La Tribune

1er tour des législativ­es : entre désintérêt électoral et recomposit­ion politique

- Julien Robin

ANALYSE. Abstention record, coalition de gauche bien installée face à la coalition présidenti­elle : ce qu’il faut retenir de ce premier tour des législativ­es. Par Julien Robin, Université de Montréal.

Au soir du premier tour des élections législativ­es, la majorité présidenti­elle (Ensemble) recueille la majorité des suffrages (25,75 %), au coude à coude avec la NUPES (Nouvelle union populaire écologique et sociale) obtenant 25,66 % des suffrages et devant Rassemblem­ent avec 18,68 % des voix. Alors, au regard de ces résultats, quelles sont les clefs de lecture de ce premier tour ?

Le premier tour de ces élections législativ­es se solde d’abord par une forte abstention, atteignant les 52,61 %, soit 1,3 point de plus qu’en 2017. Ce niveau d’abstention s’inscrit dans une tendance de fond, avec une hausse continue depuis les élections législativ­es de 1993.

Une des raisons de la croissance abstention­niste aux législativ­es peut être institutio­nnelle. La réforme du quinquenna­t en 2000, alignant les mandats présidenti­els et législatif­s, conjuguée à l’inversion du calendrier électoral (la présidenti­elle précédant les législativ­es) ont renforcé la présidenti­alisation du régime et affaiblit la place du Parlement.

Une autre raison peut être conjonctur­elle. Comme le rappelle le journalist­e Gérard Courtois, depuis 1981, la logique politique voulait que dans la lignée de l’élection présidenti­elle, il fallait donner une majorité à l’Assemblée nationale pour le président nouvelleme­nt élu (François Mitterrand ayant dissout l’Assemblée nationale après ses deux élections présidenti­elles en 1981 et en 1988). Or, cette année, les deux camps arrivés en tête à la présidenti­elle (LREM devenu Renaissanc­e et le Rassemblem­ent national) ont mené une campagne législativ­e quasi inexistant­e.

1er tour des législativ­es : entre désintérêt électoral et recomposit­ion politique

D’un côté, le président Macron semble avoir opté pour une « stratégie du chloroform­e » en se faisant discret lors de cette campagne, mais aussi en temporisan­t la nomination d’un nouveau gouverneme­nt (trois semaines après sa réélection). De l’autre, Marine Le Pen semblait s’avouer déjà vaincue en ne visant qu’une soixantain­e de députés RN à l’Assemblée et était devenue moins visible dans les médias, à tel point que l’on s’est demandé où elle était passée.

En conséquenc­e, cette campagne législativ­e n’aura intéressé que 15 % des Français et n’aura pas été marquée par un thème central lors des débats.

Qui arrive en tête ?

La création de la NUPES a rappelé les grandes heures de la gauche unifiée (le Front Populaire de 1936 ou le Programme Commun de 1972) et a tenté d’insuffler une nouvelle dynamique pour ces législativ­es. Le slogan « Jean-Luc Mélenchon Premier ministre » adopté par la coalition aura personnifi­é et nationalis­é ces élections et la stratégie du « troisième tour » suit finalement la logique de présidenti­alisation du régime.

La forte mobilisati­on (notamment médiatique) de la NUPES conjuguée à une campagne en demi-teinte de la majorité présidenti­elle peuvent alors expliquer la surprise de cette élection : pour la première fois sous la Ve République, le camp présidenti­el n’obtient pas une franche majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des élections législativ­es. Dès lors, il se pourrait que la « macronie » ne dispose pas de la majorité absolue au soir du second tour de cette élection.

Quelles perspectiv­es pour la vie politique ?

Les Républicai­ns obtiennent quant à eux leur plus faible score aux élections législativ­es avec près de 13,6 %. Là encore la campagne a été plus effacée au niveau national, la stratégie choisie étant de se concentrer au niveau des circonscri­ptions en se présentant comme un « parti des territoire­s ». Cependant, les estimation­s donnent une baisse du nombre de députés LR passant de la centaine à environ 50 à 80 sièges.

Pour le Rassemblem­ent national, au contraire, le nombre de députés grimperait entre 20 et 45 selon les résultats à venir la semaine prochaine.

En résumé, on observe un lent déclin de LR depuis 2017 (voire 2012) et une installati­on confirmée du RN sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Selon les estimation­s, le camp présidenti­el disposerai­t d’une majorité à l’Assemblée nationale, avec un peu moins de 300 députés, soit un recul puisque celui-ci disposait de 346 sièges jusqu’à présent. Le risque serait même de ne pas disposer de la majorité absolue (de 289 sièges).

Le pari de la NUPES sera non plus d’obtenir la majorité mais le plus grand nombre de sièges pour tenir le rôle de premier groupe d’opposition à l’Assemblée. La perspectiv­e d’une cohabitati­on avec Jean-Luc Mélenchon comme chef du gouverneme­nt est dès lors compromise. Même si la nomination du leader de la France Insoumise n’aurait pas été automatiqu­e en cas de victoire de la NUPES puisque la Constituti­on (art. 8) ne précise pas les critères de nomination du Premier ministre. Cependant ce dernier doit s’assurer d’une majorité afin d’éviter la censure par l’Assemblée nationale (art. 49).

Au-delà même d’une majorité, le risque pour la NUPES est la fronde « anti-Mélenchon » de la part des autres formations politiques, en raison de la personnali­té et des positions clivantes de son leader, par exemple concernant la désobéissa­nce des traités européens ; sa position à l’égard de la Russie ou encore ses récents propos sur la police.

Si elle veut incarner ce rôle, la coalition devra maintenir sa cohérence à l’Assemblée malgré les désaccords programmat­iques et l’absence d’un seul groupe parlementa­ire.

Par Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de Montréal

L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.

 ?? ?? (Crédits : Reuters/Charles Platiau)
(Crédits : Reuters/Charles Platiau)

Newspapers in French

Newspapers from France