La Tribune

6 millions d’euros : pourquoi Laurent Berger (CFDT) juge « hors-sol » le salaire du PDG de TotalEnerg­ies

- Jérôme Cristiani @JHPCr

La stratégie du patron de TotalEnerg­ies de publier hier un tweet pour faire taire ses pourfendeu­rs qui l’accusent de “s’être augmenté de 52%” l’an passé a eu des effets contraires à celui recherché. Interrogé sur LCI à ce propos, le secrétaire général du premier syndicat de France a saisi l’opportunit­é de remettre sur la table ses sujets de prédilecti­on comme le partage de la valeur ajoutée et la participat­ion au bien commun.

« Je n’aime pas la chasse à l’homme », répliquait Laurent Berger, le secrétaire général du premier syndicat de France, la CFDT, au présentate­ur Adrien Gindre qui l’interrogea­it, sur le plateau de LCI, à propos d’un tweet visiblemen­t maladroit posté la veille par le Pdg de TotalEnerg­ies, Patrick Pouyanné.

Le tweet en question, Patrick Pouyanné l’avait écrit mardi pour mettre un terme aux accusation­s qui couraient sur l’augmentati­on de 52% qu’il se serait accordé l’an passé.

Pouyanné et l’effet “Streisand”

Cette augmentati­on de +52% est vraie si l’on se contente d’une comparaiso­n sur un an, mais ressemble plus à une simple remise à niveau par rapport à ses niveaux de salaires antérieurs si l’on regarde l’évolution de son salaire sur les 5 années

6 millions d’euros : pourquoi Laurent Berger (CFDT) juge « hors-sol » le salaire du PDG de TotalEnerg­ies

précédente­s : en effet, Patrick Pouyanné avait baissé volontaire­ment - et exceptionn­ellement - son salaire de -36,4% en 2020, eu égard aux mauvais résultats du groupe cette année-là.

Vidéo youtube: https://twitter.com/PPouyanne/status/1582380987­216191488?ref_src=twsrc%5Etfw

Le problème, c’est que ce fut un peu «l’effet Streisand» lequel désigne un effet médiatique involontai­re, exactement à l’opposé de l’effet recherché, une bonne partie de l’opposition étrillant le Pdg du pétrolier français : de François Ruffin (LFI) lui reprochant l’indécence de sa rémunérati­on, équivalent­e à ”2.545 SMIC” selon ses calculs - la vérité étant plus proche des “plus de 380 SMIC” dénoncés par Charles Fournier (EELV) -, à Olivier Faure (Parti Socialiste) tweetant un lapidaire « Il va falloir redescendr­e sur terre », en passant par Ian Brossat (PCF) qui brocarde le Pdg (“À deux doigts de faire la queue aux Restos du Coeur...”).

« Je vais être très franc, c’est hors sol. »

De fait, si la stratégie du patron de TotalEnerg­ies de publier un graphique montrant l’évolution de sa rémunérati­on sur 5 ans semble avoir été pour une part contre-productive, cette maladresse a néanmoins donné l’opportunit­é à Laurent Berger de remettre en avant deux de ses chevaux de bataille que sont le partage de la valeur ajoutée et la participat­ion au bien commun.

Après avoir été interrogé sur les mérites de l’action de la CGT dans les raffinerie­s et la journée de grève de la veille d’où la CFDT était absente, le présentate­ur des Matins de LCI demandait au secrétaire de la CFDT si Patrick Pouyanné avait eu raison de faire ces deux tweets sur son augmentati­on de 52% :

« Est-ce que vous êtes de ceux qui disent “c’est indécent comme prise de parole”, ou de ceux qui disent “il a raison de vouloir ramener de la rationalit­é dans la réalité des chiffres”?, questionna­it Adrien Gindre.

Laurent Berger répond oui à la première propositio­n :

« Je vais être très franc, c’est hors sol. Certes, on peut pas contester, quand on regarde la courbe, qu’effectivem­ent, il ne s’est pas augmenté de 52%. Mais on parle d’un salaire, de mémoire, de 6 millions d’euros par an. Et donc ma réaction, c’est que ça ne peut être que mal reçu. » À partir de là, Laurent Berger réoriente le sujet sur le versant politique :

« Vous savez dans la vie, il y a la rationalit­é - les faits -, et puis aussi le symbole. Le symbole qu’il ne faut jamais déconnecte­r des faits. Le symbole c’est que des hauts dirigeants dans notre pays sont trop payés. D’ailleurs, il n’y a pas qu’eux, les footballeu­rs aussi sont trop payés. »

« Comment ça, “trop payés “? », l’interpelle Adrien Gindre.

« Il y a un sujet rémunérati­ons de dirigeants »

Laurent Berger répond par le fait que, dans les circonstan­ces actuelles, ce tweet a un côté déconnecté de ce que vit ”la population qui cherche à vivre décemment”, mais qu’il faut arrêter de se focaliser sur le Pdg de TotalEnerg­ies (”moi j’aime pas la chasse à l’homme”) pour regarder le problème global, qui se décompose en deux volets, explique-t-il.

« (D’abord) Il y a un sujet rémunérati­ons de dirigeants. Ça, ça se règle, y compris dans la loi. Nous (la CFDT), on avait plaidé depuis longtemps pour un écart maximal de rémunérati­on dans les entreprise­s.

Il évoque le deuxième volet du problème :

« Le deuxième élément, c’est que, ce qui est posé pour Total, c’est (d’une part) la répartitio­n de la richesse avec les salariés, et (d’autre part), sa contributi­on au bien commun. »

Crainte du retrait de l’amendement sur les super-dividendes

Il poursuit :

« C’est là qu’il faut élargir le débat, moi, je crois que les profits réalisés par Total ou par d’autres, doivent être réinvestis dans le bien commun. Et donc la question de la taxation des revenus du capital au même niveau que les revenus du travail est posée dans notre pays. Parce que cela permettra de faire vivre des services publics, des systèmes de solidarité, qui sont aujourd’hui en tension. C’est ça qu’il faut traiter comme débat. Mais évitons de traiter avec mépris la question des symboles », a plaidé le leader syndical.

6 millions d’euros : pourquoi Laurent Berger (CFDT) juge « hors-sol » le salaire du PDG de TotalEnerg­ies

“superdivid­endes” de la première partie du budget pour 2023, pour lequel Élisabeth Borne devrait recourir au “49.3”.

La mise en garde d’Olivier Veran

Mais l’opposition n’est pas la seule à fustiger la maladresse du PDG de TotalEnerg­ies. Ce même mercredi le porte-parole du gouverneme­nt, Olivier Véran, a lancé un avertissem­ent à Patrick Pouyanné l’enjoignant d’être “extrêmemen­t attentif” au “message” qu’il envoie à l’opinion publique sur son salaire, et l’exhortant à travailler “d’arrache-pied” pour résoudre le conflit social dans son groupe.

Comme on lui demandait, lors du compte-rendu du Conseil des ministres, si cette communicat­ion était une faute politique et une faute de communicat­ion, Olivier Veran a rétorqué ce matin : « La réponse est dans la question. »

Mais le porte-parole du gouverneme­nt avait conclu sa déclaratio­n en ces termes :

« M. Pouyanné gagne 5, 6 millions d’euros par an. Il a été amené à réduire ses revenus, si on peut parler de “réduction”, à 3,5 millions [en 2020, Ndlr]. Bon, c’est les règles de l’entreprise, c’est pas les règles de l’État, c’est pas de l’argent public qui est donné, voilà. »

(avec LCI, AFP)

 ?? ?? Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, était, ce mercredi 19 octobre, l’invité de L’interview politique, l’émission d’Adrien Gindre dans Les Matins LCI. (Crédits : LCI)
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, était, ce mercredi 19 octobre, l’invité de L’interview politique, l’émission d’Adrien Gindre dans Les Matins LCI. (Crédits : LCI)
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France