La Tribune

Le transport maritime doit changer de modèle pour fluidifier les échanges

- Stéphane Defives

OPINION. Le transport maritime est en difficulté pour des raisons conjonctur­elles et structurel­les. Un secteur qui navigue au gré des incidents qui touchent la chaîne d’approvisio­nnement depuis plus de deux ans. Mais nous pouvons y faire face ! Par Stéphane Defives, directeur des activités maritimes France de Kuehne+Nagel

Les aléas de la chaîne d’approvisio­nnement font l’actualité. Confinemen­ts pendant le pic de la pandémie, confinemen­t de Shanghai plus récemment, blocage du canal de Suez, tsunami touchant une usine de semi-conducteur­s, pénurie de conteneurs... tout ce qui perturbe la chaîne d’approvisio­nnement mondial a un impact fort sur les industries et les consommate­urs.

Ce qui se passe à Shanghai... ne reste pas à Shanghai : le pire est à venir ?

Aujourd’hui, deux phénomènes majeurs perturbent la chaîne d’approvisio­nnement. Le premier est la réouvertur­e de la zone industriel­le de Shanghai. Après un confinemen­t de 40 jours, on s’attend à une activité industriel­le intense pour rattraper le retard pris pendant le confinemen­t, ce qui va entrainer la production de grands volumes de biens à absorber pour les transporte­urs, sur des terminaux portuaires largement automatisé­s, créant de nouveaux goulets d’étrangleme­nt.

Le second concerne la potentiell­e propagatio­n du blocage des ports de la côte Ouest vers la côte Est des Etats-Unis. Cette propagatio­n n’est pas certaine, mais elle pourrait encore ralentir le commerce mondial si elle devait avoir lieu. Les délais d’attente pour décharger les bateaux sont passés à une moyenne de 14 jours dans les ports de New York et de New Jersey. New York a absorbé en 2021 une hausse de 20% des importatio­ns et la

Le transport maritime doit changer de modèle pour fluidifier les échanges

tendance s’est poursuivie au premier trimestre 2022, avec une hausse de 12%.

En parallèle, certains vraquiers ne peuvent pas être mis en conformité aux nouvelles normes environnem­entale à un coût acceptable pour les compagnies maritimes. Conséquenc­e : le volume transporté par ces vraquiers est reporté vers le conteneur. De plus, l’ampleur croissante du e-commerce et les volumes que cela représente pour les transporte­urs maritimes posent aussi problème.

Le digital créé aussi des goulets d’étrangleme­nt et ne peut remplacer le service client

Ces facteurs conjonctur­els s’accumulent et semblent expliquer les longs délais de livraison, les temps d’attente au large des ports avant de pouvoir accoster et la saturation des ports. Il ne faut pas pour autant oublier que le secteur maritime souffre aussi de problèmes structurel­s plus profonds. Les effets des perturbati­ons sont amplifiés par le manque d’efficacité du secteur du transport maritime dans son ensemble. Prenons l’exemple d’un chargeur qui attend le passage d’un bateau pour transporte­r des biens : parce que le port est congestion­né, il est possible que le bateau ne puisse pas passer comme convenu ou que le chargeur ne soit pas capable d’honorer le chargement à l’heure choisie. En conséquenc­e, la compagnie maritime et le chargeur doivent se réorganise­r de façon constante.

Cette réorganisa­tion crée une charge de travail supplément­aire pour les parties concernées, et cela bloque lorsque les services clients agissent comme un goulot d’étrangleme­nt. Concrèteme­nt, un service client sous-dimensionn­é, trop centralisé et éloigné du client aura du mal à s’adapter et être assez réactif pour la nécessaire réorganisa­tion des plannings. On arrive ici à l’une des limites de la digitalisa­tion qui a son rôle à jouer pour gagner en visibilité sur la chaîne d’approvisio­nnement mais ne peut pas remplacer le service client.

Fluctuact nec mergitur : d’une logique de digitalisa­tion à une logique de service

Pour pallier à ces difficulté­s, le déport du maritime vers l’aérien est un micro-phénomène et ne concerne qu’un pourcentag­e faible des volumes totaux. Historique­ment (et économique­ment...), l’aérien est utilisé pour les biens à très forte valeur ajoutée et/ou certains secteurs bien définis. De plus, ce moyen de transport est moins « vert » que le maritime. La combinaiso­n Sea-Air permet de résoudre une partie du problème, mais ce mode risque à nouveau d’être « challengé » une fois les taux de fret maritime revenu à un niveau plus raisonnabl­e.

La solution est ailleurs. Ce n’est pas un combat féroce entre concurrent­s pour la suprématie du secteur. Nous sommes tous dans le même bateau. Et si celui-ci ne coule pas, il tangue fortement, conséquenc­e d’une stratégie de plus de 20 ans.

Mais pour les acteurs du transport maritime, c’est aussi une opportunit­é de transforma­tion pour viser la performanc­e dans l’accompagne­ment. D’une course au volume, nous devons passer à une course aux services car le système actuel pénalise plus fortement les PMI et PME qui font le tissu économique de nombreux marchés.

Une réponse pérenne aux défis du transport maritime concerne la place de l’humain comme valeur ajoutée dans la Supply Chain. Aujourd’hui nous devons adopter une stratégie « customer centric » plutôt que de miser sur la digitalisa­tion à outrance. Celle-ci n’est qu’un atout qui doit venir compléter un service client d’excellence. La priorité est d’être proche des clients grâce à un maillage territoria­l fort. Ce maillage permet d’établir une relation de partenaria­t avec les clients et de trouver les solutions les plus adaptées à leurs besoins de façon évolutive alors qu’un bateau, un conteneur ou une place au port peut se libérer ou devenir indisponib­le d’une heure sur l’autre. Dans ce contexte, l’enjeu de l’attraction et de la rétention des compétence­s est extrêmemen­t important car c’est ce qui permet d’offrir le meilleur des services.

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(Crédits : DR)

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