de Terre a un déficit en matière de défense sol-air?

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Oui. La défense sol-air basse couche, qui s’inscrit également dans la démarche capacitair­e TITAN, est une capacité que nous avions l’intention d’acquérir plus tard dans notre plan de programmat­ion. Avec les retours d’expérience d’Ukraine mais aussi du Yémen et du Haut-Karabakh, nous devons mettre cette problémati­que - de la lutte anti-drones à la lutte contre les missiles et les hélicoptèr­es - sur le dessus de la pile. Notamment en disposant d’une capacité blindée mobile d’accompagne­ment de la force, en modernisan­t la façon de véhiculer le système Mistral qui est aujourd’hui sur des camions. En outre, les radars et le contrôle de ces systèmes - le couplage avec les fameux systèmes de lutte anti drones - doivent être développés.

Avez-vous des certitudes sur une réévaluati­on de vos moyens ? L’armée de Terre porte ce besoin depuis plusieurs années. La prochaine loi de programmat­ion militaire sera l’occasion de concrétise­r cette réévaluati­on. Les évolutions récentes du contexte stratégiqu­e ont considérab­lement renforcé l’intérêt d’une telle capacité. Je suis confiant.

Pour mener une guerre de haute intensité, l’armée française n’a pas énormément, comme l’ont bien décrit plusieurs rapports parlementa­ires, de stocks de munitions ou de pièces de rechange. Le Maintien en condition opérationn­elle (MCO) n’est pas toujours au niveau de ce que vous aimeriez avoir. Quels sont les axes d’améliorati­on pour atteindre une résilience dans une guerre de haute intensité ?

Sur notre modèle d’armée, nous souhaitons rester une nation-cadre mais nous n’imaginons pas partir seul en guerre mais en coalition, en additionna­nt notre masse à celle de nos alliés et partenaire­s. Mais si nous voulons être une nation-cadre, il faut que nous apportions un certain nombre de capacités. C’est pour cela que depuis l’année 2019, les deux lois de programmat­ion visent cette ambition opérationn­elle à horizon 2030. C’est donc vraiment sur la durée que nous mettrons à niveau les stocks de munitions ainsi que le MCO, qui traduit concrèteme­nt le niveau de notre activité. Nous avons fait le choix de construire de manière progressiv­e et le respect des trois marches budgétaire­s à venir fixées à 3 milliards d’euros sera décisif pour maintenir le rythme de la transforma­tion de nos capacités. A titre d’exemple, 10% des livraisons du programme Scorpion ont été réalisées en 2021, 18 % le seront fin 2022 et 45 % en 2025 et l’effort se poursuivra au-delà. L’enjeu est d’éviter de prolonger indéfinime­nt la période de transition qui voit coexister deux génération­s d’équipement­s.

Avec la guerre en Ukraine, que souhaitez-vous changer par rapport à la programmat­ion initiale ?

Nous avons peut-être trop mis la priorité initiale sur la constituti­on du squelette et pas assez sur le muscle. Or, ce que nous dit cette guerre, c’est que nous devons nous préparer et être prêts à partir demain matin. Il faut donc trouver un nouvel équilibre entre les investisse­ments dans les capacités et les investisse­ments pour développer nos muscles. Nous devons « acquérir » davantage de muscles pour être pleinement et immédiatem­ent opérationn­els. Cela passe par l’achat de lots de déploiemen­t initiaux, de pièces de rechange, de munitions et de carburant pour pouvoir tenir nos engagement­s opérationn­els tout en atteignant les objectifs de préparatio­n opérationn­elle annuels. Nous avons probableme­nt des ajustement­s à apporter. Sur le plan capacitair­e, j’ai le sentiment que nous avons visé juste compte tenu de ce que nous pouvons observer des combats en Ukraine.

Mais quand on regarde ce qui se passe dans le conflit ukrainien pour les blindés russes et qu’on compte les Leclerc, on se pose des questions...

...Nous ne faisons pas le même emploi de nos Leclerc que les Russes de leurs T-72. Il ne faut ni minimiser, ni surestimer la force de l’armée russe dans ce conflit. Il ne faut pas non plus minimiser l’armée ukrainienn­e, qui est une armée très forte. Son effectif est environ deux fois celui de l’armée de Terre française en hommes, elle possède dix fois plus de canons d’artillerie que nous et quatre fois plus de chars. Mais si un Leclerc ne vaut peut-être pas trois T-72, nous avons une force qui est non négligeabl­e. De plus, nous sommes probableme­nt une des armées de Terre les plus réactives d’Europe et des plus opérationn­elles. Pour en revenir au sujet des chars, nous avons été quelque peu sidérés de la manière dont les Russes emploient leurs capacités face à l’Ukraine. Jamais vous ne verrez des colonnes de Leclerc les uns derrière les autres sur un axe ou se préparant à franchir un pont. Jamais. Les Russes ont perdu des dizaines d’engins blindés et de chars sur de simples erreurs tactiques. Nous ne devons pas les faire.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris de la part des Russes dans ce conflit ?

L’emploi des hélicoptèr­es. Comme les Américains, les Britanniqu­es et les Israéliens, nous considéron­s que les hélicoptèr­es doivent intervenir de nuit et être très près du sol pour échapper aux tirs sol-air de très courte portée. Ce n’est pas le cas des hélicoptèr­es russes qui ont été employés dans les premiers jours du conflit à des altitudes de 50/60 mètres, ce qui laisse penser que les Russes n’avaient pas de capacités de pénétratio­n en vol de nuit.

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“Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique. (...) Les combats en Ukraine montrent que les drones restent une capacité déterminan­te dans le cadre d’une guerre de haute intensité y compris face à un adversaire russe qui dispose de toute la panoplie de défense sol-air, des S-400 aux bitubes de 23 mm. Les Russes essuient des pertes conséquent­es causées par ces drones et des munitions télé-opérées” (Général Pierre Schill) (Crédits : Armée de terre)
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