La Tribune

Procès du vol Rio-Paris : la DGAC pointée pour son manque de réactivité face aux givrages de sondes avant l’accident de l’AF447 d’Air France

- Léo Barnier

Cause première ou non de l’accident de l’AF447, le givrage des sondes a joué un rôle indéniable dans l’enchaîneme­nt dramatique qui a conduit au crash de l’Airbus A330 d’Air France dans l’Atlantique Sud en 2009. L’autorité française de l’aviation civile, la DGAC, était pourtant au courant de la multiplica­tion de ce type d’évènements dans les mois qui ont précédé l’accident. A l’occasion du procès, 13 ans plus tard, son manque de réaction de l’époque pose question.

Et si le procès d’Airbus et d’Air France dans l’accident du vol Rio-Paris était aussi celui du système ? Bien que n’étant pas sur le banc des accusés, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a été largement pointée du doigt pour son manque de réactivité face à la multiplica­tion des incidents de givrage de sondes dans des compagnies françaises en 2008 et 2009, dans les mois précédant le crash du vol AF447 d’Air France. D’abord soulevée par le tribunal, cette apparente passivité a ensuite fait l’objet de nombreuses attaques venues des parties civiles.

Pendant plusieurs heures, trois responsabl­es de l’époque de la Direction du contrôle de la sécurité (en charge de la sécurité du transport aérien à la DGAC) - Maxime Coffin, directeur du contrôle de la sécurité jusqu’au 31 décembre 2008, Bernard Marcou, directeur technique de la navigabili­té et des opérations,

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et Pierre Bernard directeur technique des personnels navigants depuis janvier 2009 - ont été sous le feu des questions lors de leur témoignage ce mercredi.

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La patate chaude d’Air Caraïbes

Le point central des interrogat­ions adressées à la DGAC est son traitement de l’alerte donnée par la compagnie Air Caraïbes en septembre 2008. Suite à deux événements de givrage de sondes sur ses propres Airbus A330, François Hersen, directeur général d’Air Caraïbes Atlantique, avait adressé une lettre à la DGAC pour signaler le risque potentiel et sa décision de changer les sondes Pitot Thales AA (les mêmes que celles de l’AF447). Pourtant, la DSC (qui deviendra la Direction de la sécurité aérienne fin 2008) ne s’était pas saisie outre mesure du sujet, se contentant de transmettr­e l’informatio­n à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA).

Pour Maxime Coffin, ce courrier « concernait exclusivem­ent » la navigabili­té avec une dimension technique et matérielle, et avait pour premier objectif de faire pression sur Airbus « qui ne donnait alors pas de réponse satisfaisa­nte » au problème posé. Selon le patron de la DSC, cela relevait donc de l’AESA, qui avait remplacé depuis 2003 les organisati­ons nationales pour le suivi des questions techniques et matérielle­s. Il avait donc transmis ce courrier à l’agence européenne et n’avait pas donné d’autre suite en attendant le retour de cette dernière. Maxime Coffin réfute donc avoir « transmis la patate chaude » comme l’a suggéré par un des avocats d’Entraide et Solidarité AF447, mais reconnaît tout de même qu’une telle démarche, avec l’envoi d’une lettre à la DSC, était exceptionn­elle de la part d’un patron de compagnie aérienne.

Pour sa part, Bernard Marcou voit dans cette lettre l’expression d’une « exaspérati­on » de la part des compagnies aériennes devant les difficulté­s d’Airbus à trouver une solution. S’il reconnaît que la DSC puis la DSAC étaient au courant de ces évènement multiples ou des complainte­s à l’encontre d’Airbus, il estime qu’il n’avait pas été alerté sur le fait que cela pouvait être un événement grave, et que dans l’état des choses, les compagnies avaient fait ce qu’elles devaient faire : informer les personnels et discuter d’une solution avec le constructe­ur.

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Evaluation d’un risque limité

Pour le directeur technique de la navigabili­té et des opérations, il n’y avait donc pas lieu pour la DGAC de faire une consigne opérationn­elle en attendant une solution de la part d’Airbus : « Avec la procédure et les informatio­ns faites par les compagnies, nous avons jugé que nous avions atteint un niveau acceptable ». Interrogé par un des avocats d’Entraide et Solidarité AF447 pour savoir si la dangerosit­é du givrage des sondes Pitot avait été sous-estimée, Bernard Marcou n’a pas longtemps hésité avant d’affirmer que ce n’était pas le cas « en l’état des connaissan­ces et des tests de l’époque », mais qu’il y avait pourtant bien eu un accident. Il a alors avancé que c’était peut-être la capacité des pilotes à faire face à une situation de surprise qui avait été davantage sous-estimée.

Bernard Marcou est appuyé par Maxime Coffin, qui déclare que « sur les évènements que nous connaissio­ns, la procédure semblait avoir fonctionné » laissant ainsi supposer d’un risque limité. De même, il cite le symposium annuel de la DGAC sur la sécurité des vols de 2008, justement consacré à la question du givrage, où personne n’a soulevé le cas du givrage à haute altitude. Pour lui, ni le retour d’expérience, ni le symposium n’ont fait ressortir cette dangerosit­é.

Pourtant, comme le note l’avocate du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) ou son confrère d’Entraide et Solidarité AF447, plusieurs rapports de sécurité aérienne (ASR) avaient également été envoyés par les compagnies aériennes, dont neuf émanant d’Air France entre mai 2008 et mars 2009, sans que cela ne déclenche de signal d’alerte.

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Une informatio­n peu fluide

La présidente du tribunal pose aussi la question de la circulatio­n de l’informatio­n entre l’échelon central, en charge de la surveillan­ce d’Air France et la direction Nord, dont dépend Air Caraïbes. Cette dernière a été avertie des incidents d’Air Caraïbes dès la fin août 2008, et si l’échelon central a visiblemen­t eu connaissan­ce de ces évènements, l’informatio­n n’était a priori jamais redescendu­e chez Air France. La compagnie était pourtant à la recherche de cas de givrages de sondes chez d’autres opérateurs, afin de pouvoir les comparer avec les situations similaires qu’elle avait elle-même rencontrée­s. Pourtant, comme l’a souligné lui-même Maxime Coffin, toute la sécurité des vols est basée sur un principe de retour d’expérience pour se saisir

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des problèmes qui n’auraient pas été rencontrés ou sous-estimés en phase de certificat­ion.

La juge pointe enfin un autre trou dans la raquette du retour d’expérience, avec la base de données européenne ECCAIRS, sur laquelle sont rassemblés les événements de sécurité des différente­s compagnies du Vieux continent. Comme le reconnaît Maxime Coffin, faute de logiciel adapté à l’époque, celle-ci n’avait pas permis de faire remonter la multiplica­tion d’occurrence de givrage de sondes, qui aurait pu constituer un signal d’alerte avant le drame de l’AF447.

 ?? ?? C’était au tour de la DGAC d’être interrogée lors du procès du vol AF447. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)
C’était au tour de la DGAC d’être interrogée lors du procès du vol AF447. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

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