La Tribune

Législativ­es : trois stratégies très inégales pour un résultat incertain

- Olivier Guyottot

DECRYPTAGE. Analyse des stratégies mises en place par les trois principale­s forces politiques issues du scrutin présidenti­el à l’assaut des élections législativ­es. Par Olivier Guyottot, INSEEC Grande École.

Alors que les incertitud­es sur l’issue du scrutin législatif des 12 et 19 juin n’ont jamais été aussi nombreuses et que l’obtention d’une majorité de députés soutenant le nouveau président élu, Emmanuel Macron, apparaît aujourd’hui incertaine, il semble instructif de revenir sur les stratégies mises en place par les trois principale­s forces politiques issues du scrutin présidenti­el. D’une part pour mieux comprendre et analyser la situation actuelle alors que l’abstention s’annonce historique­ment élevée pour des élections législativ­es. De l’autre car les stratégies mises en place, qui se sont révélées très différente­s les unes des autres, devraient avoir un impact majeur sur l’issue du scrutin.

La question de la temporalit­é

Quelques minutes après l’élection d’Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon lançait la bataille des législativ­es en insistant sur l’idée que celles-ci constituai­ent le 3 tour de l’élection présidenti­elle. Il se posait ainsi en premier opposant, sans laisser le temps à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen de se réjouir ou de digérer leurs résultats du deuxième tour de l’élection présidenti­elle.

Les semaines qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron ont été dominées, dans les médias et dans l’opinion publique, par les négociatio­ns entre les partis de gauche et par la mise en place de la Nouvelle union populaire économique et sociale (Nupes) alors que le Rassemblem­ent national rejettait les avances de Reconquête ! et que Marine Le Pen décidait de partir en vacances.

Législativ­es : trois stratégies très inégales pour un résultat incertain

Emmanuel Macron a semblé ouvertemen­t accepter de laisser la main en arguant d’une nécessaire respiratio­n démocratiq­ue post-élection présidenti­elle.

L’idée était sans doute aussi de laisser passer l’engouement médiatique provoqué par cette nouvelle union de la gauche. Et de reprendre l’initiative lors de la nomination de sa ou de son premier ministre alors que le délai entre élection présidenti­elle et élections législativ­es est cette année plus long de deux semaines et qu’une réélection provoque généraleme­nt moins d’enthousias­me qu’une première accession au pouvoir.

Des positionne­ments très différents

La réélection d’Emmanuel Macron au poste de président l’a, de son propre aveu, positionné comme le président de tous les Français et a inévitable­ment limité son rôle et son action de chef de clan.

Alors que le discours de Jean-Luc Mélenchon au soir du

1er tour de l’élection présidenti­elle semblait marquer l’annonce d’un passage de témoin et d’une mise en retrait, on assiste au contraire à une stratégie de forte mise en avant du leader de La France Insoumise (LFI).

Si celle-ci a empêché certaines personnali­tés de gauche de rejoindre ce mouvement d’union (Carole Delgas, José Bové, Yannick Jadot...), cette personnali­sation vise sans doute à mobiliser, lors des élections législativ­es, des électeurs avant tout séduits par la personnali­té et le leadership du chef insoumis lors de l’élection présidenti­elle.

En revendiqua­nt le poste de premier ministre si la Nupes venait à obtenir la majorité aux élections législativ­es, Jean-Luc Mélenchon s’est positionné au niveau national. De ce point de vue, sa décision, critiquée par ses adversaire­s, de ne pas se représente­r aux élections législativ­es lui a finalement permis d’assumer un positionne­ment au-dessus des partis, qu’une campagne locale de terrain aurait sans doute rendu plus compliquée.

En se présentant aux élections législativ­es, Marine Le Pen a choisi de son côté une stratégie très différente. Bien que finaliste de l’élection présidenti­elle, sa candidatur­e la positionne à un niveau plus local et légitime l’idée, qu’elle a elle-même défendue, qu’Emmanuel Macron va forcément obtenir la majorité pour gouverner pendant cinq ans.

Stratégies et dynamiques d’alliances

Les différente­s stratégies d’alliance expliquent sans doute aussi les incertitud­es actuelles. Si la mise en place d’Ensemble a donné lieu à quelques frictions et à quelques inquiétude­s de certains de ses membres, elle n’a fait qu’officialis­er et organiser, dans l’optique d’une future mandature, des soutiens qui étaient déjà parties prenantes de la candidatur­e d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidenti­elle.

Malgré les critiques et les dissidence­s, la création de la Nupes a elle donné lieu à une véritable alliance de coopétitio­n, en rassemblan­t des forces qui s’étaient au contraire opposées et qui se faisaient concurrenc­e. Elle peut donc revendique­r une démarche nouvelle de rassemblem­ent en comparaiso­n avec les dernières élections présidenti­elles et faire référence aux succès électoraux rencontrés par les unions de la gauche qui l’ont précédée (Front populaire, Programme commun, Gauche plurielle).

En refusant de s’allier avec Reconquête ! le Rassemblem­ent national de Marine Le Pen a pris le contre-pied de la stratégie d’union de LFI et n’a pas réussi à créer, si l’on se fie aux sondages et en dehors d’importants bastions au nord, la dynamique que sa qualificat­ion au second tour de l’élection présidenti­elle aurait pu engendrer dans l’optique des élections législativ­es.

De nouvelles dynamiques ?

En réalité, les différents sondages dédiés aux élections législativ­es n’ont pas montré d’évolution notable en matière d’intentions de vote au niveau national depuis que la situation des forces en présence a été officialis­ée.

Ensemble et la Nupes sont annoncés aux coude à coude autour de 27/28 % au premier tour, quand le Rassemblem­ent national se situe entre 19 % et 21 % et Reconquête ! entre 5 % et 6 %.

Mais les projection­s en matière de nombre de députés issus du second tour ont par contre évolué et semble montrer une dynamique en faveur de la Nupes alors qu’Ensemble était annoncé largement majoritair­e il y a encore quelques semaines. Le projet d’union de la gauche porté par Jean-Luc Mélenchon semble séduire une partie de l’électorat de gauche marquée par les divisions et la nouvelle absence, après 2017, de l’un de ses représenta­nts au second tour de l’élection présidenti­elle.

Mais au-delà de cette mobilisati­on, ce sont surtout le choix d’Elisabeth Borne et la constituti­on du nouveau gouverneme­nt qui interrogen­t d’un point de vue stratégiqu­e.

Législativ­es : trois stratégies très inégales pour un résultat incertain

Le choix crucial du premier ministre et du gouverneme­nt

En 2017, Emmanuel Macron avait choisi de nommer comme premier ministre, Edouard Philippe, un homme politique certes peu connu du grand public mais aguerri aux joutes électorale­s, pour mener la bataille des législativ­es. Et son second choix, lors du remaniemen­t en 2020, s’était porté sur un profil de haut fonctionna­ire et de technocrat­e, simplement élu local, avec Jean Castex. Cette décision semblait accréditer l’idée qu’il était nécessaire de nommer un profil politique en début de quinquenna­t afin de pouvoir s’appuyer sur une personnali­té habituée à la dureté d’une campagne électorale nationale.

En choisissan­t de nommer Elisabeth Borne, dont le CV est plus proche de celui de Jean Castex que d’Edouard Philippe, Emmanuel Macron a procédé autrement et a pris le risque de laisser le champ libre à la stratégie d’omniprésen­ce médiatique de Jean-Luc Mélenchon et de la Nupes.

La nomination du nouveau gouverneme­nt devait permettre de mettre en avant les priorités du nouveau quinquenna­t (écologie, pouvoir d’achat...) et de reprendre la main d’un point de vue médiatique. Mais le choix d’Elisabeth Borne et la confirmati­on de plusieurs poids lourds à des postes clefs n’ont pas permis, malgré quelques coups d’éclat notables rapidement ternis par les polémiques (Pap Ndiaye à l’Éducation Nationale ou Damien Abad aux Solidarité­s), d’enclencher une dynamique nouvelle.

Les récents déplacemen­ts d’Emmanuel Macron témoignent certaineme­nt d’une volonté de recentrer les élections législativ­es autour de son projet et de sa personne pour réussir à l’emporter. Cette implicatio­n sera-t-elle suffisante pour obtenir la majorité et éviter une cohabitati­on ? Si le mode de scrutin majoritair­e uninominal à deux tours des élections législativ­es rend la projection difficile et devrait théoriquem­ent favoriser les candidats placés au centre de l’échiquier politique, elle semble néanmoins accréditer l’idée que les élections législativ­es sont bien devenues le 3 tour de l’élection présidenti­elle française.

Par Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande École.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Reuters)

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