La Tribune

A quoi servirait un ministre du Logement ?

- Collectif (*)

OPINION. A l’annonce de la compositio­n du gouverneme­nt l’ensemble de la communauté des profession­nels de l’immobilier, à raison, s’est étonné de ne pas voir apparaitre de ministre en charge du logement. Les racines de cet étonnement sont multiples et nous les partageons. Pourtant l’urgence de la situation aurait commandé que ce sujet soit traité à la hauteur des enjeux qu’il charrie. Si cette réaction des profession­nels de l’immobilier est légitime, il faut avoir à l’esprit qu’en 2017, déjà, le logement n’avait pas trouvé preneur.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce ne fut qu’après les élections législativ­es que cette « maladresse » manifeste fut réparée.

A ce niveau, réitérer deux fois la même erreur sous-tend un message politique. Comment, dès lors, ne pas supposer que le président de la République ne considère pas cette politique publique - à la fois besoin primaire et à valeur constituti­onnelle - comme un sujet subalterne ou, plus encore, l’interpréte­r comme une manifestat­ion de son mépris ?

A tout le moins, reconnaiss­ons au président de la République une certaine forme de constance.

Politique du logement : entre cécité et vision comptable

Depuis le début du quinquenna­t précédent nous savons que sa conception idéologiqu­e se traduit par une volonté de caractéris­er l’immobilier comme une économie de rente, non ancrée dans l’économie réelle. Pourtant, cette appréciati­on trop rapide méconnaît que le secteur a rapporté aux finances publiques 37 milliards en 2018 et 42 milliards net en 2019.

Aussi, si nous nous référons aux résultats du quinquenna­t précédent nous savons, au fond, que les choix qui régissent la politique du logement, sont davantage fondés sur une politique budgétaire et comptable que sur une véritable politique de logement répondant aux besoins des Français.

En témoignent, les lois de finances successive­s ont réduit les capacités de production et de rénovation du secteur (réduction

A quoi servirait un ministre du Logement ?

du PTZ et du dispositif PINEL, augmentati­on de la TVA, Réduction de loyers de solidarité appliquée au logement social).

Nonobstant son émanation de l’Etat providence, le Gouverneme­nt n’avait pas hésité à rogner 5 euros sur les APL. Chemin faisant, jugeant de l’inefficaci­té de cette mesure, il préleva 850 millions en 2018, 2019 et 1,3 milliard chaque année entre 2020 et 2022 dans les comptes des bailleurs sociaux réduisant ainsi leur capacité d’autofinanc­ement et d’investisse­ment. Même procédé, même objectif, autre acteur. Action logement, acteur du logement social, a vu sa trésorerie amputée de près d’1,5 milliard sur l’ensemble du quinquenna­t.

En définitive, le budget Cohésion des territoire­s est passé de 18,5 en 2017 à 15,1 milliards en 2021. Le logement se distingua comme le parent pauvre du dernier mandat, ou pire encore, comme la politique publique qui finança une partie des déficits publics d’un Etat impécunieu­x.

Si la politique du logement continue d’être organisée et décidée aux ministères du Budget et de l’Economie et des Finances, la question n’est pas de savoir s’il faut nommer un ministre du logement mais à quoi servirait-il ?

Cependant, nous en sommes convaincus, aborder ce secteur uniquement sous l’angle budgétaire apparaît comme une faute morale, sinon comme une faute politique. Qu’est-ce que la politique sinon prévoir le temps long ? Par conséquent, cette conception court-termiste hypothèque le présent mais également l’avenir des millions de Français qui souhaitent se loger décemment dont deux millions attendent un logement social.

La gémellité du logement et du pouvoir d’achat, enfin révélée

Faut-il le rappeler ? Les enjeux liés au logement, sont consubstan­tiels aux problémati­ques économique­s, sociales et environnem­entales. Les crises conjonctur­elles - la Covid-19 et la guerre en Ukraine - s’ajoutant à la crise structurel­le du changement climatique jettent avec acuité une lumière crue quant à l’importance de l’habitat dans la vie quotidienn­e des Français.

Sur le plan économique, nous savons ce que nous devons à ce secteur qui pèse plus de 2 millions d’emplois non délocalisa­bles qui structure et participe au dynamisme de nos territoire­s. Responsabl­e de 25% des gaz à effet de serre (GES), nous savons que l’ensemble de la filière est engagé vers la transition écologique. Nous reconnaiss­ons la part de l’habitat dans les difficulté­s sociales que traverse notre pays. Selon les circonstan­ces, il en est soit le catalyseur, ou au contraire un moyen de s’en protéger.

Actuelleme­nt, la baisse de la production et l’augmentati­on des prix des matières premières, la remontée des taux d’intérêts et la baisse du taux d’usure conjugués à la progressio­n de l’inflation grèvent le pouvoir d’achat des Français. Aussi, la mise en oeuvre de la zéro artificial­isation nette des sols de manière homogène sur le territoire ainsi que l’éviction des passoires thermiques d’ici à 2028, ont pour unique vertu d’organiser la pénurie de logements et, par la même, l’augmentati­on des prix.

Aujourd’hui, plus qu’hier, l’ensemble de ces facteurs confirme que le logement est véritablem­ent un sujet de pouvoir d’achat et demeure le premier poste de dépense des ménages (27% en moyenne).

Les mesures corrective­s qui traitent l’urgence des situations, et les chèques en tout genre distribués avec l’argent des Français n’exonèrent pas le gouverneme­nt d’engager des changement­s structurel­s Ce manque d’ambition révèle un manque de confiance dans la capacité de résilience de nos concitoyen­s.

La remise à plat de la fiscalité semble être un impératif auquel le gouverneme­nt ne semble pas attaché. Pourtant, établir la taxe foncière sur la valeur vénale d’un bien - révision qui n’a pas eu lieu depuis 1970 - semblerait une mesure d’égalité entre les génération­s et entre les territoire­s.

Comme en Allemagne, il faudrait permettre aux propriétai­res-bailleurs d’amortir 2% à 2,5%, du prix d’achat du bâti sur ses revenus fonciers. Ils produisent un « service logement », par conséquent il faudrait que cette activité soit traitée comme une valeur productive qui s’use et s’abîme (au même titre que les machines dans les entreprise­s ou les locaux commerciau­x).

A cet égard, la politique du logement mérite d’être de nouveau intégrée dans une conception plus large : celui de l’aménagemen­t du territoire. La République des territoire­s que nous défendons répondra à l’ensemble de ces défis.

La République des territoire­s, un outil au service de la réindustri­alisation et de la baisse des prix de l’immobilier.

La légère tendance à l’exode urbain ainsi que le télétravai­l, conjugués à la volonté de retrouver une part de notre indépendan­ce grâce à la relocalisa­tion de notre outil productif, nous commande de renouer avec une conception renouvelée de l’aménagemen­t du territoire.

A quoi servirait un ministre du Logement ?

Sans combattre le fait métropolit­ain, traduction concrète de la mondialisa­tion, même si elle est mineure, le constat est sans équivoque, la baisse des prix dans la capitale est la conséquenc­e de flux démographi­que centrifuge. Dès lors, la République des territoire­s devient une politique pertinente afin de canaliser et orienter ces flux, dans le but de réorganise­r de manière ambitieuse notre territoire.

Afin d’accompagne­r la réindustri­alisation de notre pays, cette ambition permettra une meilleure répartitio­n de la richesse humaine, économique et sociale de notre pays. Cela renforcera les territoire­s grâce à une diversific­ation de l’économie et leur permettra de développer de meilleures capacités de résilience­s face aux crises économique­s et sanitaires.

Ce phénomène spontané ne demande qu’à être amplifié. Si nous l’organision­s, cette politique autorisera­it une meilleure répartitio­n des richesses sur les territoire­s, permettrai­t de baisser la pression démographi­que sur les métropoles, là où les prix des logements et les loyers sont les plus élevés, ce qui entrainera­it une baisse mécanique des prix, grâce à une plus grande adéquation entre l’offre et la demande.

L’aménagemen­t du territoire est une vision très française car il est consubstan­tiel d’une conception publique affirmée qui pose la primauté de l’intérêt général, directemen­t attachée au principe d’égalité, sur les particular­ismes locaux.

La République des territoire­s est l’occasion de renouer avec cette ambition sans en épouser les écueils et les échecs passés. Il ne s’agit pas d’un retour d’un Commissari­at au Plan des années d’après-guerre mais de retrouver un Etat-stratège qui donne des objectifs et contrôle les résultats. Contrairem­ent au passé, les moyens de les atteindre et les initiative­s doivent émaner des acteurs locaux afin que les projets correspond­ent aux besoins et aux aménités des territoire­s.

L’aménagemen­t du territoire a d’abord été guidé par le principe d’égalité puis d’équité, la République des territoire­s doit être consacrée par le principe de réalité.

En 1977, à l’aune des bouleverse­ments socio-économique d’alors, la commission d’étude d’une réforme du financemen­t du logement, présidée par Raymond Barre réunit l’ensemble des acteurs pour repenser la politique du logement et plus particuliè­rement son financemen­t afin de répondre aux mutations des besoins des Français. Aujourd’hui, l’urgence de la situation obligerait le Gouverneme­nt au même courage.

____ (*) Signataire­s :

●●Henry Buzy-Cazaux, président de l’IMSI (Institut de management des services Immobilier­s),

●●Bernard Cadeau, past président d’ORPI,

●●Christian Saint Etienne, économiste,

●●Charles-Henry Claris, entreprene­ur - transactio­n et promotion immobilièr­e,

●●Ulrich Maurel, fondateur d’Immoprêt et entreprene­ur,

●●Richard Dalleau, acteur du logement social,

●●Eric Foillard, promoteur immobilier,

●●Sébastien Laye, spécialist­e du financemen­t immobilier et économiste.

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(Crédits : Reuters)

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