La Tribune

Gaz : des réserves stratégiqu­es contre la volatilité des prix ?

- Sébastien Zimmer

OPINION. Dans sa quête d’un approvisio­nnement en gaz sécurisé, l’Europe court a priori avec des bottes de sept lieues : diversific­ation des pays fournisseu­rs, importatio­ns massives de Gaz Naturel Liquéfié (GNL), mise en place accélérée de terminaux flottants de regazéific­ation de GNL... Par Sébastien Zimmer, Partner Emerton.

Les mesures s’enchaînent depuis le déclenchem­ent de la guerre en Ukraine. Même la règlementa­tion, en général si difficile à modifier, a évolué : sur le stockage de gaz notamment les

Etats membres devront désormais s’assurer que les stockages souterrain­s de gaz - comme ceux de Storengy en France ou d’Uniper en Allemagne - sont remplis à 90% au début du mois de novembre de chaque année dès 2023. De quoi mieux répondre à la demande de gaz en hiver, lorsque les chaudières tournent à plein régime.

Sauf que toutes les actions mises en place ne traitent pas un risque clé : celui de la saturation des infrastruc­tures de transport de gaz. Les réseaux de canalisati­ons et les terminaux méthaniers en Europe ont en effet été dimensionn­és sur un principe de base - 40% des importatio­ns de gaz proviennen­t de Russie - et sur une ambition, celle de faire jouer au maximum la concurrenc­e entre les pays producteur­s au profit des consommate­urs industriel­s et particulie­rs.

Pour y parvenir, ces infrastruc­tures ont donc été surdimensi­onnées, tant en nombre qu’en capacité : les canalisati­ons relient l’Europe avec les principaux pays exportateu­rs de gaz (Russie, Norvège, Algérie, Azerbaïdja­n). Elles ont été complétées par de nombreux terminaux méthaniers pour des approvisio­nnements additionne­ls sur le marché mondial du GNL. Et cela a fonctionné.

Ce surdimensi­onnement et la diversité des infrastruc­tures ont ainsi permis, pendant des années, de faire jouer la concurrenc­e entre les différente­s formes de gaz (liquéfié ou non) et de réaliser des arbitrages entre des contrats de long terme et des approvisio­nnements de court-terme sur les marchés de gros du gaz et les marchés spot du GNL. Ceci au plus grand bénéfice des consommate­urs industriel­s et particulie­rs : au cours de la décennie 2010, le prix du gaz en Europe a atteint des niveaux inférieurs de plusieurs euros par MWh par rapport aux prix historique­s

Gaz : des réserves stratégiqu­es contre la volatilité des prix ?

des contrats d’importatio­n de long-terme, générant plusieurs milliards d’euros annuels d’économies directes pour les consommate­urs de gaz.

L’objectif officiel de se passer du gaz russe à partir de 2027 bouleverse alors la donne en matière d’infrastruc­tures. Il signifie en effet qu’une grande partie des canalisati­ons construite­s au cours des trente ou quarante dernières années pour acheminer le gaz russe au coeur de l’Europe ne seront plus utilisées, mais aussi que les infrastruc­tures restantes - autres canalisati­ons et terminaux méthaniers - sont désormais soumises à un fort risque de saturation. Avec un effet immédiat : une flambée des prix du gaz - et de facto de l’électricit­é - au moindre aléa de production en Norvège, Algérie, aux Etats-Unis. Un effet que l’augmentati­on accélérée des capacités d’importatio­n de GNL ne pourra empêcher. Il faudrait en effet l’équivalent de 40 à 50 terminaux flottants en plus pour compenser totalement l’arrêt des importatio­ns de gaz russe, alors que seule une dizaine, au maximum, est en projet. On peut (hélas) dès à présent anticiper que certains consommate­urs industriel­s, en Allemagne et en Italie notamment, seront rationnés pour aider le marché à trouver un nouvel équilibre dans ce jeu de contrainte­s...

Comment redonner au réseau la flexibilit­é dont il a besoin pour éviter ces scénarii catastroph­e ? Telle est alors la question... La constituti­on de capacités stratégiqu­es de stockage de gaz - au-delà des volumes saisonnier­s mobilisés par Bruxelles pour mieux passer l’hiver - est certaineme­nt un élément clé de réponse : mettre en réserve assez de gaz pour créer un « tampon » permanent aurait un effet modérateur sur les prix et leur volatilité, quelle que soit la saison. C’est d’ailleurs ce type de stockage stratégiqu­e qui a été mis en place pour le pétrole. En Europe, environ trois mois de consommati­on sont ainsi stockés dans des cavités salines, des dépôts ou des raffinerie­s depuis les différents chocs pétroliers. Cela est particuliè­rement utile depuis quelques semaines...Certes, constituer de telles réserves stratégiqu­es est plus compliqué et onéreux que de remplir les cavités existantes en prévision des grands froids. Il faut les créer, et aussi mettre en place un cadre règlementa­ire qui oblige à le faire... Mais, bottes de sept lieues ou pas, telle est sans doute la route à suivre pour donner une certaine résilience au marché européen du gaz, au profit des particulie­rs mais aussi de la compétitiv­ité des industries du continent.

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(Crédits : Reuters)

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